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James Tissot

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UNE TISSOT

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James Tissot (1836-1902), l’ambigu moderne au MusĂ©e d’Orsay

Nouvelles dates 23 juin – 13 septembre 2020

James Tissot – MusĂ©e d’Orsay

PAR MARIE SIMON MALET

ET DEUX VIDEOS DE CYRILLE SCIAMA, DIRECTEUR DU MUSEE DES IMPRESSIONNISMES ET CO-COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION

Vue du MusĂ©e d’Orsay, avril 2020. ©Thegazeofaparisienne

Cela doit ressembler Ă  une apparition : toutes les toiles sont accrochĂ©es sur les cimaises des salles absolument dĂ©sertes du musĂ©e d’Orsay
 Il ne manque plus que l’éclairage et les derniers cartels ! C’est une exposition fantĂŽme que personne n’a vue, dont l’inauguration Ă©tait prĂ©vue le 24 mars et qui a fermĂ© ses portes avant mĂȘme de les ouvrir au risque d’y accueillir l’indĂ©sirable coronavirus. Terrible ironie du sort dont Cyrille Sciama, spĂ©cialiste de l’Ɠuvre de Tissot, me dit qu’elle aurait amusĂ© le peintre. Tissot, le dĂ©racinĂ©, l’artiste français (qui changea son prĂ©nom de Jacques-Joseph, trop classique, pour un James plus chic selon l’anglophilie en vogue) fut jugĂ© trop anglais par ses compatriotes Ă  son retour en France, aprĂšs un exil volontaire de onze annĂ©es Ă  Londres. 

MusĂ©e d’Orsay – Affiche de l’exposition « Tissot, l’ambigu moderne » © The Gaze of a Parisienne.
Sur l’affiche : « The Thames, » 1876 Huile sur toile, 74,8 × 118 cm Wakefield, Wakefield Council Permanent Art Collection 

Tissot, dont la derniĂšre rĂ©trospective parisienne datait de 1985 (il y a 35 ans donc, au musĂ©e du Petit-Palais), aurait fait preuve de philosophie, d’élĂ©gance Ă  coup sĂ»r, devant cet invraisemblable faux-bond !   

Merci Florence 

de me donner l’opportunitĂ© d’écrire un article sur James Tissot. Cela semble un peu surrĂ©aliste mais cela m’a permis d’imaginer cette exposition grĂące Ă  mes Ă©changes passionnants avec Cyrille Sciama et de partager, du moins je l’espĂšre, mon admiration pour ce peintre de gĂ©nie. 

Un mot de Cyrille Sciama, directeur du MusĂ©e des Impressionnismes Ă  Giverny et co-commissaire de l’exposition James Tissot, l’ambigu moderne au MusĂ©e d’Orsay

Tissot me subjugue depuis longtemps, depuis qu’étudiante en histoire de l’art, je faisais des recherches Ă  propos des liens trĂšs fĂ©conds qui existĂšrent entre mode et peinture (mon premier livre) au XIXĂšme siĂšcle et le rĂŽle dĂ©terminant de la mode dans l’avĂšnement de la modernitĂ©. Tissot savait qu’une belle robe, aussi exquise soit-elle, ne fait pas un bon tableau. Il fut trĂšs innovant dans la composition de ses toiles, y disposant avec brio, dĂ©cors, vĂȘtements, accessoires, attitudes comme autant de signes Ă  dĂ©crypter. Il a su jouer avec les codes de la mode et de la sociĂ©tĂ© Ă©lĂ©gante d’une maniĂšre tout Ă  fait unique et Ă©blouissante. 
Quand pourra-t-on visiter l’exposition Tissot, l’ambigu moderne, dont le titre et la merveilleuse affiche invitent Ă  une redĂ©couverte ? Pourra-t-on seulement la voir? Initialement programmĂ©e entre le 24 mars et le 19 juillet 2020, dans le contexte actuel oĂč tout reste incertain, personne ne sait encore si la date de clĂŽture sera reportĂ©e, entreprise d’une complication extrĂȘme.


Tissot aux Etats-Unis


L’exposition Tissot est un projet de longue date initiĂ© par le musĂ©e d’Orsay en collaboration avec les Fine Arts Museums (Legion of Honor/musĂ©e des Beaux-arts) de San Francisco oĂč elle a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e du 12 octobre 2019 au 9 fĂ©vrier dernier sous le titre, James Tissot : fashion and Faith. Aux Etats-Unis, le peintre est peu connu, il s’agit mĂȘme de sa premiĂšre rĂ©trospective sur la cĂŽte Ouest. Les Ă©quipes franco-amĂ©ricaines ont travaillĂ© ensemble mais les deux expositions sont diffĂ©rentes. La co-commissaire Melissa Buron (directrice du dĂ©partement des arts des Fine Arts) avait choisi de mettre en exergue la mode et la peinture religieuse : Tissot, on le sait moins, consacra les quinze derniĂšres annĂ©es de sa vie Ă  illustrer la Bible et la vie de JĂ©sus. La mode est plus attendue. 

James Tissot – « October » « Octobre »1877, MontrĂ©al, musĂ©e des Beaux-Arts. –Exposition du musĂ©e d’Orsay é » juin – 13 septembre

Les visiteurs de l’exposition amĂ©ricaine Ă©taient accueillis par l’un des tableaux emblĂ©matiques du peintre, October (1877- musĂ©e des Beaux-Arts, MontrĂ©al) oĂč Kathleen Newton, la muse, l’amoureuse, est saisie comme arrĂȘtĂ©e dans une promenade, sous une branche de marronnier aux feuilles d’or retombant sur le sol. Ce grand tableau est fascinant, Tissot prouve qu’il est un excellent coloriste : les tonalitĂ©s mordorĂ©es du feuillage offrent un contraste thĂ©Ăątral avec le noir de la veste brodĂ©e, du chapeau et de sa jupe Ă  tournure aubergine -un faux-noir subtil-; et un gĂ©nie dans le rendu des textiles. Cette qualitĂ© a Ă©tĂ© souvent rapprochĂ©e de ses origines; Ă  Nantes, oĂč il est nĂ© en 1836 et a vĂ©cu jusqu’à ses vingt ans, son pĂšre possĂ©dait un commerce de draperies florissant et sa mĂšre Ă©tait modiste. Etre nĂ© « dans le milieu de la mode » ne donne pas forcĂ©ment un sens innĂ© du style mais sans doute une mĂ©moire visuelle, un amour des motifs, des textures, du tombĂ© du tissus, de leurs reflets
 Le goĂ»t avec lequel Tissot compose ses silhouettes et l’attention qu’il porte aux accessoires le situe dans la filiation d’Ingres qu’il admirait et dont l’élĂšve, Flandrin, fut son maĂźtre lors de ses Ă©tudes Ă  l’école des beaux-arts de Paris. 

James Tissot « Octobre »1877, Montréal, musée des Beaux-Arts. (détail)

La composition d‘October Ă©voque les estampes japonaises et le sujet intrigue car il est moins « comme il faut » qu’il n’y parait; le regard direct, le jupon et les bottines dĂ©voilĂ©s par le geste de relever sa jupe sont osĂ©s pour l’époque oĂč la pudeur est extrĂȘme et le maintien devait ĂȘtre
 sans Ă©quivoque ! Avec October, Tissot rend hommage Ă  la sĂ©duction fĂ©minine. 

Mavourneen (ma chĂ©rie) 🇼đŸ‡Ș

James Tissot Katlheen dans « Summer Evening dit aussi La rĂȘveuse » MusĂ©e d’Orsay

Kathleen Newton est un personnage romanesque, jeune irlandaise divorcĂ©e, mĂšre de deux enfants, ayant vĂ©cu une vie tumultueuse aux Indes, elle rencontre Tissot Ă  Londres, vers 1876 : il sont voisins dans ce quartier de Saint John’s Wood oĂč elle s’est installĂ©e chez sa sƓur et oĂč le peintre a acquis une grande maison qu’il a somptueusement dĂ©corĂ©e. Il s’est crĂ©Ă© aussi un jardin mi-anglais mi-français puisqu’il y a fait Ă©lever une colonnade semblable Ă  celle du parc Monceau. Kathleen a 18 ans de moins que Tissot, elle est trĂšs belle, avec des yeux clairs, de magnifiques cheveux, un teint d’autant plus pĂąle qu’elle est atteinte du mal du siĂšcle, la tuberculose. Elle sera sa passion et sa muse, il ne cessera de la peindre jusqu’à sa mort tragique en 1882, Ă  l’ñge de 28 ans. Etant catholique, il lui fut impossible de l’épouser mais il l’installa nĂ©anmoins chez lui, ce qui lui valut la rĂ©probation de ses clients bien nĂ©s et fortunĂ©s et un tarissement de leurs commandes. 

L’exposition montre les multiples clichĂ©s photographiques qu’il a pris de la jeune femme, de ses enfants, de la famille non conventionnelle qu’ils formaient et les nombreux tableaux qui en sont nĂ©s. Des confrontations qui seront certainement Ă©mouvantes et passionnantes. Une semaine Ă  peine aprĂšs la mort du grand amour de sa vie, Tissot quittera dĂ©finitivement Londres pour rentrer Ă  Paris.  

A Paris,

Vue de l’installation de l’exposition de James Tissot: « Fashion & Faith » au Legion of Honor, San Francisco
A gauche : « La demoiselle de magasin » 1883-1885 . Art Gallery of Ontario – Toronto. Ă  droite : « les femmes d’artistes » vers 1883-1885 Norfolk, Chrysler Museum of Art. ©Image courtesy of the Fine Arts Museums of San Francisco – Legion of Honnor Museum

au musĂ©e d’Orsay, consacrer une section particuliĂšre Ă  la mode parĂ»t moins judicieux, tant celle-ci est intimement liĂ©e Ă  son Ɠuvre. Les co-commissaires, Marine Kisiel et Paul Perrin, conservateurs au musĂ©e d’Orsay, Cyrille Sciama, Ă  la tĂȘte du musĂ©e des impressionnismes de Giverny depuis juin 2019, ont adoptĂ© un angle de vue et un parcours diffĂ©rents, prĂ©fĂ©rant mettre l’accent sur l’ambiguĂŻtĂ© et la modernitĂ© de l’artiste. Ils ont aussi travaillĂ© sur le thĂšme des jardins, les influences de Tissot dans le cinĂ©ma
 Leur ambition fut de dĂ©shabiller ce dandy des idĂ©es reçues qui lui collent Ă  la peau : peintre couturier, faiseur d’historiettes, chroniqueur de la vie mondaine
 pour chercher, au-delĂ  de sa sĂ©duction, Ă  percer son mystĂšre. 

Tissot occupe une place particuliĂšre dans l’histoire de l’Art. Alors qu’il connut un immense succĂšs de son vivant, il a Ă©tĂ© ensuite oubliĂ© puis considĂ©rĂ© avec rĂ©serve, voire condescendance. Il reste inclassable, c’est un ami de Whistler et de Degas mais il s’engage dans sa propre voie picturale en partant -en 1871- faire carriĂšre Ă  Londres, en refusant de s’associer au groupe des Impressionnistes et de participer Ă  la fameuse exposition de 1874. 

De Marguerite aux portraits

A Orsay donc le parcours sera plus chronologique, dĂ©butant par des tableaux autour de l’histoire de Faust et de Marguerite de Goethe que l’OpĂ©ra de Charles Gounod avait remis au goĂ»t du jour. Ces tableaux historicisants, trĂšs Ă  la mode sous le Second Empire, nous plongent dans les dĂ©buts du XVIĂšme siĂšcle et montrent dĂ©jĂ  une perception juste du costume. Le jeune peintre fut critiquĂ© pour avoir pastichĂ© le peintre belge Henri Leys mais obtint, nĂ©anmoins la reconnaissance officielle de l’Etat français qui achĂšte la Rencontre de Faust et Marguerite (collections du musĂ©e d’Orsay).

James Tissot – « Le cercle de la rue Royale » – « Les deux soeurs » « Portrait du marquis et de la marquise de Miramon et de leurs enfants » .jpg CrĂ©dit photo © Fine Arts Museums of San Francisco – Legion of Honnor Museum

En 1864, changement de style : Tissot prĂ©sente, toujours au Salon, deux figures contemporaines cette fois. Ces grandes toiles, Les Deux SƓurs et le Portrait de Melle L.L. (conservĂ©es au musĂ©e d’Orsay), l’une en plein-air, l’autre Ă  l’intĂ©rieur, lui permettent de faire valoir qu’il est un portraitiste, prĂȘt Ă  entrer dans son siĂšcle (dixit ThĂ©ophile Gautier). 

Le modĂšle qui a posĂ© n’a pas encore Ă©tĂ© identifiĂ© mais elle est convaincante aux yeux des critiques de l’époque. Elle paraĂźt vraie, sans affectation. « Ah! Que nous sommes loin des portraits Ă  la mode, avec leurs airs prĂ©tentieux et leurs brillants atours ! » dira ThorĂ©-BĂŒrger. Parce qu’au Salon, on voit essentiellement des robes de bal dĂ©colletĂ©es, sorte d’uniforme imposĂ© du portrait mondain. 

La petite fille est brillamment peinte dans sa robe courte (selon les conventions de l’époque le court veut dire Ă  mi-mollets) ce qui laisse voir le dĂ©tail ravisant des carreaux noirs et blancs (Tissot utilisera souvent ces motifs graphiques). Avec son air sĂ©rieux encadrĂ© par le ruban violet de ses cheveux, elle annonce le talent de Tissot comme portraitiste des enfants. La jeune-fille porte une robe blanche Ă  taille lĂ©gĂšrement haute; s’abritant d’une ombrelle claire, elle tient un grand chapeau Ă  la main. 

En 1867, Renoir reprĂ©sente sa maĂźtresse et modĂšle, Lise TrĂ©hot en robe blanche un peu similaire dans un dĂ©cor champĂȘtre, Lise Ă  l’ombrelle, mais certains soulignent que la robe parait mal ajustĂ©e sur le corps (le peintre aurait-il oubliĂ© le corset ?). Tissot adopte une touche plus acadĂ©mique dans la description des Ă©toffes que Renoir mais il possĂšde un sens de la mode plus juste et en maĂźtrise les codes (la tenue de Camille Doncieux dans le tableau de Camille ou femme Ă  la robe verte de Monet sera, elle-aussi, jugĂ©e dĂ©calĂ©e).

Garde-robe de peintre

La Mode Illustrée, « Deux femmes chez un gantier au décor japonisant » 1879

Au Salon, les toilettes sont commentĂ©es et scrutĂ©es avec attention, d’autant plus que la mode commence Ă  Ă©tendre son empire, que les distinctions vestimentaires entre aristocratie, grande bourgeoisie et parvenus se brouillent. Sous le Second Empire, la mode devient artistique et se diffuse plus largement : avec Worth, notre pĂšre de la Haute couture qui, pour la premiĂšre fois ose se revendiquer un artiste, le dĂ©veloppement de la confection, des grands magasins, des journaux de mode
 Le costume reprĂ©sente un enjeu artistique, les Ă©crivains et critiques d’art le soulignent car le portrait est un genre trĂšs demandĂ© (suivant la mĂȘme « dĂ©mocratisation » que la mode). « Il faut non seulement une unitĂ© entre l’ñme et la parure, mais dans le vĂȘtement lui-mĂȘme. » Ă©crit Charles Blanc qui rĂ©dige un incroyable manuel de l’Art dans la parure et dans le vĂȘtement (1875). Plus, certains la prĂ©sentent comme l’arme d’une rĂ©volution picturale Ă  venir : l’avĂšnement de la modernitĂ©. 

Tissot est un homme Ă©lĂ©gant et raffinĂ©, en phase avec son Ă©poque. Avant-gardiste, il collectionne les objets japonais nouvellement importĂ©s par des marchands parisiens. Suivant la tendance du Japonisme, il en dĂ©core sa demeure -sur l’actuelle avenue Foch- et utilise un kimono dans quelques tableaux (notamment le nu sensuel de la Japonaise au bain -1864, musĂ©e de Dijon-).

Il se constitue un fond d’atelier avec des toilettes fĂ©tiches apparaissant dans de nombreuses toiles, Ă  des annĂ©es d’écart parfois, ce qui nuance son ambition d’ĂȘtre forcĂ©ment Ă  la derniĂšre mode. Robes-modĂšle sans cesse reprises, elles dĂ©gagent une voluptĂ© de froufrous avec leurs rubans flottants, leurs superpositions lĂ©gĂšres, un Ă©rotisme suggĂ©rĂ© avec les volants des faux-culs (terme consacrĂ©), les courbes des hanches galbĂ©es par le corset


« Ta ligne de hanche, ma ligne de chance » (Belmondo à Anna Karina dans Pierrot le fou)

Une jeune femme moderne 

James Tissot « Portrait of Mademoiselle L.L. » 1864 – 124×100 cm . Paris MusĂ©e d’Orsay.
CrĂ©dit photo © Fine Arts Museums of San Francisco – Legion of Honnor Museum

L’autre tableau, le Portrait de Melle L.L, datĂ© de fĂ©vrier 1864 ose une pose peu conventionnelle, un peu effrontĂ©e : la jeune demoiselle semble assise sur une fesse sur le coin d’une table. Son bolĂ©ro ornĂ© de pompons est Ă  la mode, ces vestes « à la zouave »  flattent les origines espagnoles de l’impĂ©ratrice EugĂ©nie, elles font le chic des « toilettes des eaux » (ou bains de mer) et des « toilettes d’intĂ©rieur ». Le caraco est d’un rouge Ă©clatant, « trop rouge » selon BĂŒrger. Sous la jupe noire, apparaĂźt le bout du soulier. Il y a, pour cette sociĂ©tĂ© corsetĂ©e qui consulte frĂ©nĂ©tiquement les guides des bonnes maniĂšres, une libertĂ© Ă©tonnante dans l’attitude du modĂšle dont le charme opĂšre aujourd’hui encore. Un petit bouquet de violettes, des livres sur la table
 Tissot sĂšme des indices : un roman, comme celui qui sera sous le bras de la promeneuse d’October ? Les femmes qui lisent sont sĂ©duisantes, Ă  dĂ©faut d’ĂȘtre dangereuses ! 

Tissot aime la littĂ©rature et la mode et il rĂ©alise le vƓux de Baudelaire : il extrait du vĂȘtement de son Ă©poque « la beauté » en « peintre de la vie moderne ». C’est un challenge alors : pour se dĂ©marquer des portraits mondains de femmes statufiĂ©s dans des robes de bal ou de la grande peinture d’histoire figurant des dĂ©esses finalement trĂšs datĂ©es, il faut qu’une nouvelle gĂ©nĂ©ration de peintres s’attaque Ă  « la note spĂ©ciale de l’individu moderne dans son vĂȘtement au milieu de ses habitudes sociales » (Duranty). Cela lui rĂ©ussira, Tissot, le dandy, va bientĂŽt entamer une carriĂšre de portraitiste cĂ©lĂšbre et fortunĂ©. 


Le peintre du High Life

Le marquis et la marquise de Miramon, lui commandent un portrait de famille, (Le marquis et la marquise de Miramon avec leurs enfants -1865, MusĂ©e d’Orsay), ainsi qu’un portrait en pied de la marquise dans un dĂ©shabillĂ© rose (qui sera exposĂ© Ă  l’Explosion universelle de 1867 sous le titre Portrait de la marquise de M***). Il est probable que le marquis soit  aussi Ă  l’origine de la commande du portrait de groupe, Le Cercle de la rue Royale (1866, musĂ©e d’Orsay). Incroyable tableau de presque 3 mĂštres de long rĂ©alisĂ© Ă  28 ans ! Une merveilleuse galerie d’hommes du monde sur la terrasse de l’hĂŽtel de Coislin surplombant la place de la Concorde.

La composition emprunte Ă  la gravure mode et Ă  la tradition anglaise des portraits d’assemblĂ©e mondaine, tels ceux de Hogarth. Elle prĂ©sente la richesse du vestiaire masculin et une leçon de style. L’exposition va-t-elle donner les dĂ©tails et circonstances de ces tenues du High Life? Dans cette assemblĂ©e rĂ©unissant Ă  la fois le Boulevard Saint-Germain et la grande bourgeoisie de l’industrie et de la finance, l’allure de ces hommes est Ă©blouissante, il y a l’urbanitĂ© des uns, la droiture des autres, la dĂ©licatesse du prince de Polignac -assis Ă  droite-, la vivacitĂ© de Charles Haas -modĂšle de Swann-, surgissant Ă  l’extrĂȘme droite, prĂȘt Ă  bondir dans la conversation.  

Les douze commanditaires ont poussĂ© l’élĂ©gance jusqu’à tirer au sort l’heureux bĂ©nĂ©ficiaire du chef-d’Ɠuvre (ce sera le baron Hottinguer, assis sur le canapĂ© au centre Ă  cĂŽtĂ© de Miramon).

James Tissot « Le cercle de la Rue Royale » MusĂ©e d’Orsay- Cyrille Sciama, commissaire de l’exposition


Trop british?

Il y a aura ensuite les dessins pendant la guerre de 1870, le dĂ©part pour Londres, les caricatures pour Vanity Fair, le succĂšs en Angleterre avec la rĂ©alisation de nombreux portraits et des tableaux dont les sujets dĂ©concertent tel Holydays (1876, Londres, Tate) qu’Oscar Wilde trouvait vulgaire, des tableaux plus proches de ceux des prĂ©raphaĂ©lites oĂč Tissot mĂ©lange les styles vestimentaires avec des Ă©lĂ©ments XVIIIĂšme, et aussi les scĂšnes sur la Tamise
 Toutes ces merveilles qui attendent derriĂšre les murs de l’ancienne gare d’Orsay
Des toiles venues du monde entier, d’Angleterre, de Suisse, des Etats-Unis, du Canada, de grands musĂ©es et de prĂȘteurs particuliers, c’est si Ă©trange de les savoir confinĂ©es !

James Tissot « La femme Ă  Paris » MusĂ©e d’Orsay

Les derniĂšres salles sont consacrĂ©es au retour de Tissot Ă  Paris oĂč la prĂ©sentation en 1885 Ă  la galerie Sedelmeyer des quinze tableaux de sa grande sĂ©rie La femme Ă  Paris, est un Ă©chec, un sacrĂ© revers pour celui dont Oscar Wilde disait qu’il reprĂ©sentait des « femmes surchargĂ©es de toilettes Ă  la mode » : sa parisienne est dĂ©modĂ©e ! C’est vrai que l’Ambitieuse (1883-1885, Buffalo, Albright Knox Art Galley) porte une Ă©trange ceinture corselet noire. Ne devrait-elle pas porter un strapontin (ce faux-cul Ă  angle droit articulĂ© de cerceaux qui, par une analogie toute thĂ©Ăątrale, se relevait lorsque les femmes s’asseyaient)?

Une Ɠuvre pour le cinĂ©ma  

Alors le mysticisme s’empare du peintre qui cherche Ă  communiquer avec la regrettĂ©e Kathleen lors de sĂ©ances de spiritisme, puis une vision dans l’église Saint-Sulpice le convainc de se consacrer Ă  la peinture religieuse. Tissot fait trois voyages en Terre Sainte pour se documenter et rĂ©aliser environ 300 aquarelles de la vie de JĂ©sus Christ qu’il prĂ©sente au Salon de 1894, recueillant cette fois, un immense succĂšs. PubliĂ© en 1896 (il a alors 60 ans) sous le titre La Vie de Notre Seigneur JĂ©sus-Christ, l’album des aquarelles est un vĂ©ritable best-seller.

L’exposition se termine par un hommage cinĂ©matographique : des extraits de films, Maurice de James Ivory (1987), Le temps de l’innocence de Martin Scorcese (1993), Portrait of a lady de Jane Campion (1996), tous fortement influencĂ©s par les tableaux de Tissot dont certains cadrages reproduisent fidĂšlement les images du maĂźtre. 

Nicole Kidman « The portrait of a Lady » film de Jane Campion. 1996.

Reste Ă  patienter en espĂ©rant que cette exposition ne disparaisse pas dans les limbes du confinement. Se plonger dans les livres, les catalogues. Regarder le documentaire d’Arte qui lui est consacrĂ©, Tissot, l’étoffe d’un peintre. Voir ou revoir les films citĂ©s ci-dessus pour s’amuser Ă  retrouver les tableaux
.

EPISODE 2 LA MODE – JAMES TISSOT PAR CYRILLE SCIAMA

Un mot de Cyrille Sciama, directeur du MusĂ©e des Impressionnismes Ă  Giverny et co-commissaire de l’exposition James Tissot, l’ambigu moderne au MusĂ©e d’Orsay – La Mode 2

BIBLIOGRAPHIE :

Catalogue de l’exposition Tissot, l’ambigu moderne, Ă©ditions MusĂ©e d’Orsay/ Rmn, 2020

James Tissot -Exhibition catalogue – FAMSF Publications

Catalogues d’exposition L’impressionnisme et la mode Collectif, Gloria Groom, Guy Cogeval, direction – Editions MusĂ©e d’Orsay / Skira-Flammarion – 2012

Cyrille Sciama, James Tissot et ses maĂźtres, Somogy,2005

Cyrille Sciama, Le Beau bizarre, les peintres du XIXe siĂšcle du musĂ©e d’arts de Nantes, Passage, 2017

Marie Simon, Mode et peinture, le Second Empire et l’Impressionnisme, Ă©ditions Hazan, 1995

«L’art, la mode et la modernité», Connaissance des Arts, 2012

« Mode et Ă©rotisme, une ambiguĂŻtĂ© mise en lumiĂšre au XIXĂšme siĂšcle», dans l’ouvrage collectif dirigĂ© par Gabrielle Houbre, Isolde Pludermacher et Marie Robert, Ă©ditĂ© Ă  l’occasion de l’exposition Splendeurs et misĂšres au musĂ©e d’Orsay, Prostitution, des reprĂ©sentations aveuglantes, Ă©ditions MusĂ©e d’Orsay / Flammarion, Paris, 2015.

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