François Malingrëy

Vendredi 15 janvier  : François MalingreyGalerie T & L – 11 rue Michel Lecomte – 75003 Paris http://www.tl-galerie.com/ (voir Salon de Montrouge et  Save the date 14/12/2015) – François Malingrëy 06 49 93 96 58 http://cargocollective.com/francoismalingrey

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS MALINGRËY :

Tancrède Hertzog : Dans ta peinture, tu te concentres surtout sur l’humain, que tu représentes dans des environnements très neutres, avec une atmosphère assez lourde, pour ne pas dire étrange. Que veux-tu exprimer ?

François Malingrëy : Je peins l’homme, je sonde les relations humaines car je veux exprimer quelque chose d’universel. Je veux représenter les personnes dans des états quasiment archétypaux : c’est ce que je fais lorsque je répète les mêmes personnages plusieurs fois dans un tableau. Dans la répétition, on dilue la personnalité des modèles. Il y a ainsi moins de leur essence dans l’œuvre et, en cela, ils deviennent des personnages plus que des êtres réels. Si la personne que je représente est seule dans le tableau, ce n’est pas un personnage, c’est vraiment lui, je n’en fais pas un archétype.
Par ce procédé de dépersonnalisation, le spectateur peut plus facilement se projeter dans la peinture et percevoir ainsi un état d’âme ou une sensation plutôt que de voir quelqu’un d’existant et de se concentrer sur la psychologie du personnage.

TH : Est-ce pour cette raison que les arrière-plans de tes tableaux sont souvent anonymes, banals ?

FM : Quand j’imagine mes compositions, je les pense par rapport aux personnages, ce sont eux qui vont faire et déterminer la construction de l’image. Le paysage, le décor, le lieu dans lequel ils se trouvent va juste souligner cette composition, les lignes de force étant dictées par les figures humaines. D’ailleurs, je peins d’abord les personnages, puis les paysages. Pour autant, je n’adapte pas forcément le paysage à l’état d’esprit des personnages : ce que je ne veux pas, en tout cas, c’est que le décor prenne le dessus sur les personnages.

TH : Tes personnages sont toujours dénudés mais en sous-vêtements, pourquoi ?

FM : Quand on peint des êtres humains, la peau est le lieu indépassable de la vérité. Quand je peins la peau, et c’est ce que j’aime faire, je ne peins pas un nu. La nudité est quelque chose de plus fort, qui peut être assez violent, tant c’est intime. Quand tout est découvert, on ne voit plus que ça, l’intimité, et on ne regarde plus, ou en tout cas moins, le travail sur les chairs, l’anatomie : j’ai envie de faire de la peau, pas des nus.

TH : Tu recours souvent aux fonds à la feuille d’or pour tes portraits, pourquoi ce choix ?

FM : La feuille d’or n’est pas une couleur : on peut, en peinture, faire du doré avec de la couleur, mais alors ce doré coloré fait partie du monde du personnage, qui est, lui aussi, constitué de couleur. La feuille d’or c’est autre chose : entouré de dorure à la feuille, le personnage est sorti de son monde pictural, il est ailleurs, dans un espace plus que neutre, dans un espace qui n’existe plus. J’aime aussi présenter les tableaux à fond d’or à côté de peintures avec un paysage, un arrière-plan situé : le passage du regard de ces grandes scènes à un portrait d’une figure mise en valeur et isolée par le doré, esthétiquement je trouve cela très beau.

TH : Comment conçois-tu tes peintures, notamment tes grands formats. Quel est le processus de création ?

FM : Quand je peins, j’ai déjà en tête une idée de composition. C’est très instinctif. Je ne sais jamais trop d’où elle naît : peut-être d’un film, d’une discussion, d’une peinture qui me revient, mais de façon assez inconsciente. Ensuite, s’il s’agit d’une composition complexe, avec beaucoup de personnages, je l’exécute en dessin mais seulement pour voir les lignes de force, pour comprendre si l’image tient ou si elle ne fonctionnait en fait que dans ma tête. Si cela me semble juste, ce dessin de travail me permet aussi de montrer aux modèles ce que j’attends d’eux comme poses et à leur faire comprendre la scène. Je prends ensuite des photos des modèles pour continuer à travailler. Mais, à chaque étape, les choses peuvent évoluer : quand je prends les photos, j’ai déjà une idée en tête, pour autant le modèle peut parfois bouger au moment de la prise de vue ; ce n’est pas voulu, mais je me rends compte que ça marche bien voire mieux et je modifie alors un peu ma composition. Ensuite, sur ordinateur, je fais un montage des photos : mises les unes à côté des autres, je vois lesquelles me conviennent et je recompose la scène. Souvent, à cette étape, je modifie des poses que je croyais pourtant être les bonnes. Enfin, je passe à la peinture : et, là aussi, il arrive des choses que l’on ne peut pas prévoir. Sur ma toile, je dessine ma composition puis je la peins. C’est le plus souvent dans les décors ou le paysage que je me rends compte que l’image ne tient pas. Je suis obligé de reprendre, de bouger une ligne d’horizon, de changer une couleur, de revenir sur une forme pour dynamiser l’ensemble. Et, en général, je travaille tout d’une traite : quand je démarre une peinture, je vais jusqu’au bout.

TH : Quels sont les peintres qui t’ont le plus marqué et as-tu vraiment besoin de t’inspirer d’autres artistes pour créer tes propres œuvres ?

FM : Je suis très intéressé par le travail des autres artistes, mais je ne sais pas à quel point cela nourrit mon travail. Les peintres qui m’ont le plus marqués sont Lucian Freud et, dans un tout autre genre, Velázquez, auquel je suis venu beaucoup plus tard. C’est un travail qui parle beaucoup aux peintres, il a une façon de faire en avance sur son temps : s’il vivait aujourd’hui, sa touche paraitrait pleinement contemporaine. Velázquez arrive à certains résultats dans le rendu des chairs ou des drapés qui sont incroyables pas tant par leur réalisme que par leur beauté intrinsèque. Ce qui est beau, c’est la touche : avec Velázquez, on regarde la peinture pour la peinture, en plus de ce qu’elle représente. La même chose se passe lorsqu’on regarde de la peinture abstraite, mais lui parvient à le faire avec de la figuration. Son travail me fascine car ce qu’il réussit à créer est extrêmement difficile : en peinture, la plus grande quantité de travail, en terme de temps, est consacrée non pas à penser l’image mais à poser la peinture, car le coup de pinceau ne sert pas qu’à faire exister l’image, il fait bien plus et c’est cette recherche-là qui prend du temps. La recherche de la touche belle, parfaite, peut être un gouffre, il ne faut pas s’y perdre, mais cette quête – ce que l’on fait dire à la peinture à travers le coup de pinceau – m’intéresse énormément.

TH : On perçoit, en ce moment, un retour vers la figuration, notamment chez les jeunes artistes. En tant qu’artiste figuratif, sens-tu un renouveau depuis quelques années ?

FM : On entend dire que la figuration était morte dans les années 1980, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Pourtant, je ne me vois pas comme appartenant à la génération des précurseurs de ce renouveau. Des artistes plus âgés ont déjà ouvert la voie, notamment Jérôme Zonder, Axel Pahlavi, Damien Cadio par exemple. Eux me semblent être, au moins en France, de véritables précurseurs.
Aujourd’hui, je me rends compte que, dans notre génération, les gens ne dénigrent pas du tout la figuration. C’est pourtant l’impression que j’avais quand je ne connaissais pas le milieu de l’art. Quand je faisais mes études d’illustration, on me disait, attention, dans le milieu de la peinture et de l’art, le figuratif, personne n’aime. Il est vrai qu’une certaine partie du public pense que la figuration est « premier degré », donc quelque chose de facile donc de bête. C’est, bien entendu, faux, la figuration permet au contraire d’envisager le monde de façon bien plus large qu’il n’est.

Propos recueillis par Tancrède Hertzog

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