Alberto Giacometti – Ouverture de l’Institut Giacometti

Quand je me promène dans la rue et que je vois une poule de loin et tout habillée, je vois une poule. Quand elle est dans la chambre et toute nue devant moi, je vois une déesse »  Alberto Giacometti, extrait  de L’atelier d’Alberto Giacometti de Jean Genet

5 rue Victor Schoelcher, une belle adresse dans ce quartier de Montparnasse, mythe d’une époque où le centre du monde artistique se retrouvait. Des années folles de création, des ateliers et en particulier celui d’Alberto Giacometti. A cette adresse, dans ce ravissant hôtel particulier Art Déco de l’artiste décorateur Paul Follot, le nouvel Institut Giacometti  y a installé son atelier.

Coin cheminée par Paul Follot.
Crédit Photo : @edtr.photography

Gravures, sculptures, peintures, dessins s’emmêlent sur ces morceaux de murs transportés dans ce nouvel espace. Nous avons tous dans la tête ces photos noir et blanc de son atelier qui donnent cette idée plutôt sombre. Et pourtant devant ces morceaux de fresques si proches de nous, ces couleurs lumineuses, claires, ces jaunes, ces ocres nous offrent une autre idée de ce lieu.

Sur une étagère est posée une tête d’Aménophis à côté d’une sculpture de Gudea, Egypte ancienne et Mésopotamie,  des civilisations qui se croisent dans l’expression du sculpteur.

Alberto Giacometti « Quatre femmes sur socle » 1950 – Fondation Giacometti – Crédit Photo : @edtr.photography

C’est toujours merveilleux d’avoir cette impression de découvrir les secrets d’un tel endroit, l’atelier est pour moi un mot magique lorsque je pense à un artiste.

Entrée fracassante,  dans le salon bibliothèque. je suis accueillie par Les sentinelles majestueuses, à la fois archaïques et tellement contemporaines

Alberto Giacometti « Femmes de Venise » 1956 Plâtre peint. Fondation Giacometti. Crédit Photo : @edtr.photography

Dans le secret de son atelier, c’est le propos de cette exposition inaugurale qui ouvre ses portes dans quelques jours.

L’histoire d’une rencontre entre deux monstres du XXe siècle Alberto Giacometti et Jean Genet. L’écrivain était une des rares personnes à pouvoir se rendre dans cet atelier à tout moment, une relation forte s’établit entre les deux hommes et sera source d’inspiration pour tous deux. Depuis ce jour, où, frappé par le visage de l’écrivain installé à une table de café à Montparnasse, le sculpteur demande alors à son ami Jean-Paul Sartre de le présenter. C’est  alors, le début d’une amitié, d’une première séance de pose, de premières discussions « la beauté d’un visage, le tabac, la lumière du jour ».  Jean Genet écrit son Hommage à Giacometti publié par l’Arbalète en 1953 qui deviendra par la suite L’atelier d’Alberto Giacometti.

Dans ce petit espace de l’atelier, sous les nuages de poussière, proche d’un chien en plâtre, des têtes, partout, entre quatre murs crayonnés de toutes parts, deux oeuvres sont réalisées de concert.

Alberto Giacometti « L’atelier » Fondation Giacometti

Les séances de pose interminables, l’écrivain est assis immobile sur une chaise paillée,  sont entrecoupées de lectures du manuscrit des passages de « L’Atelier » . Giacometti intervient, révèle ses pensées.

Extrait L’atelier d’Alberto Giacometti de Jean Genet :

Moi (Jean Genet). – Vous allez encore vousq foutre de moi, mais j’ai une drôle d’impression. Je ne dirai pas qu’elles y gagnent, mais que c’est le bronze qui a gagné. Pour la première fois de sa vie le bronze vient de gagner. Vos femmes, c’est une victoire sur le bronze. Sur lui-même, peut-être.

Lui. – Il faudrait que ce soit ça. 

Il sourit. et toute la peau plissée de son visage se met à rire. D’une drôle de façon. Les yeux rient, bien sûr, mais le front aussi (toute sa personne a la couleur grise de son atelier). Par sympathie peut-être, il a pris la couleur de la poussière. Ses dents rient écartées et grises aussi – le vent passe à travers. 

Alberto Giacometti – Fondation Giacometti
Crédit Photo : @edtr.photography

Il regarde une de ses statues :

Lui. – c’est plutôt biscornu, non ?

Ce mot il le dit souvent. lui aussi est assez biscornu.

Ils parlent du Sphinx* , maison close située 31 bd Edgar Quinet, de ses femmes les poules qui deviennent les déesses de Giacometti et inspirent l’écrivain pour sa pièce Le Balcon, la couverture sera confiée à Giacometti.

Le sculpteur met en scène ses déesses, la cage devient le théâtre où se jouent les secrets d’alcôves, une femme entrouvre les rideaux…

Alberto Giacometti. « La cage », première version 1949-1950, bronze . Fondation Giacometti. Crédit Photo : @edtr.photography

1957, sera l’année du dernier portrait de l’écrivain, après cette date ils ne se reverront plus. Jean Genet  dira de son ami qu’il était le seul homme qu’il ait admiré.

Un endroit de rêve, secret, niché face à ce cimetière Montparnasse, construit entre 1912 et 1914, transition entre Art Nouveau et Art Déco. Tout est beau, harmonieux,  le sol mosaïque, les poignées , les vitraux aux décors stylisés, les boiseries… Une ambiance feutrée, un coin de cheminée, un livre dans les mains,  le temps s’arrête, sous le regard de ces femmes hiératiques en plâtre. Etre si proche d’elles, de ces fragments de vie de Giacometti, n’est possible que dans cette maison. En partant, j’emporte avec moi toutes ces images enchanteresses, qui font que Paris nous attire tant.

Florence Briat Soulie

https://www.fondation-giacometti.fr/fr/nos-expositions/a-linstitut

Les décors de cet hôtel particulier ont été préservés et restaurés par l’architecte en chef des monuments historiques Pierre-Antoine Gatier. Le réaménagement de l’espace et la scénographie ont été confiés à l’architecte Pascal Grasso.

*LE SPHINX maison-close créée en 1931 par Marguerite Marthe Le Mestre, dite « Martoune » avec un décor à l’égyptienne. Beaucoup de personnalités s’y retrouvaient : Marlène Dietrich, Mistinguett, Kiki de Montparnasse, Colette, Youki Foujita, George Simenon, Kisling…

Bibliographie :

Jean Genet : « L’Atelier d’Alberto Giacometti » Editions l’Arbalète et « Le Balcon » Folio.

Catalogue : Giacometti/Genet L’atelier d’Alberto Giacometti vu par Jean Genet – Fage éditions – Institut Giacometti.

Maisons closes 1860-1946 – Editions Nicole Canet – Galerie au Bonheur du Jour.

Joseph-Antoine Angeli Paul Follot, un puriste en art-déco 1877-1941 – Editions Persée

Paul Follot https://misskonfidentielle.com/2016/12/27/paul-follot-un-puriste-en-art-deco/

L’atelier d’Alberto Giacometti vu par Jean Genet

du 26 juin au 16 septembre 2018

5 rue Victor Schoelcher 75014 Paris

Jean Genet : « L’Atelier d’Alberto Giacometti »Editions l’Arbalète « Le Balcon » Folio
Catalogue de l’exposition Giacometti/Genet

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