Roberto Cuoghi, Perla Pollina

« C’est l’un des plus grands artistes Italiens contemporains , mais aussi probablement un des plus importants au Monde!  » c’est ainsi qu’Andrea Bellini, Directeur du Centre d’Art Contemporain de Genève, commence la visite de cette rétrospective dédiée à Roberto Cuoghi.  Le ton est donné… la suite de l’exposition sera à la hauteur de ces premiers mots! Découvrir cet artiste et son travail, c’est se plonger dans un monde étrange, déroutant, mystérieux et mystique, d’une radicalité singulière.

retrospective Roberto Cuoghi au CAC Genève- au 1er plan Groupe de Crabes  – ©AnnikWetter

Ce personnage extravagant mène son existence et sa production artistique vers des extrémités inouïes. Roberto Cuoghi est à part, dans la démesure, et sûrement aussi dans une sorte de folie. Nourri d’une noirceur névrotique, il sublime ses obsessions de mort, de souffrances, de déséquilibres, par une esthétique puissante. Des corps en décomposition, des monstres, des chimères, jusqu’à ses crabes déformés deviennent, avec lui, de fascinantes oeuvres d’Art.

Dans la Peau d’un autre….

Le récit de sa vie est, à elle, seule une suite d’étonnements! Andréa Bellini, passionnant, nous raconte tout d’abord la période « il Coccodeista ». En 1997, Cuoghi assiste à une émission télévisée, où un scientifique décrit la capacité du cerveau humain à s’adapter à une vision altérée. L’artiste, alors âgé de 24 ans, se met à porter d’étranges lunettes dont les lentilles renversent le haut et le bas et inversent la droite et la gauche. Durant quelques jours, il vivra ainsi, sans quitter ses drôles de lunettes, parcourant la ville en vélo, écrivant, dessinant avec une vision totalement tronquée. L’expérience pénible sera très productive: pas moins de 70 autoportraits, présentant un binoclard bizarre, et des textes raturés racontant cette épreuve abracadabrante, seront créés.

serie Il Coccodeista -Dessin autoportrait entouré de plumes
©Thegazeofaparisienne

Un an plus tard, il fera couler beaucoup d’encre. Dans un moment de rejet de lui-même, concomitant à une période où son père tombe très malade, il se lance dans un changement drastique de son corps. Initialement jeune homme de 25 ans mince (60 kilos),  il se met à grossir démesurément et atteint en l’espace de quelques mois 140 kilos!  Il veut disparaitre…. en devenant son père. La transformation corporelle est troublante: obèse, il s’habille de grands vêtements classiques amples, se laisse pousser une barbe et décolore ses cheveux. Il « devient » un homme de 60 ans. En témoignent de nombreux autoportraits illustrant cette métamorphose, dont un particulièrement frappant  » Lady Godzilla » , où son énorme stature prend la forme d’un personnage hybride irréel, entre homme et stégosaure .

Andrea Bellini, Directeur du Centre Contemporain de Genève, avec Céline Fribourg à droite

L’expérimentation, l’innovation technique… jusqu’à l’Alchimie

La clé fondamentale de son travail artistique réside dans l’expérimentation. Son oeuvre s’inscrit dans une série de cycles créatifs sans aucun lien les uns avec les autres. Aucune continuité ou évolution dans son Art, mais une succession d’obsessions à chaque fois nouvelles, qui le poussent à repartir de zéro, comme un grand saut dans l’inconnu.

Asincroni et Mappemondes

Je découvre, au troisième étage, une série de dessins étonnants, les « Asincroni » (2002-2006). Ils sont le fruit d’une méthode créative intéressante: Cuoghi dessine, sur des papier calques, différents essais. L’image finale résulte de la superposition de toutes ces feuilles. Ainsi elle est concrètement la somme ou la mémoire de toutes les étapes de sa conception. L’artiste aime aussi jouer à l’apprenti sorcier. Ainsi, se met-il à créer des images très précises sans dessiner, uniquement par des procédés chimiques mystérieux d’altération ou de coloration des matériaux et du verre.

Dans la même période, il réalise une série de mappemondes grandioses (collection Pinault), où il superpose les calques successifs de ses tentatives pour restituer, de mémoire, le tracé des continents.  Le résultat est spectaculaire et donne l’effet de mondes mouvants.

Roberto Cuoghi – Cartes du monde (2003)  photo:©AnnickWetter

Autoportrait et portrait de grands collectionneurs

Suivent des séries d’autoportraits où Cuoghi joue à être quelqu’un d’autre. Il se représente en personnages variés: Grand propriétaire d’une marque de cigares, gangster, génie ou encore sous les traits d’un cousin suicidé.

Roberto Cuoghi -Portrait du collectionneur Dakis Joannou, ©Thegazeofaparsienne

Dans la salle suivante, je tombe en arrêt devant le portrait d’un homme qui ressemble à une peinture religieuse ancienne avec des codes d’aujourd’hui: à la fois fascinant et terrifiant!  C’est un des portraits de collectionneurs. Dès 2001, Cuoghi avait commencé à faire le portrait d’amis artistes, auquel il ajoutait des marques de violence: cocard, nez cassé, trace de poignard, etc… De façon  inattendue, les plus grands collectionneurs du monde se sont précipités pour lui commander des portraits de ce type. L’artiste va alors plus loin dans la  violence et représente ses mécènes portant des stigmates de décomposition, de mort, voire enterrés. De cette série de commande, est exposé le portrait de Dakis Joannou, que Cuoghi réalise à la manière d’un bas relief sculpté du XV ème, fait de cire, de vrai cheveux, de petits jouets d’enfant…Une image détonnante, entre humain et créature fantasmagorique.

Talismans, Superstition, Idolâtrie… puis l’invasion des Crabes

En 2008, pris d’une nouvelle monomanie, l’artiste se tourne vers les sujets de la superstition, la religiosité et l’idolâtrie. Il se lance dans une multiplicité obsessionnelle de représentations de Pazuzu, talisman protecteur inspiré des assyriens anciens. C’est l’occasion, pour Cuoghi, d’étendre son champ d’expression à la sculpture, spécialité totalement inconnue de lui, qu’il aborde en autodidacte. Là encore, il se passionne pour l’expérimentation de nouveaux matériaux qu’il soumet à des réactions chimiques diverses, allant jusqu’à observer leur usure sous l’effet de bactéries!

Il poursuit cette exploration avec son dernier grand projet sculptural « Putiferio« . Sur l’invitation du mécène Dakis Jaonnou, l’artiste se rend sur l’ile d’Hydra en Grèce, pour y concevoir une exposition. Cuoghi décide de créer une mer de crabes en céramique, pour remplacer ceux qui ont disparu de l’ile. Dès lors, il s’arme d’une imprimante 3D et de crabes surgelés achetés en grandes surfaces pour élaborer les formes, et d’une multitude d’ingrédients divers (solvant, pop-corn, vitamines, aliments, …) pour tester de nouvelles couleurs, brillances etc. Il fabrique également des fours artisanaux afin d’obtenir des cuissons atteignant 1000 degrés. Lors du vernissage de l’exposition en 2016, Cuoghi réalise une performance où il cuit ses crabes en public et les « pêche » directement dans les fours !

« Son œuvre, qui ne ressemble déjà pas à elle-même, ne ressemble à celle d’aucun autre. »  Andrea Bellini

Il n’est pas étonnant que l’Art de cet artiste hors norme, énigmatique, excessif, habité d’une étrange folie obsessionnelle, suscite une non moins étrange fascination. Comme un sortilège, les 70 oeuvres présentées dans le parcours Perla Pollina envoûtent par leur démesure, surprennent par leur créativité délirante, subjuguent par leur esthétique singulière.

Caroline d’Esneval

Centre d’art Contemporain Genève click

Roberto Cuoghi : « Perla Pollina »

Centre d’Art Contemporain de Genève

Jusqu’au 30 Avril !!

 

 

Un commentaire

  • Glomérule Néphron

    J’ adore ses créations. De plus l’artiste expérimente sans cesse pour trouver de nouveaux supports, de nouvelles couleurs, un rendu différent, ce qui lui permet d’avoir une oeuvre en perpétuelle évolution. De très belles photos pour cet article. Merci.

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