20 ans au MAHJ avec Sigmund Freud

Par Laetitia Launiau

Exposition à voir !

Pour fêter ses 20 ans, le MAHJ (musée d’art et d’histoire du Judaïsme) organise une exposition sur Sigmund Freud. Ce neurologue méconnu en France dans les années 20 était un scientifique extrêmement rigoureux.  Se disant athée car il prônait une science universelle,  Freud revint à ses origines judaïques vers la fin de sa vie.

Grâce au talent du scénographe Hubert le Gall, le chemin scientifique, intellectuel et spirituel à travers les petites salles du musée est un plaisir fluide et une formidable source d’enrichissement. L’exposition est rythmée par les objets, écrits et dessins du médecin scientifique et est mise en lumière grâce à des peintures, objets, dessins, affiches, sculptures d’artistes contemporains de Freud.

Elle a pour toile de fond l’évolution du travail médical, scientifique et psychanalytique de Freud. Une visite ponctuée par 3 grandes oeuvres : le tableau de E-L Pirodon, “une leçon du docteur Charcot à la Salpêtrière”, le tableau de G. Courbet “l’Origine du monde” et la sculpture en moulage de plâtre du Moïse de Michel Ange prêté par le musée des beaux-arts.

Charcot son mentor, Freud collectionneur

Tout commence avec ce tableau mettant en image une scène de théâtre de la folie avec comme personnage principal le docteur Charcot que Freud admirait non seulement pour son travail sur le corps mais aussi pour sa collection d’oeuvres d’art et son génie “visuel”.  Grâce à lui, non seulement Freud quitte le domaine médical pour entrer dans le monde étrange de l’hypnose destiné à guérir les comportements hystériques mais aussi, il va lui donner le goût de collectionner les antiques.

Orgueil et narcissisme :  théorie des  3 humiliations

L’exposition insiste sur les principales théories élaborées par Copernic, Darwin et Freud sur l’orgueil et le narcissisme humains. Des oeuvres illustrent les 3 humiliations de l’homme. Celle cosmique de Copernic qui ne place plus la terre au centre de l’univers L’humiliation biologique de l’homme avec la théorie de Darwin qui le considère non plus comme une créature de Dieu mais comme un descendant du singe. Enfin, son humiliation psychiatrique prôné par Freud lui-même où l’Inconscient prédomine sur le Moi.

 

Iconographie de la femme folle

Tout au long de l’exposition, une image qui se répète sans cesse : cette posture des malades de Charcot dans les hôpitaux et celle des actrices parisiennes dans les opéras,  que l’on retrouve au fil des siècles dans l’histoire de l’art, telle que “la médecine” de G. Klimt, “le Cri” de E. Munch ou “Méduse” de Caravage.

La méduse a toujours fasciné et bien avant Charcot, on baignait dans le climat de la folie et de l’emprise de la femme folle.   La psychiatrie s’inspire des images iconographiques, de la littérature et du théâtre.

Nadar (1820-1910) Sarah Bernhardt dans le rôle de Théodora, Bayeux après 1884

Pour Jean Clair, Freud est un homme du XIXe siècle, contemporain de Maupassant qui écrit “Chevelure” en 1884. Salle après salle, on traverse un théâtre de folies, de tumultes, de convulsions pour entrer dans un monde de silence, d’écoute et de parole.

Le divan – l’écoute du patient

La parole ne se libère qu’en l’absence de visage. On expérimente le divan, diwan qui donnera “douane”, lieu où les choses sont admises ou non. La position allongée favorise l’émergence de l’imaginaire et du transfert. Le patient est actif et la parole lui appartient. L’analyste caché derrière le patient est dans l’écoute. Freud explore le domaine de l’inconscient et découvre le pouvoir de l’interprétation des rêves. Il découvre également que l’inconscient est peuplé de fantasmes sexuels et violents.

L’artiste voyeur et exhibitionniste

Dans ses écrits, Freud décrit la “libido” comme une énergie vitale ayant sa source dans la sexualité. Mais pour lui il y a une contradiction entre le plaisir égoïste de l’individu et les attentes convenues sociales. Ce refoulement de la libido entraînerait les troubles psychiques et les névroses. Le rapport à l’image de la sexualité est compliqué. Le début du XXe siècle connaît un intérêt considérable sur ce sujet. A la fois chez les scientifiques mais aussi chez les artistes. Pour Freud, l’artiste est à la fois un voyeur et un exhibitionniste. En Europe , A. Rodin et J. Pascin ou G. Klimt, O. Kokoschka et E. Schiele à Vienne traitent de ce thème avec beaucoup de crudité.

Egon Schiele (1890-1918)

Mais Freud ne s’est pas intéressé à ces artistes, même s’il a eu quelques échanges avec Klimt. L’affiche de Kokoshka représentant une Pietà sanguinaire et violente, une femme qui tue l’homme, entre la lune et le soleil donne une dimension davantage morbide ou névrotique de l’acte sexuel qu’une image heureuse.

Oskar Kokoschhka (1886-1980) Affiche annonçant la représentation de sa pièce théâtre « Assassin, espoir des femmes »

Freud avait pressenti que montrer les organes génitaux n’était pas compatible avec la beauté de l’oeuvre d’art. Le célèbre tableau de Gustave Courbet, “l’Origine du monde” est un cas limite qui a suscité bien des polémiques.  Le psychanalyste Jacques Lacan propriétaire de cette peinture avait d’ailleurs demandé à son beau-frère André Masson de réaliser un panneau coulissant la dissimulant.

Freud proche du naturalisme et du symbolisme : erreur !

Freud est souvent rattaché au naturalisme et au symbolisme mais c’est une erreur. Le mouvement surréaliste qui s’est développé en Europe dans les années 20 part de l’idée qu’il existe un arrière-langage qui correspond à nos arrière-pensées. André Breton se passionne pour la psychiatrie et principalement pour le sommeil, le rêve, les hallucinations nocturnes, ces images visuelles ou auditives qui apparaissent fugitivement au moment de l’endormissement. Mais Freud n’a jamais compris ce mouvement surréaliste.

René Magritte (1898-1967) Le viol 1945 & Giorgio de Chirico (1888-1978) Le retour de Napoléon III 1917-1918

A. Breton venu l’interviewer à Vienne et qui rêvait d’une rencontre entre la science et la poésie sera éconduit par son maître à penser. Mais la rencontre de Freud avec Salvador Dali sera plus fructueuse  Le peintre réalisera d’ailleurs 3 portraits de lui, dont celui torturé réalisé à Figueras en 1938

Salvador Dali (1904-1989) Portraits de Sigmund Freud 1938

Retour à la religion de son père

La sculpture monumentale de Moïse termine l’exposition. Moïse, symbole de la religion judaïque mais également symbole de l’homme détruisant les Tables de la Loi parce que son peuple adorait des idoles, des images. Retour au Mot, à l’écoute et l’interprétation, proches de celles talmudiques

Le tableau de Rothko, artiste d’origine juive, témoigne d’une vision mutique, un champ coloré, aux couleurs du temple de Jérusalem, peinture imprégnée du Judaïsme

Mark Rothko (1903-1970) Untitled 1964 & Michel Ange (1475-1564) Moïse Moulage en plâtre de 1836

Il faut noter les trois exceptionnelles participations à l’origine de cette exposition :

Jean Clair, commissaire, : historien d’art, conservateur général des Musées de France, ancien conservateur en Chef au musée national d’art moderne au centre Pompidou et directeur du Musée national Picasso

Philippe Comar, conseiller scientifique : plasticien, scénographe et professeur de dessin et de morphologie aux beaux-arts de Paris

Laura Bossi, conseillère scientifique : écrivain neurologue

Musée d’art et d’histoire du judaïsme

71, rue du Temple – 75003 Paris
T. 01 53 01 86 60

Jusqu’au 10 février

https://www.mahj.org/fr/programme/sigmund-freud-du-regard-a-l-ecoute-74419

Michelangelo Merisi, detto il Caravaggio (1571 -1610) Medusa c. 1595-98 – Musée des Offices Florence

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