Chez Ben au musée Maillol

©Thegazeofaparisienne
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Ben ou art de vivre selon Ben, c’est ce que nous ressentons Anne et moi en déambulant dans les salles de ce bel hôtel particulier, le musée Maillol qui ouvre ses portes en grand à l’artiste à l’occasion de sa réouverture.

Au début c’est plutôt amusant, léger, Benjamin Vautier dit Ben nous accueille, joyeux, nous parle de philosophie, sa passion.

Directement celui qui écrit toutes ces petites phrases nous annonce qu’il est atteint de la maladie d’alzheimer, tous ces petits mots jetés ça et là, seraient ils sa mémoire, nous nous trouvons :

« Chez Ben »

Là où l’on attendrait bordel, bazar, foutoir, bobinard, la rétrospective Ben qui se tient au musée Maillol, propose une scénographie particulièrement soignée du parcours artistique aussi fantasque que fécond de l’artiste.

BEN - Musée Maillol ©Thegazeofaparisienne
BEN – Musée Maillol
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Le lieu lui-même va comme un gant à Ben. Cet ancien hôtel particulier construit autour de la somptueuse fontaine réalisée par Bouchardon en plein siècle des lumières…fût aussi le lieu de résidence d’Alfred de Musset dont les tourments semblent opportunément souffler sur l’œuvre de Ben. Si l’homme de lettres fit du hasard son plus cher confident [i], l’homme de l’art affirme qu’il est partout.

 

Ben et atelier de Maillol ©Thegazeofaparisienne
Ben et atelier de Maillol
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Dans les années 50 les sous-sols de l’Hôtel particulier abritèrent le cabaret des Quatre-Fontaines dirigé par les Frères Prévert : Vian y créa Le Déserteur, Francis Blanche, Jean Yanne, Mouloudji, Barbara y firent leurs premières armes… Enfin Dina Vierny, femme libre et engagée fit l’acquisition petit à petit de cet hôtel si particulier pour abriter une impressionnante collection d’œuvres de Matisse, Dufy et surtout Maillol dont elle fut la muse. C’est dire si le lieu est festif et particulièrement empreint de création, d’anticonformisme, de poésie.

 

Ce n’est peut-être donc pas un hasard si Ben en est, jusqu’au 15 janvier, le nouveau résident…

 

Il est bien revigorant de se laisser guider avec une brutale dérision vers cette chose si saine qu’est la transgression ! Et Ben du haut de ses 80 ans sait y faire : son œuvre polymorphe et cosmopolite parle et interroge aussi bien les enfants que les adultes.   Mais de lui, qui aurait voulu être philosophe, il faut aussi, voir au-delà de l’humour ou de l’ironie, la critique bien assaisonnée d’une société perfide, superficielle et bien trop uniforme. Une critique toujours habitée par le doute, estampille et moteur de l’artiste pour nourrir sa quête de vérité.

"Il n'y a pas de photos ratées" BEN
« Il n’y a pas de photos ratées » BEN

 

On entre dans cette exposition au rez-de-chaussée comme un invité dans l’appartement de Ben, ou plus exactement dans sa tête. On sonne à « ses risques et périls » chez « Benjamin Vautier » son véritable nom. Aujourd’hui, jour de l’inauguration l’artiste est présent et nous reçoit dans un salon qu’il a décoré de ses « références artistiques » : une «peinture flammande »), des Jeff Koons, Matisse et Klein « du Pauvre » et où se répondent l’ être et paraître… et puis comme il en existe des centaines dans les églises de Naples où il est né, une alcôve consacrée à la mort : un «Espace important dans la mesure où la mort est plus forte que l’art. Une fois mort plus de problèmes d’art. Signer la mort c’est donc aller au bout de l’art ». Enfin le lieu du jeu et de l’ego, du Moi et du sur-moi surtout du regard porté sur ceux qui regardent : l’artiste, le critique, le photographe. Au centre d’un dispositif quasi-psychanalytique voici Eros bien sûr avec la chambre des plaisirs toute de rouge et sa kyrielle de petits poncifs sexuels pépères et amusants à la fois : miroirs, breloques, tuniques, porte-jarretelles, menottes, mules et amulettes, plumes et nuisettes, néons et godemichets et… et… des chaussettes suspendues sur un mobile « M’autorisez-vous à garder mes chaussettes madame ? ». Séducteur ?

 

"Le temps passe" BEN ©Thegazeofaparisienne
« Le temps passe » BEN
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Enfin deux espaces peut être les plus intimes suivent la chambre : un boudoir ou une antichambre presque en camaïeu pastel, étrangement paisible par rapport à l’agitation ambiante et dans laquelle se font face les œuvres de Ben et les sculptures de Maillol visibles depuis une baie ouverte sur les collections permanentes. Les Nus voluptueux de Maillol face à ses Autoportraits nu travesti (… Oui, on peut être nu et travesti encore faut-il savoir porter la perruque !) singeant probablement Cindy Sherman ou Vivienne Westwood, comme une Invitation au voyage où là «  tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté »[ii]. Surtout et très malicieusement Ben a placé autour de la baie donnant sur les sculptures de Maillol des objets miroirs qui ainsi n’alimentent plus seulement un face à face mais opèrent un réel rapprochement entre époques, artistes et créations en les mettant sur le même plan. Vanité ou réel courage ?

"L'art flammand" BEN - musée Maillol
« L’art flammand »
BEN – musée Maillol

Ce parcours se conclue dans une salle où l’égo s’efface au profit du monde, des autres et des préoccupations de Ben sur la question des minorités (ses newsletters, en témoignent et s’attardent souvent douloureusement là où les médias n’informent malheureusement plus). Il y est question, d’ethnisme évidemment, de doutes, de désenchantement, d’oppression où l’on peut aussi comprendre que les contradictions (assumées) de l’artiste sont aussi à l’image de celles de notre monde qui semble, alors qu’il nous entoure, de moins en moins compréhensible. On pourrait en débattre longuement et selon l’humeur car à chaque visite, l’exposition prendra un tour différent. Rien ne s’oppose jamais, tout se complète, tout dialogue. Le mot d’ordre est le doute et chaque interrogation, paradoxe ou anachronisme recèle un instant de vérité.

 

BEN - Musée Maillol ©Thegazeofaparisienne
BEN – Musée Maillol
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Le premier étage de l’exposition (doit-il en être obligatoirement le commencement ?) présente un accrochage plus conventionnel mais qui a le mérite de proposer la vision scientifique et historique du commissaire de l’exposition Andres Pardey, Conservateur au musée Tinguely. Il restitue impeccablement la chronologie, les premières œuvres (formes Bananes), aux appropriations, aux gestes, aux performances, au lettrisme et à l’ethnisme. Tant de choses, de performances, d’œuvres à retrouver que l’on croyait connaitre mais qui montrées en dehors du bobinard habituel prennent aussi leur sens et toute leur place.

 

On tachera donc d’y revenir plusieurs fois pour : regarder les films et les relations avec la philosophie incarnée par Michel Onfray son ami, les doutes, les angoisses (la maladie d’Alzheimer dont il dit souffrir), les plaisirs, la méditation bruyante…

 

Bref, tout ce qui tend à démontrer à quel point cet artiste virtuose réussi à être ce qu’il recherche depuis si longtemps : vrai !

Anne Lesage et Florence Briat Soulie


 

[i] “Je parle beaucoup au hasard : c’est mon plus cher confident.” Alfred de Musset « Fantasio »

[ii] Baudelaire Invitation au Voyage « Les Fleurs du mal »

Tout est Art ?

Du 14 septembre 2016 au 15 janvier 2017

Musée Maillol

61 rue de Grenelle – 75007 Paris

Tel : 33 (0) 01 42 22 57 25

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