Un soir à l’Orangerie…avec Monet

Claude Monet (1840-1926) "Les nymphéas" Musée de l'Orangerie
Claude Monet (1840-1926)
« Les nymphéas »
Musée de l’Orangerie

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Article d’Anne Lesage, suivi d’un entretien entre Florence Briat-Soulie et  Alexandre Duval-Stalla. auteur de  Claude Monet – Georges Clémenceau : une histoire, deux caractères. Folio. 2013.

Hier soir, l’Orangerie nous ouvrait ses portes. Rendez-vous fixé pour un apéritif à base d’agrumes dans le nouvel espace café restaurant qui jouxte la librairie. Un signe des temps… enfin, se retrouver face à face non plus avec un écran mais des œuvres véritables et totales. Rencontrer ses pairs et non des followers ou des likers…

Musée de l'Orangerie
Musée de l’Orangerie

Laurence des Cars, la Directrice tonique du musée de l’Orangerie nous accueille et annonce les évènements phares de la saison prochaine. Je retiens « Qui à peur des femmes photographes ?  » une grande exposition prévue pour l’automne en deux volets qui sera montrée simultanément au Musée  d’Orsay (pour la partie XXème siècle )  et celui de l’Orangerie (pour la partie XIXème siècle).  Peut-on parler de la  photographie de femmes qui  se sont en effet approprié ce médium dès ses débuts… A l’instar du musée du Jeu de Paume, voisin place de la Concorde qui depuis plusieurs années définit une programmation où la présence des femmes photographes est remarquable : Diane Arbus,Claude Cahun, Florence Henri, Vivian Maier, Laure Albin Guillot ou Germaine Krull. Comme il nous tarde de découvrir qui sont les pionnières de la photographie…

Amedeo Modigliani (1884-1920) "Paul Guillaume"
Amedeo Modigliani (1884-1920)
« Paul Guillaume »

Laurence des Cars évoque la prochaine  Nuit blanche le 3 octobre et le lancement d’un intéressant face à face qui aura lieu à peu près tous les deux mois:  Concerts de piano in situ dans les salles des Nymphéas de Claude Monet. De Debussy à Philip Glass. Génial !

Des plasticiens contemporains aussi seront invités à poursuivre ce dialogue avec  les Nymphéas : Gérard Garouste, Agnès Varda et Claire Tabouret… très beau « casting » prévu pour le printemps 2016…

Les Nymphéas encore, par lesquels je commence cette visite privée ,  dont je ne parviens pas à me lasser au fil des années et au milieu desquels je veux prendre le temps ; L’occasion est belle : nous sommes si peu nombreux.  Ces magnifiques décorations offertes à la France victorieuse par Claude Monet soutenu par Clemenceau,  sont bien plus estimables que toutes les médailles de guerre réunies. Une œuvre d’abord aimée grâce au principe de sérialité par lequel Monet parvient à saisir l’impossible : le temps. Là où certains parleraient  de démarche  conceptuelle, on comprend que l’obstination de Monet à faire, à refaire , à détruire parfois -preuve de son exigence-  n’est  rien d’autre qu’une aspiration à un art total . Monet qui a peint ses Nymphéas en plein chaos (la mort de sa femme, puis de son fils, une guerre apocalyptique et sa cataracte), est allé jusqu’à concevoir un étang pour les observer et un atelier pour les peindre , puis un écrin pour les exposer…

Musée de l'Orangerie
Musée de l’Orangerie

A Giverny le motif est lumineux alors que le monde bascule dans les ténèbres. La cataracte filtre la  perception du peintre qui se replie sur lui même, s’obstine, hésite. Seul, avec ses paysages intérieurs et surtout avec les encouragements de Clemenceau sans qui rien n’aurait été possible. Les salles de l’Orangerie conçues pour recevoir les grandes décorations des l’origine n’ont aujourd’hui pas changé et nous tiennent toujours  éloignés,  du tumulte et du chaos de notre monde contemporain , hors du temps. Comme Monet l’était à Giverny.  Lieu intemporel que celui où nature et peinture se confondent, car sorti du musée,  à quoi pense t’on aujourd’hui lorsqu’on observe des nymphéas en milieu naturel… sinon à Monet, le peintre ? Lui qui regardait ses Nympheas en pensant Peinture…

Henri Matisse (1869-1954) "Odalisque avec culotte grise" huile sur toile, 1927. Musée de l'Orangerie.
Henri Matisse (1869-1954)
« Odalisque avec culotte grise » huile sur toile, 1927.
Musée de l’Orangerie.

Alors Laurence des Cars a bien raison d’initier autour de ce cycle une série de concerts où les sons illustreront les tons. Évidemment pour notre plus grand bonheur. Je compte bien y passer un moment a écouter les œuvres de  Philip Glass !

Enfin, nous avons visité les salles où est présentée la collection de Paul Guillaume et sa femme la diabolique Domenica-Juliette . Dommage que les sculptures africaines , les œuvres cubistes de Picasso, les Fautrier aient été vendus par celle ci après la mort prématurée de son époux et son remariage avec l’architecte Walter. Mais il reste Cezanne, Derain, un Matisse (odalisque) sublime. A travers cette collection et sa rocambolesque histoire on perçoit  l’avant-garde des années 20 les destins fracassés de Guillaume et de Walter et le rôle  joué par le  premier ministre de la culture , André Malraux

Un soir à l'Orangerie
Un soir à l’Orangerie

A l’Orangerie, l’état français s’est imposé comme le grand mécène du XXeme siècle…

Pour en savoir davantage sur les conditions de ces donations à l état français, il faut lire l’excellent article écrit par Vincent Noce en 2010: http://www.liberation.fr/culture/2010/02/10/domenica-dans-ses-basses-oeuvres_609015

… Et ne pas cesser de lire sur l’amitié qui lia Monet et Clemenceau à l’origine de cette Donation à l état français.

 

 

 

 

Entretien avec Alexandre Duval-Stalla. Claude Monet – Georges Clémenceau : une histoire, deux caractères. Folio. 2013.

« ..Aussi quand Clémenceau arrive à Giverny pour le déjeuner ce 18 novembre 1918 …En définitive ce ne sont pas deux tableaux que Monet Offrira à la France, mais une suite de vingt-deux panneaux qui forment les Nymphéas du musée de L’Orangerie….Double don de Monet et Clémenceau à la France au nom de leur amitié… » p. 16 et 17

…Toute sa vie Claude Monet a refusé les honneurs officiels… Monet se montre très critique à l’égard de Renoir qui a accepté d’être décoré : « J’en suis très attristé et Renoir le sent si bien qu’il m’écrit comme pour s’en excuser, le pauvre homme, et n’est-ce-pas, en effet, bien triste de voir un homme de son talent, après avoir lutté tant d’années et être si vaillamment sorti de cette lutte malgré l’administration, accepter la décoration à l’âge de soixante ans ! Quelle triste chose que l’être humain ! C’eût été si chic de rester tous vierges de récompenses mais qui sait ?… » extrait p.183

Alexandre Duval Stalla Claude Monet - Georges Clemenceau : une histoire, deux caractères. Biographie croisée Première parution en 2010 Collection Folio (n° 5599), Gallimard Parution : 13-06-2013
Alexandre Duval Stalla
Claude Monet – Georges Clemenceau : une histoire, deux caractères. Biographie croisée
Première parution en 2010
Collection Folio (n° 5599), Gallimard
Parution : 13-06-2013

FBS : Pourquoi avoir écrit sur Monet et Clémenceau ?

Alexandre Duval-Stalla : J’avais déjà écrit un premier livre sur De Gaulle et Malraux, et j’avais envie d’écrire sur l’impressionnisme et sur Manet que j’aime beaucoup. Cette utilisation de la couleur noire est extraordinaire, j’étais très fan, mais même si il a peint un portrait de Clémenceau, il n’a jamais été aussi proche de lui que Monet.

Cette histoire n’avait jamais été vraiment racontée, seulement évoquée. Une amitié très fraternelle, quand on lit les lettres , elles sont extraordinaires et incroyables. Et cela permettait de réunir à la fois une histoire politique mais aussi une histoire picturale.

Avec Monet, il y avait une histoire de sa peinture, ses combats, des liens très forts avec les impressionnistes et la IIIe république.

Cela permettait de raconter l’impressionnisme , comment ce mouvement s’est imposé et a révolutionné la peinture moderne et en même temps et de raconter cette belle amitié entre ces deux caratériels.

FBS: Leur amitié  a débuté très tôt, ils se sont rencontrés très jeunes..

A DS:  Tous les deux ont 20 ans, l’un étudiant en médecine et l’autre en art. Monet pendant cette période là ne fait pas grand chose que d’être dans les cafés , dans des discussions de jeunes de 20 ans pendent des heures à boire et à fumer. Ils vont se rencontrer dans ce quartier latin qui est le foyer de cette agitation républicaine sous le second empire encore et là vont se nouer des liens entre une jeune génération qui a envie de  réussir et de faire des choses et d’attacher leur liberté de penser et de créer. A mon avis, une amitié un peu reconstituée après coup car Clémenceau aurait dit »Déjà l’on  se disait : c’est du Monet  » alors qu’à l’époque Monet a très peu peint.

Auguste Rodin (1840-1917) "Georges Clémenceau" Bronze, 1911
Auguste Rodin (1840-1917)
« Georges Clémenceau »
Bronze, 1911

FBS : Clémenceau a-t-il toujours soutenu Monet ?

ADS : Entre 20 et 50 ans, ils ne vont plus se revoir, et à partir de 50 ans, effectivement, c’est le renouveau de Monet, car vers 1880, il est dépassé par les néo-impressionnistes et pointillistes Signac, et pour lui, la nécessité de se renouveler pour éviter de refaire toujours la même chose, donc vraie remise en cause chez lui avec Paul Durand Ruel qui lui demande ce qu’il fait, car son travail n’est plus à la hauteur de sa réputation. Le génie de Monet c’est d’avoir effectivement réussi à se réinventer par les séries. La série des cathédrales de Rouen qui va permettre de renouer l’amitié avec Clémenceau. Une histoire à trois car Gustave Joffroy, critique d’art du journal « La Justice » de Clémenceau est à Belle-Isle, quand Monet y fait sa série, ils vont alors se rencontrer par hasard et s’entendre tout de suite et passer leurs dimanches à trois.

FBS : Clémenceau , qu’aimait-il dans la peinture ?

ADS : Clémenceau a passé sa vie à faire de la politique, mais à un moment suite au scandale de Panama, il va perdre les élections, et donc il va y avoir dix ans, où il sera journaliste, ce seront les dix ans qui vont lui permettre de passer à autre chose, l’affaire Dreyffus mais aussi il va s’intéresser à plein de choses, notamment la peinture, les impressionnistes, il sortira beaucoup et ce véritable engouement sur la peinture de Monet et d’ailleurs le premier article qu’il va écrire en 1895 sur les cathédrales emporte la marque car c’est un article très très beau et pas seulement de circonstance. On voit qu’il a réfléchi à la question esthétique.

Claude Monet (1840-1926) "Les nymphéas" (détail) Musée de l'Orangerie
Claude Monet (1840-1926)
« Les nymphéas » (détail)
Musée de l’Orangerie

FBS : Quels sont les autres peintres qu’il a aimé ?

ADS : Il était ami avec d’autres artistes, mais jamais la même relation qu’il avait avec Monet, il a soutenu beaucoup Manet, il a défendu l’Olympia , malgré les crachats des censeurs. Ensuite il va y avoir une souscription publique pour que l’Olympia  puisse rentrer dans le collections de l’état,  le tableau sera placé d’abord au Musée du Luxembourg et finalement au Louvre et après son ouverture,  au musée d’Orsay qui a permis de réunir les impressionnistes.

FBS : C’est un peu le Malraux de l’époque ?

ADS : Olympia c’est 1867, quand il rentre dans les collections c’est après 1900, donc on s’est habitué à la peinture des impressionnistes

FBS : Comment vous êtes vous documenté ?

ADS : Beaucoup de choses ont été publiées, biographies de l’un et l’autre, très riches et le catalogue raisonné de Wildenstein, dans le 5e tome sont reproduites beaucoup de lettres. Il y a un livre sur la correspondance Clemenceau et Monet.

Le seul problème est que Clémenceau a brulé ses lettres.

FBS: Quels sont vos projets ?

ADS: Un livre sur Napoléon Chateaubriand.

Anne Lesage et Florence Briat Soulié

Correspondance Claude Monet – vente Artcurial

http://thegazeofaparisienne.com/2015/01/15/libres-comme-les-impressionnistes-de-paul-durand-ruel/

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Claude-Monet-Georges-Clemenceau-une-histoire-deux-caracteres

 

 

 

3 commentaires

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