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Ulla von Brandenburg, le milieu est bleu

au Palais de Tokyo

Du 21/02/2020 au 13/09/2020

Palais de Tokyo – Exposition Ulla von Brandenburg ©The Gaze of a parisienne

PAR MARIE SIMON MALET

À découvrir de midi à 21h, tous les jours sauf le mardi.

Après une merveilleuse visite en chair et os —pour ne pas dire « en présentiel »— de l’exposition James Tissot, l’ambigu moderne (cf mon article sur l’exposition confinée que l’on peut découvrir à Orsay depuis le 23 juin); lundi matin donc, nous nous sommes rendues, Florence et moi, au Palais de Tokyo. 

Quelques rares visiteurs, les skaters retrouvant leur endroit favori —entre les deux musées— un soleil radieux et Paris d’un calme olympien… Les conditions idéales étaient réunies pour déambuler dans les vastes installations de l’artiste allemande Ulla von Brandenburg. 

L’artiste, née à Karlsruhe en 1974 et vivant à Paris, a investi le musée de grandes toiles colorées, a installé des cirques imaginaires et déposé çà et là des objets poétiques : cerceaux, rubans enroulées, cannes de bambou multicolores, grandes poupées de chiffons. C’est une exposition en mouvement puisqu’elle est mise en scène et peut être animée par l’intervention de performeurs : chaque samedi, des hommes et femmes manipulent les rubans, cerceaux, cannes à pêche… pour danser et jouer comme dans un théâtre de foire ou sur la piste d’un cirque. 

Ulla von Brandenburg a reçu une formation de scénographe et elle a envisagé cette exposition comme un rituel collectif, une manière d’explorer les relations entre l’individu et le groupe : une recherche qui est donc terriblement d’actualité en ces temps de « distanciation sociale ». Elle n’avait pas imaginé que ses visiteurs porteraient des masques, sortes de petits écrans individuels qui s’invitent dans l’espace ! 

Masqué donc, le promeneur traverse d’abord de grands cercles découpés dans des cloisons de tissus peints, orange, bleu, jaune, ce qui, dès l’entrée, produit un jeu d’apparitions et de disparitions… On entre littéralement dans la couleur, dans un univers très dynamisant qui donne envie de tourner, virevolter au son de la musique étrange et lancinante d’un harmonium indien, s’arrêter, rebrousser chemin en suivant au sol les traits de la lumière du soleil projetée par la verrière.

Ulla von Brandenburg ©MarieSimonMalet

« Dans un décor de théâtre, on a une perspective fixe – de façon exagérée dans le théâtre baroque, où tout est organisé pour le roi. Ici, les perspectives changent en permanence, tout peut être vu à 360 degrés. Peut-être même qu’on entre par l’envers et sort par l’endroit » dit l’artiste.

Changement de sens et changement d’échelle aussi. Après les portes rondes, une « salle » tendue d’un rouge théâtral garde la mémoire de tableaux disparus (des rectangles d’un rouge plus saturé comme les empreintes du passage du soleil), et sur le sol, éparses, des craies surdimensionnées….Une meule de foin, de grandes cabanes en nasses de pêche aux gros poissons, puis, au centre, un cirque encerclé de bleu…  

C’est un parcours très joyeux sans doute grâce à ses références au monde improvisé de l’enfance : cabanes, tipis, craies, et au monde paysan : meule, nasses et cannes de pêcheurs, coupes en terre… La couleur surtout nous entoure, nous enveloppe, nous porte. C’est un peu comme si, dans de grands hamacs on regardait le bleu du ciel, « Le milieu est bleu » (titre de l’exposition) et « la Terre est bleue comme une orange » (Paul Eluard). 

C’était très intéressant de voir cette exposition à la suite de celle de James Tissot. A deux siècles d’écart, les deux artistes ont un génie particulier des textiles, de leurs coloris et de leurs textures. Chez Tissot, une attention ténue au détail, un goût immodéré pour les gammes de couleurs et les combinaisons de motifs (avec un art des mélanges de rayures, carreaux, écossais, damiers : un mix and match que ne renierait aucun créateur de mode); chez Ulla von Brandenburg, un sens de la couleur et de la lumière, des toiles avec une matérialité rendue par des patines colorées, des traces de pinceau ou la présence de grandes voiles de bateaux couturées de surpiqûres graphiques (autre point commun avec Tissot qui a aimé peindre les voiles, mâts et drisses des navires français ou britanniques). 

Les deux derniers espaces sont consacrés à des vidéos : un film tourné en pellicule couleur au Théâtre du Peuple de Bussang, incroyable théâtre en bois érigé à flanc de montagne dans les Vosges où les comédiens chantent un texte inspiré de la pièce Le Poisson des grands fonds (Der Tiefseefisch, 1930) de Marieluise Fleisser (1901-1974). Puis une série de vidéos projetées sur des tissus bleus délavés qui nous font suivre les chorégraphies aléatoires et muettes d’objets évoluant sous l’eau, plongeant, dérivant, sombrant…

L’artiste qui nous a fait traverser les écrans, entrevoir l’avant-scène et l’envers du décor, poursuit sa réflexion sur le flou, l’illusion :

« C’est une sorte de lâcher-prise : on n’a pas tout dans les mains, ça glisse et ce n’est pas fini. Il y a peut-être une mélancolie, un côté inquiétant, mais pour moi, c’est aussi une grande curiosité, la mer profonde, ces choses qu’on en voit pas. Plonger dans l’invisible comme dans notre inconscient. » 

Si vous aimez les couleurs, la magie du théâtre et du cirque, allez voir l’exposition d’Ulla von Brandenburg.  Si vous pouvez franchir la Seine et relier le musée d’Orsay au Palais de Tokyo, vous découvrirez deux mondes de textiles, drapés, plis ondoyants et deux manières, évidemment très différentes, d’utiliser les tissus et les couleurs comme éléments narratifs pour nous projeter dans l’imaginaire de deux artistes ancrés dans leur temps. 

INFORMATIONS :

Palais de Tokyo

Ulla von Brandenburg – Le milieu est bleu

Jusqu’au 13 septembre 2020

https://www.palaisdetokyo.com/fr/evenement/ulla-von-brandenburg-0

Commissaire : Yoann Gourmel 

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