El Greco

Par Charlotte Le Grix de La Salle

Il est sans doute, parmi les grand maîtres, celui que l’on croit connaître alors qu’on ne le connaît pas. Ou si mal.

El Greco ?

Mais oui, bien sûr, la Renaissance espagnole flamboyante ! Non. Longtemps, ses oeuvres sont restées sous la poussière, dans les couloirs du Prado, quand Velàsquez et Goya étaient célébrés.

Non. Il n’est pas Espagnol.

El Greco, de son vrai nom Domenikos Theotokopoulos, est Crétois.

Un rebelle, inclassable

Il a peint en Grèce, puis à Venise, à Rome, et finalement à Tolède. Emigré, étranger, citoyen du monde avant l’heure, il absorbe les chocs esthétiques autant qu’il les crée, il critique et trompe son monde, il mue sans cesse, tente sa chance, réinvente encore et encore.

Alors que dans L’Assomption de la Vierge, aujourd’hui louée comme oeuvre majeure et placée magistralement au centre de l’exposition, on voit la parfait synthèse d’un Titien, d’Un Tintoret et d’un Michel-Ange, El Greco est un rebelle, inclassable. Un cas. Un avant-gardiste.

« L’Assomption de la Vierge » 1577-1579 Huile sur toile Chicago, The Art Institute of Chicago Cette oeuvre n’avait jamais voyage depuis son acquisition à Paris en 1904. Son prêt exceptionnel a été le point de depart de l’exposition.

1ère rétrospective en France

Pourquoi aura-t-il fallu attendre si longtemps pour jouir de la première grande rétrospective jamais consacrée à El Greco en France ?

Ce serait oublier que ces huiles du XVIème Siècle sont extrêmement fragiles et dispersées dans le monde. Quasi impossible de les faire voyager : cette exposition, qui rassemble 75 oeuvres, est un exploit. On y voit les icônes de ses débuts, des sculptures et des dessins, oeuvres rarissimes. Nous allons donc faire des allers-retours et vivre une rencontre.

Nu, étude pour le baptême du Christ.

Les icônes

L’iconiste. Il faut commencer par là. El Greco, dans sa Crète natale, est un artiste doué mais conventionnel. Il reproduit, sur commande, ces icônes, imageries religieuses aussi précieuses que convenues. Dans une scénographie en couloir et blanche comme les murs des villages grecs, voulue pour mettre en valeur son cheminement et l’apparition de son incroyable audace, se détachent au départ ces icônes.

El Greco est d’abord un puriste, qui maîtrise parfaitement les codes de la religion et de sa représentation. Nous sommes en plein Concile de Trente, la question de l’image est au coeur de toutes les réflexions. Il s’applique.

Autel portatif, dit Tryptique de Modène 1567-1569

et bien plus tard…

Sainte Véronique Vers 1580 Huile sur toile Tolède

L’apprentissage

Il quitte la Grèce à 25 ans, sans que l’on sache vraiment pourquoi, et Venise sera un choc. Le Titien et ses couleurs, un  nouveau langage. Mais nous sommes encore à l’heure de l’apprentissage, des miniatures et de la tradition. El Greco la respecte et apprend. On sait aujourd’hui, grâce aux livres annotés de sa main, à quel point il fréquente les bibliothèques et enrichit son savoir.

Mais il ne s’en contente pas. El Greco recherche l’aisance financière et se place, tout en écrivant sa singulière trajectoire. Du Palais de Farnèse, où il avait réussi à se faire recommander, il se fera chasser. Parce qu’il avait suggéré de repeindre la Chapelle Sixtine, le Pape étant fâché par certaines scènes de Michel-Ange bien trop évocatrices.

Jalousie ? Flagornerie ?

Cela le mènera à Tolède en 1576, où il trouvera enfin suffisamment de commandes et assez peu de concurrence pour libérer à la fois son appétit financier et sa liberté artistique. Sa carrière de portraitiste s’envole : il en a les codes, cette tendance maniériste qui allonge les visages et flatte les clients et déjà, cette acuité psychologique hors du commun.

Portrait d’Antonio de Covarrubias y Levia

Cet homme est un ami cher à lui. Il aime sa culture et sa bienveillance.

On voit dans ce portrait, à priori sévère, une grande liberté de touche. “C’est sans doute le plus grand portraitiste”, Charlotte Chastel-Rousseau, Conservatrice de la peinture espagnole et portugaise au Louvre.

Jeune garcon soufflant sur une braise Vers 1569-1570)

C’est à Tolède également qu’El Greco va laisser exploser son talent de coloriste. Baigné de la lumière grecque, nourri par Le Titien, adoubé par les Espagnols, il peut s’offrir le monumental, et même l’extase. Et la couleur devient le véhicule de tout le reste.

Pieta 1580-1590 Huile sur toile Cette oeuvre fait partie d’une collection privée “très fermée” (mots du commisaire de l’exposition) et n’a jamais été vue depuis les années 80. Il a fallu d’immenses efforts pour convaincre ses propriétaires de s’en séparer pour quelques semaines. Elle est très émouvante si l’on remarque la gestuelle, notamment des mains.

L’aventurier

Comme tous les génies, El Greco fait partie de la famille des oubliés : des siècles jusqu’à ce qu’à la fin du XIX ème Siècle, les écrivains, les avant-gardes voient à la fois cette subime  tradition et sa modernité. Dans ses couleurs, dans ses mues, dans le grandiose qu’il assume, dans ses intentions, il y a tout du Crétois, de l’aventurier, de l’humaniste plus que du mystique.

« L’ouverture du cinquième sceau, dit aussi La Vision de saint Jean » 1610-1614 – Huile sur toile – NY, The Metropolitan Museum of Art. Rogers Fund 1966. Aujourd’hui amputée dans sa partie haute, la toile était destinée à un retable de l’hôpital de Tavera à Tolède. Restée inachevée à la mort de Greco en 1614, elle ne fut jamais mise en place. Présente à Paris au début du XXe siècle elle inspira de nombreux artistes, dont Picasso.

Finalement, sans doute était-il un bandit de l’art, l’un de ces franc-tireurs qui traversent les Siècles.

« Les créatures de Greco, ne les croirait-on pas, souvent, déshabillées par la foudre ? elles restent nues sur place, immobiles dans l’attitude où elles furent surprises par la mort. Et leurs linges s’envolent, se tordent, s’arrachent au loin, figurant les nuages auxquels on ne peut pas ne plus revenir dès qu’on s’occupe de Greco... «  Jean Cocteau, Les Demi-dieux, Le Greco, 1943

GRECO – grand palais, Galerie sud-est

16 octobre – 10 février

https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/greco

Greco – Catalogue d’exposition / Éditions Rmn-Grand Palais 45€

Commissaire : Guillaume Kientz, conservateur de l’art européen, Kimbell Art Museum, Fort Worth, USA

Commissaire associée : Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice de la peinture espagnole et portugaise, musée du Louvre, département des Peintures
Commissaire de l’exposition à l’Art Institute of Chicago : Rebecca Long, Patrick G. and Shirley W. Ryan Associate Curator of European Painting and Sculpture before 1750, The Art Institute of Chicago, Chicago, USA
Scénographie : Véronique Dollfus

PLUS :

Podcast : FRANCE CULTURE / La Compagnie des oeuvres – 4 épisodes https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-oeuvres/le-greco-14-la-ligne-de-joie-du-greco

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