Louise Bourgeois (1911-2010) – Moi, Eugénie Grandet à la Maison Balzac

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I’m working on a show about Eugénie Grandet for The Maison de Balzac in Paris. I love that story. It could be the story of my life. I feel for Eugénie Grandet. I like her, my mother was my best friend and protector. When my mother died, I feel appart. My father wanted to control me. As a consequence, I ran away to America »

Louise Bourgeois, 2009
Louise Bourgeois - Moi Eugénie Grandet Affiche de l'exposition à la Maison Balzac. ©The Easton Foundation
Louise Bourgeois – Moi Eugénie Grandet
Affiche de l’exposition à la Maison Balzac en 2010. ©The Easton Foundation

Cet été j’écoutais à mon habitude l’une de mes émissions de radio préférées, lorsque je tombe sur une merveilleuse histoire !
Une rencontre improbable  : celle de Louise Bourgeois et de la Maison Balzac!
En effet Yves Gagneux, directeur de cette Maison, avait entendu que Louise Bourgeois entretenait un lien très fort avec Honoré de Balzac, et en particulier avec l’un de ses personnages  : Eugènie Grandet. Pourtant, aucune de ses oeuvres ne faisaient référence à Balzac.

Maison de Balzac ©Thegazeofaparisienne
Maison de Balzac, rue Berton, Paris 16
©Thegazeofaparisienne

« Au centre Pompidou en 2008, la librairie du musée exposait sur une table un choix de livres présenté comme « la bibliothèque idéale » de Louise Bourgeois. On y trouvait notamment … Le Père Goriot et Eugénie Grandet… »

Essai de Jean Frémon extrait p.9 du livre « Louise Bourgeois – Moi, Eugénie Grandet ed. Gallimard
Auguste Rodin (1840-1917) et Paul Jeanneney (1861-1920) "Balzac, tête monumentale " 1889 (?) Grès émaillé
Auguste Rodin (1840-1917) et Paul Jeanneney (1861-1920) « Balzac, tête monumentale «  1889 (?)
Grès émaillé -Maison de Balzac – ©Thegazeofaparisienne
Louise Bourgeois "Eugénie Grandet" 2009 Gouache sur papier. 59,6 x 45,7 cm ©The Easton Foundation
Louise Bourgeois « Eugénie Grandet » 2009 Gouache sur papier. 59,6 x 45,7 cm – Maison de Balzac Paris.
©The Easton Foundation

Qu’à cela ne tienne,  Yves Gagneux s’empresse de lui écrire, nous sommes en 2006 , et lui propose d’organiser une exposition de ses œuvres dans cette maison du 47 rue Raynouard. La lettre part, et plus de nouvelles ..
Ce n’est que bien plus tard au hasard d’une rencontre , qu’il apprend que Louise Bourgeois est très  intéressée par le projet.  Une année passe,  il reçoit alors, une photographie  et un mot de son  assistant  : « Louise Bourgeois a fait cette oeuvre pour votre exposition ». Et, très belle surprise pour lui , l’idée de l’artiste n’était pas de rassembler des oeuvres déjà existantes , mais d’en créer, tout en sachant que la Maison de Balzac est un lieu qu’elle ne connaîtrait jamais.  Cette femme de 96 ans tombe dans le roman de Balzac et va inventer une nouvelle manière artistique.

« Madame, Au cours d’une conversation avec Monsieur Jean Frémon, nous avions évoqué l’intérêt que vous portiez à Balzac, et plus particulièrement à Eugénie Grandet. Nous nous étions alors plu à imaginer une exposition de vos oeuvres à la Maison Balzac, une cinquantaine de dessins, quelques gravures et sculptures de peti format que vous choisiriez vous-même, et qui évoqueraient le rapport d’une fille à son père… »

(Extrait de la lettre de Yves Gagneux , directeur de la Maison Balzac adressée à Louise Bourgeois)
"Louise Bourgeois -Moi, Eugénie Grandet" Précédé de Mystères d'une identification, essai de Jean Frémon Collection Le Cabinet des lettrés, Gallimard Parution : 28-10-2010
« Louise Bourgeois -Moi, Eugénie Grandet »
Précédé de Mystères d’une identification, essai de Jean Frémon
Collection Le Cabinet des lettrés, Gallimard
Parution : 28-10-2010

Elle conçoit une première œuvre : une palme d’eucalyptus ornée d’un poème qu’elle avait écrit,  puis à la suite, réalise une série de 24 pièces exceptionnelles. Jamais l’artiste n’avait créé une telle série spécialement dédiée à un musée qui est aussi une maison d’écrivain, celle d’Honoré de  Balzac, le « Napoléon des Lettres ».
En effet à plus de 90 ans , elle est boulversée par Eugénie Grandet, qui lui ressemble tellement, qui, elle en est convaincue, est son double . Elle relit le livre, ou mieux, on lui en fait la lecture et elle en est persuadée, Eugènie Grandet, c’est elle : ses relations avec son père cruel , qui l’écrase, sa proximité avec sa mère et leur passion pour la couture – elles cousent ensemble à longueur de journée – ou sa complicité avec son cousin dont elle tombera amoureuse, celui que son père avait accueilli. Ce dernier n’hésitera pas à casser cette relation, comme agissait le père tyrannique de son héroïne préférée. Un dernier détail qui a son importance : le lieu de l’exposition est une maison, et non un musée, avec des petites pièces, bas de plafond. Il s’agit de la maison de Balzac et, dans ce lieu au fond d’un jardin, face à la tour Eiffel, même les codes habituels de l’accrochage sont bousculés : un des tableaux majeurs de l’exposition, « My Inner Life » se trouve placé sur un mur rouge, adieu les murs immaculés !

Certes, La Parisienne qui, pour faciliter la fuite de son amant ne montre pas plus de courage que n’en déployait Eugénie en remettant du sucre sur la able. L’amant récompensera sa Parisienne qui lui fera voir orgueilleusement un beau bras meurtri dont chaque veine flétrie sera baignée de larmes, de baisers, et guérie par le plaisir; tandis que Charles ne devait jamais être dans le secret des profondes agitations qui brisaient le coeur de sa cousine, alors foudroyée par le regard du vieux tonnelier. » Honoré de Balzac, extrait d’Eugénie Grandet. 

Louise Bourgeois Jardin des Tuileries - Paris
Louise Bourgeois
Jardin des Tuileries – Paris – ©Thegazeofaparisienne

Mais cette aventure va au delà d’une simple actualité culturelle : à la fin de sa vie, Louise Bourgeois nous dévoile ses sentiments si forts, conservés toute sa vie au plus profond d’elle même. Nous sommes émus par cette grande dame qui reste une éternelle adolescente révoltée  et se livre à nous simplement. Eugénie Grandet, cette héroïne que Balzac a su si bien nous dépeindre est son reflet dans ce miroir, il la  rassure mais la retient aussi à travers cette fameuse araignée intitulée « Maman »  (Musée des Beaux Arts Ottawa)

Un sentiment si intense, que pourtant,  après tant d’années, elle garde au fond d’elle cette confrontation avec ce père qu’elle réussira à fuir au delà de l’océan.

« On a pu mesurer l’évolution de son rapport au texte et la façon dont cela la bouleversait complètement…  »

Yves Gagneux
Yves Gagneux, directeur de la Maison Balzac dans le bureau de Balzac.
Yves Gagneux, directeur de la Maison Balzac dans le bureau de Balzac. – ©Thegazeofaparisienne

Pour la toute première oeuvre, Louise Bourgeois a repris une poésie qu’elle avait déjà écrite sur son héroïne. Elle s’imagine en Eugénie Grandet dans son appartement new-yorkais attendant une lettre, et copie ce poème Ode to Eugénie Grandet sur une gravure qui existait déjà,  et qui représente un eucalyptus, une sorte de collage du poème et de la gravure. Premier rapport assez distant, apaisé mais petit à petit, ses oeuvres deviennent beaucoup plus profondes, plus personnelles et même d’une violence inouïe : « My inner life (#5) », 2008, représente  « Eugénie Grandet hurlant de douleur dans le ventre de sa mère ». J’imagine mal comment cette frêle femme de 95 ans, cette silhouette d’éternelle adolescente,  que nous apercevons dans les films, peut exprimer autant de passion dans cette oeuvre.

Pour cette exposition,  elle retrouve du linge de maison apporté de France, elle les brode et en fabrique des sortes de reliquaires sur des canevas brodés de fleurs en tissu, de boutons… qu’elle enferme dans des boîtes.

L’un très émouvant est une horloge arrêtée à 10, l’ heure d’arrivée de son si précieux assistant Jerry Gorovoy, elle peut alors travailler, revivre.  L’attente toujours ce thème d’Eugénie Grandet.

Louise Bourgeois décèdera avant  l’exposition, et comme le dit Yves Gagneux « J‘ai vu Louise Bourgeois à travers ses textes et ses oeuvres, j’ai connu Louise Bourgeois, un peu comme j’ai connu Balzac » Le jour où elle est morte, Yves Gagneux a été très vite informé et boulversé, « Ma relation avec Louise Bourgeois n’était pas une relation avec une vieille dame, mais une femme qui était éternellement jeune, et elle s’est laissée mourir quand elle a perdu la mémoire et la mémoire c’était son travail, sa vie.. »

Livre ouvert à p. V . Louise Bourgeois. "Eugénie Grandet" (détail) 2009 ©The Easton Foundation
Livre ouvert à p. V . Louise Bourgeois. « Eugénie Grandet » (détail) 2009
©The Easton Foundation

Pourtant le lien établi entre Louise Bourgeois et Yves Gagneux est très fort, cette création elle ne l’a pas faite pour une musée d’art moderne mais pour une maison ancienne, en dehors du temps, une atmosphère spéciale en plein milieu des textes de l’écrivain, autour de son bureau, petite pièce où Balzac écrivait  tard dans la nuit, comme elle,  insomniaque, également, qui dessinait inlassablement les paysages de sa vie sur ses carnets.

Eugénie et Louise se retrouvaient enfin !

Cette belle aventure vous pouvez la retrouver dans le livre édité à cette occasion chez Gallimard, collection Le Cabinet des Lettrés  « Louise Bourgeois – Moi, Eugénie Grandet », préface de Jean Frémon.

Peut-être souhaiteriez-vous aussi retourner ou découvrir cette Maison de Balzac et ce ravissant jardin qui a tant inspiré Louise Bourgeois ? Son conservateur, Yves Gagneux, a donné à ce lieu une dynamique et une ouverture en associant d’autres artistes contemporains influencés par l’oeuvre de Balzac. Il s’agit du groupe Cobra, dont la filiation avec Balzac et son « spiritualisme » sont revendiqués : Christian Dotremont et Pierre Alechinsky s’inscrivent dans la réflexion entre la pensée et l’écriture si propre à la pensée de l’écrivain. Eduardo Arroyo témoigne de l’universalité de Balzac par un travail exceptionnel, exposé à l’Institut français de Madrid (février 2015), sur les habitations et les personnages de l’écrivain. Le visiteur pourra y découvrir des oeuvres de Rodin (ne pas oublier la statue de Balzac au carrefour du boulevard Raspail et du boulevard Montparnasse), de Picasso, qui s’y trouvent et se côtoient ensemble avec les manuscrits du Maître. Un lieu où soufflent l’esprit et les correspondances entre l’écriture et les arts sous leurs différentes formes…

Si vous êtes à New York, vous avez la possibilité de visiter sa maison de Chelsea qui s’ouvre aux visiteurs à partir de cet automne, sur rendez-vous. Maison de Louise Bourgeois, (347 W. 20th Street, entre la viii et la ix Avenue, New York, USA.)

« Je m’appelle Louise Joséphine Bourgeois, je suis née le 24 décembre 1911 à Paris, tout mon travail des cinquantes dernières années, tous mes sujets trouvent leur source dans mon enfance, mon enfance n’a jamais perdu de sa magie, elle n’a rien perdu de son mystère, elle n’a rien perdu de sa dimension dramatique.. » Extrait des carnets de Louise Bourgeois

Florence Briat Soulie

Maison de Balzac

16/10 au 25/10/2015 ©Jean-François Jaussaud Photographies de Louise Bourgeois par Jean-François Jaussaud à la Galerie Elizabeth Royer http://wp.me/p5m3Pc-1aK
16/10 au 25/10/2015
©Jean-François Jaussaud
Photographies de Louise Bourgeois par Jean-François Jaussaud à la Galerie Elizabeth Royer

Elizabeth Royer–Grimblat présente dans sa galerie les photographies de Louise Bourgeois par Jean-François Jaussaud (Né en 1961 à Villemomble). Une belle rencontre entre le jeune photographe et la grande artiste. Cette dernière lui a laissé champ libre pendant 11 ans, de 1995 à 2006, pour aller et venir à sa guise et la photographier dans son atelier et sa maison de New-York qui s’ouvre cet automne aux visites.

©Jean-François Jaussaud / ©The Easton Foundation Louise Bourgeois Brooklyn 1995« Nos amis » Exposition "Photographies de Louise Bourgeois 1995-2006 par Jean-François Jaussaud"à la Galerie Elizabeth Royer 16/10 au 25/10/2015
©Jean-François Jaussaud / ©The Easton Foundation
Louise Bourgeois Brooklyn 1995« Nos amis »
Exposition « Photographies de Louise Bourgeois 1995-2006 par Jean-François Jaussaud »à la Galerie Elizabeth Royer
16/10 au 25/10/2015

« Louise, c’est une rencontre l’hiver 1994, d’abord un rendez-vous dans son bureau de l’atelier de Brooklyn une ancienne usine de confection au 475 Dean Street. Un « interrogatoire » un peu étrange et amusant, une sorte de questionnaire presque administratif, date de naissance, adresse, coordonnées … Elle notait tout méticuleusement dans un petit cahier… »

Jean-François Jaussaud

Jean-François Jaussaud photographe de Louise Bourgeois 1995-2006 – Galerie Elizabeth Royer – 5 place du Palais Bourbon – 75007 Paris – Tél : 01 44 39 54 00 – Mail : elizabeth.royer@wanadoo.fr – 16 octobre – 25 octobre 2015  (Voir article save the date 12/10/2015)

Gallimard – Louise Bourgeois – Moi, Eugénie Grandet

France Culture – Une vie une oeuvre : Louise Bourgeois

Maison de Louise Bourgeois, 347 W. 20th Street, entre la viii et la ix Avenue, New York, USA.

The Louise Bourgeois, I knew by her assistant Jerry Gorovoy » Article de The Guardian 12/12/2010

Honoré de Balzac - Eugénie Grandet Nelson Editeurs
Honoré de Balzac – Eugénie Grandet – Nelson Editeurs – ©Thegazeofaparisienne

2 commentaires

  • M. Anand

    J’avais apprécié votre article sur Louise Bourgeois à la Maison de Balzac. C’est un lien assez inattendu mais qui ne me surprend pas après avoir compris l’histoire. En fait, j’ai une copine galeriste qui a connu Bourgeois vers la fin de sa vie. Elle avait un caractère très fort, peut-être grâce à son relation difficile avec son père. Voici un autre documentaire récent, réalisé au Louisiana Museum au Danemark dans lequel trois artistes parlent de leurs réactions à l’araignée gigantesque (Maman, 2008) de Bourgeois. Peut-être vous connaissez le musée ? C’est un de mes musées préférés du monde.
    http://channel.louisiana.dk/video/three-artists-spider-louise-bourgeois

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