Julio Le Parc confinado

Un jour avec Julio Le Parc

Confinement oblige, mon rendez-vous à l’atelier de Julio Le Parc est reporté. Evidemment j’étais triste de devoir annuler cette rencontre avec ce grand artiste. L’idée m’est venue alors de lui demander une visite virtuelle, décrivant sa journée, par ces temps si particuliers.

L’artiste devant ses oeuvres : Alchimie 335 2000-2017 et Alchimie 337 2016

Je n’ai pas été déçue ! l’énergie d’un homme de 90 ans et plus ! son inventivité, sa créativité s’expriment dans ce petit film. L’âme de ce petit garçon argentin, très doué pour le dessin est restée immuable, un sacré tempérament ! Une enfance passée en Argentine, au pied de la Cordillère des Andes à Mendoza.

Mendoza, Argentine ©YumikoSeki

Evidemment comme dans la pub, Julio n’était pas bon élève , il ne dessinait pas des couverts, mais des portraits de célébrités et aussi les cartes !

A 14 ans, à Buenos Aires, lui et sa famille s’y sont installés, il fait des petits boulots, il n’oublie pas le dessin et prépare l’Ecole des Beaux-Arts de la capitale d’Argentine. Il a comme professeur Lucio Fontana, auteur des Concetti spaziali. (grande rétrospective de l’artiste a eu lieu au Musée d’Art Moderne de Paris en 2014. Julio Le Parc s’intéresse très vite au mouvement d’art concret lancé par le sculpteur.

Julio Le Parc Confinado / réalisation Gabriel le Parc.

Ainsi que Julio Le Parc en fait le récit (dans la Gazette Drouot, 3/11/2017 à l’occasion de l’exposition, « Bifurcations », à la galerie Perrotin), « dans les années 1940, j’étais étudiant aux Beaux-Arts de Buenos Aires. À l’époque, des peintres figuratifs argentins, dans la lignée des muralistes mexicains, se partageaient la scène avec Arte concreto-Invención, groupe adhérant aux thèses du matérialisme dialectique, à l’idéologie marxiste. Ces derniers m’intéressaient, car ils défendaient une œuvre sociale, à travers une production de tableaux aux formes primaires, géométriques, aux couleurs limitées. En 1958, l’exposition de Victor Vasarely au Buenos Aires Fine Art Museum et la lecture des écrits de Piet Mondrian finirent par me conforter dans ma recherche d’abstraction, du mouvement et de la vision périphérique.»

Vue de l’atelier à Cachan. © Claire Dorn – 2017

L’Ecole des Beaux-Arts à Buenos Aires

Aux Beaux-Arts, il participe activement aux mouvements étudiants, virant le directeur de l’école, donnant des points aux professeurs, un vrai monde à l’envers qui montre la détermination de l’artiste, un sentiment qui ne le quittera jamais .

En 1958, il obtient une bourse pour Paris, qui est encore la capitale mondiale de l’art, avant New York. Tout intellectuel d’Amérique latine a deux patries : la sienne et la France tant les relations politiques, artistiques et culturelles sont intenses entre la France et l’Amérique du Sud, notre soeur latine. La France et l’Amérique latine ont créé à Paris la Maison de l’Amérique latine (MAL) boulevard Saint-Germain dont les 50 ans ont été célébrés en 2017. Paris accueille ainsi au même moment, dans les années 50, deux grands artistes, qui s’appellent Julio, Julio le Parc et Julio Cortazar.

Paris

Il fait des rencontres décisives avec entre autres Vasarely, Morelet, la galériste Denise René, spécialiste de l’art cinétique. En 1960, il fonde avec une dizaine d’artistes dont Morellet , le GRAV (Groupe de recherche d’art visuel), n’hésitant pas à critiquer l’art cinétique de cette époque, cherchant à dépasser les limites de ce mouvement.

1966, année de sa première exposition à la Galerie Denise René, il lance « Une journée dans la rue », où l’artiste fait participer le visiteur dans une sorte de happening pour abolir la distance entre le grand public et l’artiste. Artiste socialement engagé,

l’artiste dénonce l’élitisme du milieu artistique des institutions et des galeries, qui excluaient un certain public considéré comme incapable de comprendre l’art de notre temps. De l’Opéra à Saint-Germain-des-Près, les oeuvres et les objets sont exposés dans la rue, un questionnaire est remis au public, dans la rue, et le fait participer à la manifestation. Mais, à la différence du happening, l’artiste se met en retrait pour privilégier l’interaction entre le spectateur et l’oeuvre. On mesure toute l’actualité contemporaine de Julio Le Parc dans le contexte du marché de l’art du XXIème siècle. Cette même année, il obtient le grand prix international de peinture de la biennale de Venise. Les formes, l’espace et la lumière… Il fait ses premiers essais sur les images démultipliées en plexiglas.

Haute-couture

Le couturier Paco Rabanne remarque le travail de Julio et s’inspire pour créer la fameuse robe en aluminium présentée à son défilé de 1966  Douze Robes Importables En Matériaux Contemporains.

« C’est surtout Le Parc qui allait m’influencer lors de ma première collection Haute-Couture ou son utilisation de carrés d’aluminium, bougeant au moindre souffle me donna l’idée de ma première robe – car je désirais a l’époque faire des vêtements conformes et en  harmonie avec les arts de mon époque ». Paco Rabanne, Paris, 24 mars 1995.

Mai 68

1968, Révolution ! Julio Le Parc est un artiste engagé. Pour lui, l’expression n’est pas galvaudée. Il intègre, avec d’autres membres du GRAV, l’atelier populaire des Beaux-Arts avec Gérard Fromanger. Dans cette création spontanée, dans l’esprit révolutionnaire de mai 1968, s’élaborent des affiches, des slogans, des lithographies, avec également l’utilisation de la sérigraphie encore peu utilisée sauf, précisément, des artistes du GRAV. Expérience unique où l’artiste se dissout dans un mouvement collectif et anonyme, aucune production n’étant signée. Une expérience révolutionnaire à l’état pur mais rattrapée par le réel. En raison de sa nationalité, Julio Le Parc est expulsé de France, il retire sa participation à Documenta et part en Espagne, André Malraux le fera revenir. Le GRAV est dissous.

Vue de l’atelier à Cachan. © Claire Dorn – 2017

Julio Le Parc est toujours en quête d’expérience sur l’art, son devenir, ses possibilités, la participation du public et les matériaux. Un artiste qui vit et travaille avec son époque, qui avance, une détermination qui ne laisse aucune concession et il le prouve toujours.

Exposition à pile ou face

Artiste radical, Julio Le Parc refuse de participer à l’exposition « 60/72 Dix ans d’art contemporain en France » au Grand Palais. Cette rétrospective, qui se voulait une réponse à l’hégémonie de l’art américain, est mise en scène par François Mathey, conservateur en chef du MAD, grande figure pionnière de la scène artistique française de l’époque, assité d’Alred Pacquement, et répond au souhait du président Georges Pompidou et du ministre de la culture, Jacques Duhamel. Julio Le Parc refuse de prêter ses oeuvres à la rétrospective et participe avec des amis du Front des artistes plasticiens (FAP) à une manifestation le jour du vernissage, « scandalisé par une exposition de prestige qui dissimule situation réelle des artistes «  – Jérôme Peignot, porte-parole du FAP (voir sur Lumni le reportage de l’ORTF sur le site de l’INA : ) et manifeste au moment du vernissage. Au même moment, le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris lui propose une exposition. Etant donné son absence au Grand Palais, pouvait-il accepter de participer à une exposition au Palais de Tokyo ? En 1973 , il est alors capable de jouer à pile ou face par un de ses fils, cette importante rétrospective, et c’est face qui gagne ! Il se plie au résultat et l’exposition ne se fera pas. Défenseur infatigable des droits de l’homme, il lutte en ces sombres années 70, contre les dictatures d’Amérique latine, qui submergent le continent.

Décidément, entre Fromanger, son grand ami qui quitte la galerie Maeght et lui qui dit non au musée d’art moderne parisien, en ce temps là un vent de nouveauté, de créativité souffle sur la scène artistique, abstraction, figuration, tout est possible.

Le maître de la lumière

Les amateurs du Vieux Continent ont souvent une vision très stéréotypée de l’art d’Amérique latine : peinture naïve liée au muralisme mexicain, art colonial ou militant. Force est de constater que ces courants sont encore très présents, à des degrés divers, dans l’histoire, la culture, les pratiques et l’imaginaire de ces pays. Mais on oublie que le continent a vu naître les grands noms de l’art cinétique si l’on excepte le Hongrois Vasarely : Carlos Cruz-Díez et Jesús-Rafael Soto, tous deux Vénézuéliens, ainsi que l’Argentin Julio Le Parc, figurent parmi les cinq cents artistes les plus cotés au monde depuis de nombreuses années

Années 2000

Le maître de la lumière, ses installations prennent place harmonieuses et volontaires comme un ballet auquel le regardeur serait invité, un jardin des ombres et lumières enveloppant les visiteurs. Des oeuvres pour le public qui s’offrent à tous généreusement, nous entrainant dans ses expériences où poésie et mathématiques se rencontrent.

Mes œuvres sont faites. Elles durent et ne durent pas. En outre, je les appelle surtout recherches. De cette façon, elles ont moins prétention à l’immortalité. Dans la plupart de mes recherches, les contingences extérieures — Iumières, etc. — jouent un rôle très important. On peut donc dire qu’elles n’existent que quand le rapport entre les éléments et les contingences extérieures se fait. Et si le spectateur peut être considéré comme une part de ces contingences extérieures, on peut dire qu’avec des matériaux fragiles comme avec des matériaux solides, mes œuvres ne durent que le temps d’un regard. Julio Le Parc – Extrait de l’interview publié dans le premier numéro de Robho en juin 1967.

Le Grand Palais,

le Palais de Tokyo

Sans le connaître encore, j’ai fréquenté Julio Le Parc pour la première fois lors de l’exposition Fromanger au Centre Pompidou. Il témoignait avec le commissaire de l’exposition et j’avais été impressionnée par son alacrité. L’exposition « Dynamo » au Grand Palais en 2013 avec celle du Palais de Tokyo, qui lui consacre la première grande rétrospective est celle de son grand retour avec une surface d’exposition de plus de 2 000 m2. C’est une redécouverte à un double titre. Une première redécouverte, celle d’un artiste et d’un continent, l’Amérique latine, qui n’est pas que le continent des peintres muralistes ou de l’art tropical. C’est aussi le continent où a éclos l’art cinétique, éminemment incarné par Julio Le Parc. Une seconde redécouverte, celle d’un jeune artiste de 91 ans, qui s’est toujours qualifié d’artiste-chercheur dans sa quête. Une de ses oeuvres les plus récentes s’intitule d’ailleurs « Alchimie », sa plus récente série de toiles.

Julio Le Parc est un jeune artiste, expérimentateur, chercheur à l’esprit toujours alerte, à la curiosité insatiable, toujours en quête de nouvelles découvertes, à la recherche de la pierre philosophale. C’est d’ailleurs plus la quête qui l’intéresse que le résultat. L’expérimentation, la curiosité, les sens et la lumière sont les clés de son travail. Son atelier est un vrai laboratoire.

Ma seconde rencontre a lieu lors de la FIAC 2018 puisqu’il est présent sur le stand de la cité internationale de la céramique de Sèvres, avec laquelle il s’est engagé dans une collaboration artistique. C’est l’occasion d’une rencontre entre une institution et l’artiste engagé de l’art cinétique, même s’il n’aime pas cette classification, réductrice.

Je tire ma révérence à Julio Le Parc sur une note de musique qu’il aime tant, comme ses opéras préférés : « La Bohème » de Puccini ou « Le joueur » de Prokofiev.

Florence Briat Soulié

Musique

http://www.julioleparc.org/

Remerciements :

Gabriel Le Parc pour la réalisation du film.

Eduardo Berrelleza, qui travaille avec Julio Le Parc

Yumiko Seki pour son aide précieuse sans qui je n’aurai pas pu écrire cet article.

Et bien sûr Julio Le Parc que je remercie pour cette vidéo géniale !

Julio Le Parc & © The Gaze of a Parisienne

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