« La Mémoire du Futur »- Remarquable exposition photographique au Musée de l’Elysée

 L’histoire de la photographie comme source d’inspiration des créations d’aujourd’hui et de demain, c’est ce que met en lumière cette magnifique exposition.

Elle nous emmène, tout d’abord, à la découverte des grandes innovations fondatrices du 8ème Art. Nous, qui sommes des enfants du numérique, combien de fois avons-nous succombé au charme sensuel de l’argentique ou à la magie étrange des daguerréotypes…ici,  je découvre également nombreux autres procédés photographiques, aux noms énigmatiques de calotypes, cyanotypes, ferrotypes, ambrotypes, etc.. . Comme le souligne Tatyana Franck, commissaire de l’exposition et directrice du Musée,  « c’est avant tout un voyage esthétique, qui se veut un autre regard sur l’histoire de la photographie « .   L’idée lui est venue alors qu’elle se penchait sur les collections exceptionnelles du Musée de l’Elysée de Lausanne, qui se distinguent par la diversité des techniques représentées. Elle a construit son accrochage autour de ces oeuvres emblématiques, en les faisant dialoguer avec des créations contemporaines qui revisitent les anciens procédés. Le savoir-faire d’hier devient « le  terreau de la création d’aujourd’hui ».

 Tatyana Franck, ,commissaire de l'exposition et directrice du Musée de L'Elysée de Lausanne.
Tatyana Franck, commissaire de l’exposition et directrice du Musée de L’Elysée de Lausanne.

Continuant le dialogue entre passé et présent, la deuxième partie de l’exposition montre des ré-interprétations d’images iconiques par de grands photographes actuels.  Dans un troisième temps, le futur trouve également sa place sous la forme d’un  « espace d’expérimentation ».

Jerry Spagnoli Dan Estabrook, 2004 Daguerréotype ©Jerry Spagnoli
Jerry Spagnoli, Dan Estabrook, 2004
Daguerréotype©Jerry Spagnoli

Dès la première salle, je suis fascinée par  les effets réfléchissants et bleutés des daguerréotypes (positifs sur support métal). La Modernité flagrante des portraits, des paysages, des recherches sur le verre de Jerry Spagnoli ou des oeuvres de Takasha Arai se confrontent aux mythiques portraits de familles de Jean Gabriel Eynard (1845), bijoux de précision des collections de l’Elysée.

Jean Gabriel Eynard Charles et Mathilde Horngascher-Odier 1845 ©Musée de l'Elysée, Lausanne
Jean Gabriel Eynard, Charles et Mathilde Horngascher-Odier 1845©Musée de l’Elysée, Lausanne

Le parcours est émouvant et ludique aussi; le temps se perd, se joue de nous: entre anciennes photos et nouvelles créations, il n’est parfois pas si facile de s’y retrouver! Troublante ressemblance du ferrotype de 1860, représentant une petite fille,  avec les portraits « vintage » de Victoria Will (2014): même effet mystérieux, presque fantomatique.

G: Anonyme , Portrait d'une fillette, 1860-70 ©Musée de l'Elysée, Lausanne D:Victoria Will, Kristen Stewart, 2014 ©Victoria Will
G: Anonyme , Portrait d’une fillette, 1860-70 ,ferrotype, ©Musée de l’Elysée, Lausanne
D:Victoria Will, Kristen Stewart, 2014 ferrotype ©Victoria Will

D’autres jouent le contraste de l’anachronisme, tel Joni Sternbach mettant en scène ce surprenant surfeur qui semble un invité incongru surgissant dans une image  passée!

John Sternbach, Lee Ditch Plains , 2007 Ferrotype , courtesy Rick Wester fine art NY ©Musée de l'Elysée, Lausanne
John Sternbach, Lee Ditch Plains , NY 2007 – Ferrotype
Ferrotype, Courtesy Rick Wester fine art NY & galerie Hug paris

 

Gustave Le Gray Forêt de Fontainebleau vers 1855 ©Thegazeofaparisienne
Gustave Le Gray
Forêt de Fontainebleau vers 1855
©Thegazeofaparisienne
Martin Becka polyptyque le parc, (arbres, jets d'eau), 2002 ©Thegazeofaparisienne
Martin Becka
polyptyque le parc, (arbres, jets d’eau), 2002 ©Thegazeofaparisienne

Autre innovation, autres merveilles:  résultat de l’invention du négatif sur papier ciré, « La forêt de Fontainbleau » de Gustave Le Gray (1855) dialogue avec les arbres du polyptyque de Martin Becka où se mêlent positifs (noirs) et négatifs (éclairés). Une même technique mais des oeuvres visuellement si différentes!

 

Du monochrome bleu avec les Cyanotypes.  Cette technique a été  inventée en 1842 pour sa facilité d’usage et son faible cout.  Aujourd’hui, de grands  photographes redécouvrent l’esthétique de son bleu si particulier. Qu’elle pourrait être la plus ancienne image entre le  gracieux bouquet de tulipes de John Dudgale  et l’herbier d’Anna Atkins? Difficile à dire … pourtant plus d’un siècle les séparent !!

G: John Dudgale Mourning Tulips, 1999 Cyanotype ©Thegazeofaparisienne D:Anna Atkins Adiantum Tenerum vers 1852, cyanotype ©Thegazeofaparisienne
G: John Dudgale, Mourning Tulips, 1999, Cyanotype,©Thegazeofaparisienne
D:Anna Atkins, Adiantum Tenerum vers 1852, cyanotype, ©Thegazeofaparisienne

Je m’arrête devant le très beau  « Memento  » de Christian Marclay, qui utilise ce même procédé du cyanotype mais en lui donnant une pâte très actuelle. Cette oeuvre graphique rend hommage à un objet obsolète – la cassette audio- par le biais de cette technique, elle même, empruntée au passé!

Christian Marclay Memento, 2008 , Cyanotype © Christian Marclay, courtoisie de Paula Cooper Gallery NY
Christian Marclay Memento, 2008 , Cyanotype © Christian Marclay, courtoisie de Paula Cooper Gallery NY

Un des point d’orgue de l’exposition est la découverte des oeuvres de deux prix Nobels de physique. Gabriel Lippmann récompensé en 1908 pour avoir inventé la « photographie interférentielle des couleurs »- obtenue par la décomposition naturelle de la lumière-. Son autoportrait, issu des archives du Musée de l’Elysée, est incroyable, émouvant et drôle.

Gabriel Lippmann, autoportrait 1892 © Musée de l’Elysée
Gabriel Lippmann, autoportrait 1892 ©Musée de l’Elysée, lausanne

 

McDonnell Douglas Corp. / Spindler & Hoyer, Portrait de Dennis Gabor,1975 © Jonathan Ross Hologram Collection
McDonnell Douglas Corp. / Spindler & Hoyer, Portrait de Dennis Gabor,1975 © Jonathan Ross Hologram Collection

Tout comme celui de Dennis Gabor, primé en 1971 pour son invention de « l’Hologramme ». Le portrait de ce scientifique à lunettes et costume impeccable qui semble sortir de la photo en 3D est étonnant!  C’est l’artiste Américain James Turrell qui lui répond avec une oeuvre holographique sublime de 2008. Comme me le fait remarquer Tatyana Franck, « James Turrell est peu présenté dans les expositions de photographie alors que son travail est l’essence même de la photographie, au sens étymologique: »une écriture de Lumière«  ».

Ce chapitre se clôt avec la Camera Obscura – l’ancêtre de toute la photographie. Dans son soucis de soutenir la création artistique contemporaine, T. Franck  a commissionné, pour le Musée de l’Elysée, une oeuvre de l’artiste Loris Gréaud. Pour cette exposition, celui -ci revisite le principe de la camera obscura dans une installation destinée à capter …l’âme du Musée!  La performance sera d’ailleurs répétée avec une nouvelle oeuvre pour immortaliser l’âme du futur nouveau Musée de l’Elysée près de la gare de Lausanne… Esprit es-tu là?

Tatyana Franck devant l'installation de Loris Gréaud "The unplayed notes". ©Thegazeofaparisienne
Tatyana Franck devant l’installation de Loris Gréaud « The Unplayed notes ».camera obscura ©Thegazeofaparisienne

Dans un autre espace, poursuivant le thème de la mémoire, des artistes contemporains rendent hommage à des images iconiques de la photographie. Le photographe JR renverse la « femme aux cheveux longs » de Man Ray sur les murs de Vevey en 2010, ViK Muniz nous régale de chocolat dans son interprétation gourmande de L’Entrepont d’Alfred Stieglitz (1907) , Oscar Munoz installe et repositionne sa sélection d’images mythiques dans une installation video « El Colleccionista ».

JR Unframed- Man Ray revu par JR - festival de vevey Tatyana Franck devant l'installation de Loris Gréaud "The unplayed notes". ©Thegazeofaparisienne
JR
Unframed- Man Ray revu par JR – Festival de Vevey Images 2010, ©Thegazeofaparisienne
Vik Muniz Steerage after Alfred Stieglitz ©Thegazeofaparisienne
Vik Muniz, Steerage after Alfred Stieglitz ©Thegazeofaparisienne

Tout au long du parcours dans « la Mémoire du futur », le temps s’étire en un perpétuel mouvement entre passé et présent. Dans sa dernière partie, il aborde aussi le Futur et les nouvelles technologies. Cet espace d’expérimentation présente un prototype de numérisation 3D  de très haute qualité, conçu par Artmyn, qui permet de percevoir les moindres détails de chaque image. Afin d’assurer la préservation de son patrimoine exceptionnel et des nouvelles acquisitions, la directrice du Musée a lancé un grand programme de numérisation de toutes ses oeuvres avec ce procédé pointu.

Takashi Arai Fukushima, daguerréotype 2012 ©Takashi Arai
Takashi Arai, Fukushima, daguerréotype 2012
©Takashi Arai

Avec cette exposition, Tatyana Franck nous donne une vision évolutive de la photographie, qui réinvente sans cesse ses fondamentaux, se nourrit de son histoire pour s’ouvrir à de nouvelles expérimentations. Les photographes contemporains revisitent et s’inspirent des grandes techniques passées qui  leur offrent des perspectives esthétiques nouvelles, des codes d’expression inexplorés.  En ces temps de dématérialisation de la photographie, où des milliards d’images s’échangent sur les réseaux sociaux, de nombreux artistes aspirent aujourd’hui à un retour à la matérialité, à la qualité et au temps … prendre le temps de la réflexion, prendre  le temps de la pose, le temps de bien penser l’ oeuvre. « La Mémoire du futur « nous invite à méditer sur ces sujets, tout en nous faisant rêver par la beauté des oeuvres présentées.

Caroline d’Esneval

Mémoire du Futur « Dialogues photographiques entre passé, présent et futur »

Musée de L’Elysée , Lausanne

jusqu’au 28 Aout 2016 !

Plus d’information :  http://www.elysee.ch/

2 commentaires

Laisser un commentaire

En savoir plus sur THE GAZE OF A PARISIENNE

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading