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« Il ne faut pas confondre peinture et politesse » Bernard Buffet
Une rétrospective Bernard Buffet, il fallait oser !
Un artiste tombĂ© dans les oubliettes de lâhistoire de lâart⊠et pourtant en entrant au MusĂ©e dâart Moderne de la ville de Paris aujourdâhui, son oeuvre mâapparait comme une Ă©vidence.
Bernard Buffet Ă©tait enfoui dans notre mĂ©moire culturelle, comme un secret de famille que lâon nâose dĂ©couvrirâŠ
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DĂšs lâentrĂ©e, câest un plongeon dans un style, nous sommes accueillis par une immense peinture de tauromachie, oĂč le taureau est marquĂ© au fer rouge des initiales de Bernard Buffet, le ton est mis et je comprends la mĂ©taphore de lâartiste seul dans lâarĂšne face Ă tous les autres qui le blessent Ă mort, je suis face Ă un spectacle des couleurs de la vie Ă la mort.
Devant son oeuvre on ne peut rester indiffĂ©rent, comment  ne pas ĂȘtre dĂ©stabilisĂ©, câest un choc ! Pour moi, Bernard Buffet câĂ©tait un portrait de clown aperçu derriĂšre les rideaux dâune galerie ou quelques affiches vues ci et lĂ .
ElĂšve au lycĂ©e Carnot, il sâennuyait Ă lâĂ©cole, adorait les sciences naturelles et dessinait des libellules et papillons. A 15 ans il rentre aux Beaux-Arts avec une dĂ©rogation et deviendra alors pour un temps une star.
Chaque exposition provoquait une Ă©meute, des autographes Ă©taient signĂ©s sur des tickets de mĂ©tro. Dans le film « Comment Ă©pouser un millionnaire ? « lâappartement de Lauren Bacall est dĂ©corĂ© dâun grand paysage  de Bernard Buffet.
On le disait lâĂ©gal de Picasso. Sâen suivent des expositions avec Kees Van Dongen, Utrillo, Rouault, Villon⊠Jean Cocteau lui consacre un poĂšme, ill illustre « La voix humaine »  du poĂšte.
Je ne mâĂ©tais pas prĂ©parĂ©e Ă une telle prĂ©sence. Le dĂ©but dâexposition est impressionnant de froideur, câest  lâinvention dâun style, je suis impressionnĂ©e par ce jeune homme de 19 ans qui peint la « Ravaudeuse de filets » ou encore un peu plus tard  « Horreur de la guerre » (1955). Je suis Ă la fois dĂ©routĂ©e par le ton glacial, la duretĂ© de ses peintures et Ă la fois enchantĂ©e par une nature morte.
Lui qui est si jeune semble avoir dĂ©jĂ Â acquis un style, il est omniprĂ©sent, son portrait nous suit, glaçant. Heureusement les portraits de ses proches plus doux tempĂšrent nos sentiments, celui de son marchand Maurice Garnier dâabord, ou celui de Pierre BergĂ© quâil rencontre Ă 21 ans, de trĂšs beaux portraits jetĂ©s Ă plat, les ombres inexistantes,  trĂšs bien vus.  Mais toujours un sentiment de solitude paradoxal chez ce mondain apparent  et je ne sais pas en tant que spectatrice,  si je suis acceptĂ©e âŠ
Je me pose la question que se sont posĂ©s les journalistes « Alors Ă votre avis, horriblement beau ou magnifiquement affreux ? », une autre me vient aussitĂŽt Ă lâesprit « abstraction ou rĂ©alisme « ?  et je pourrais en Ă©noncer de nombreuses autres.
Les grands formats, le style virtuose et les compositions trĂšs personnelles ont contribuĂ©, selon un critique dâart amĂ©ricain, Ă lâengouement pour cette peinture dâ«une somptueuse pauvreté» encore assimilable par le public.
Assez rapidement cependant, lâambiguĂŻtĂ© sâest accentuĂ©e, entraĂźnant incomprĂ©hension, Ă©tonnement et parfois rejet â qui arrive inĂ©vitablement quand on ne se comprend plus â, Ă lâexemple des visiteuses respectables en col de fourrure, dĂ©couvrant les scĂšnes suggestives des Oiseaux Ă la galerie David et Garnier en fĂ©vrier 1960.
Il est donc tentant dâanalyser ce que critiques et journalistes ont pu rĂ©sumer sous la forme interrogative : « Alors Ă votre avis, horriblement beau ou magnifiquement affreux6 ? ». Dominique Gagneux â Extrait du catalogue
Dominique Gagneux, commissaire des expositions marquantes du musĂ©e dâart Moderne â Baselitz, Poliakoff et aujourdâhui Bernard Buffet â me donne la leçon de peinture de lâartiste. Elle me montre les diverses inspirations du peintre, celles de Mondrian les formes gĂ©omĂ©triques, les natures mortes de Chardin (la raie)  et Courbet, Rembrandt, le baron Gros. Il se confronte Ă la peinture dâhistoire. Les peintures mĂ©diĂ©vales oĂč la mort est trĂšs prĂ©sente, je pense Ă une petite Ă©glise grecque entiĂšrement dĂ©corĂ©e de peintures murales oĂč lâenfer est le sujet principal. Je pense Ă©galement Ă la PiĂ©ta dâAvignon (Enguerrand Quarton) oĂč la Vierge Ă©plorĂ©e porte dans ses bras le Christ dĂ©charnĂ© et outragĂ© par les stigmates de la crucifixion.
Il ne faut pas oublier que Bernard Buffet a vĂ©cu sous lâoccupation, de plus en 1945, sa mĂšre meurt en trois mois dâune tumeur foudroyante, il nâa que 17 ans. Ces Ă©vĂšnements vont marquer son oeuvre.
On a souvent dit quâil avait une palette rĂ©duite, hier encore, une de mes amies me rapportait quâun professeur de dessin lui avait dĂ©clarĂ© que Bernard Buffet nâavait jamais Ă©voluĂ©.. Câest faux : les couleurs, le dessin, les sujets, les formes, rien Ă voir entre le dĂ©but et la fin. Il nous surprend, jâadore ses acrobates, je reste fascinĂ©e par le mouvement de ces deux voltigeurs.
Je suis ravie de voir accrochĂ© ce petit duc qui marqua profondĂ©ment « M »  â Matthieu Chedid au point de sâen inspirer pour sa coiffure, lors dâune Ă©mission « ThĂ© ou Café » du 25/10/2015 (19e minute environ), je lâavais entendu se confier Ă Catherine Ceylac. Sa grand-mĂšre maternelle travaillait  à la galerie Maurice Garnier, et sa famille conservait une gravure de hibou, dans cette mĂȘme Ă©mission il parle dâun « Papillon »  appartenant Ă©galement Ă sa famille et aussi source dâinspiration pour lui !
Hibou
A ma naissance, ma grand-mĂšre maternelle, qui travaillait Ă la galerie Maurice Garnier, mâa offert une lithographie de Bernard Buffet reprĂ©sentant un hibou et un dessin oĂč deux petits papillons aux ailes ouvertes forment un M. Je me suis rendu compte trĂšs tard que je mâĂ©tais inspirĂ© de ce hibou pour ma coiffure⊠Mon disque est truffĂ© de mystĂšres, de rĂ©bus, de jeux de piste autour du hibou. Et dâautres Ă©lĂ©mentsâŠÂ
Mathieu Chedid M  » Le Monde Mathieu en dix mots quâil aime â Interview de Gilles MĂ©dioni, publiĂ© le 05/09/2009
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Bernard Buffet a Ă©tĂ© dĂ©criĂ© pour son ralliement aux institutions : au moment oĂč il est consacrĂ© par lâacadĂ©mie des Beaux-Arts en 1974 et accĂšde alors au statut dâun « artiste officiel », ce quâil nâa jamais Ă©tĂ©, Pierre Cabanne, journaliste Ă Combat Ă©crit « ObsĂšques nationales » et Ă©reinte dans son article, presque une nĂ©crologie Ă dĂ©faut dâĂȘtre un panĂ©gyrique, le peintre pour sâĂȘtre sclĂ©rosĂ©, « ossifié » en quelque sorte. Mais le critique, qui exĂ©cute ainsi dans un « JâAccuse » qui restera longtemps le rĂ©quisitoire dressĂ© contre Bernard Buffet, nâexplicite pas en quoi sa peinture froide, au scalpel, sâest transformĂ©e en « guimauve, bouillie pour chat » Ă lâorĂ©e des annĂ©es 70, « pompidoulo-duronienne » Ă©crit-il avec fĂ©rocitĂ© ?
Andy Warhol dans un entretien de 1985, définit Buffet comme « the last famous painter »,
Cette rĂ©trospective va permettre de tordre le cou aux idĂ©es prĂ©conçues sur Bernard Buffet, la curiositĂ© des gens vis-Ă -vis de lâartiste va ĂȘtre enfin assouvie.
Mais je voudrais dire que cette visite est un instant de fraicheur retrouvĂ©e, un artiste qui nous appartient et que nous sommes heureux de  « re-connaĂźtre » (ou « renaĂźtre ») par lâidĂ©e audacieuse  dâun directeur de musĂ©e orchestrĂ©e par le travail remarquable dâune commissaire dâexposition qui met en scĂšne Bernard Buffet et nous retrace une vie, une oeuvre, un jour, un destin de cette importance.
Florence Briat Soulié
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Bernard Buffet
RĂ©trospective
Du 14 octobre 2016 au 26 février 2017
Commissaire dâexposition : Dominique Gagneux
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