Dubuffet, un Barbare en Europe

Un Barbare! Ce mot qualifiait autrefois celui qui était « étranger », une personne « non civilisée », »inculte ». Le titre de l’exposition, au MEG de Genève, interpelle et sied parfaitement à la pratique artistique de Jean Dubuffet (1901-1985). Provocateur, polémique, il cherche à s’extraire de tout héritage culturel artistique, à « se libérer de tout ce que l’on a appris« , pour atteindre l’essence même de la nature humaine.

avec mon ami habillé de L’Hourloupe. Exposition Jean Dubuffet MEG Genève, photo ©thegazeofaparisienne

Alors il faut inventer! Innover tout le temps, ne jamais tomber dans un système, laisser libre cours à un art instinctif, un « art sauvage ». Dubuffet se passionne pour des sources d’inspirations multiples: anthropologie, psychiatrie, mais aussi dessins d’enfants, artisanat populaire etc… Il « cherche l’Art où on ne l’attend pas« ! Père de l’Art Brut, ce « Barbare » investit le MEG de sa force créatrice fantasque, nourrie de liberté.

Jean Dubuffet, Chateau Bleu II , 1975 , photo ©thegazeofaparisienne

Cette remarquable exposition de Jean Dubuffet met en lumière la grande diversité de son travail ainsi que son cheminement artistique vers l’Art Brut, qui en fait un artiste majeur du XX ème siècle.

« L’homme du commun »

« Ce n’est pas être homme d’exception qui est merveilleux. C’est d’être un homme.  » Jean Dubuffet

Dramatisation 1978, Fondation Dubuffet/2020 Prolitteris, Zurich

Dès 1944, Jean Dubuffet se lance dans une célébration de l’homme simple, banal, l’homme commun. Il appelle à l’humilité et représente une figure générique, à l’opposé des héros. Ses personnages, semblant sortir d’un même moule, s’agitent comme des marionnettes dans un environnement déformé. L’exposition s’ouvre sur Dramatisation, une grande oeuvre qui s’attache au quotidien des hommes communs, proposant un patchwork de scènes de vie. Je suis frappée par son style »graffiti », emprunté aux tags et autre dessins qu’il a remarqués sur les murs des villes.

Jean Dubuffet, Bon courage, 1982 , photo ©thegazeofaparisienne

Les représentations de l’homme commun sont très simplifiées, infantiles même. Parfois elles prennent la forme de visages de clowns à la fois grotesques et inquiétants. Dans la construction de ses tableaux, Dubuffet met tout sur un même plan, aucune perspective et une multiplication d’angles et de points de vue disparates qui rappelle les dessins d’enfants.

La genèse de l’Art Brut

Aquarelles du Congolais Albert Lubaki,1939 , photo ©thegazeofaparisienne

La Suisse, en particulier le Musée d’ethnographie de Genève, a joué un rôle décisif dans le cheminement artistique amenant Dubuffet à concevoir l’expression de l’Art Brut.

Jean Dubuffet, Henri Michaux, Acteur Japonais , 1946, photo©thegazeofaparisienne

En 1945, l’artiste s’y rend, accompagné de Le Corbusier et de l’écrivain Jean Paulhan. Il y rencontre Eugène Pittard, le fondateur du MEG, ainsi que le psychiatre Genevois Charles Ladame. Ce dernier lui fait découvrir son « Musée de la Folie », regroupant les créations des patients d’asiles psychiatriques. De ces rencontres nait l’Art Brut. Une pratique qui s’intéresse aux « irréguliers« , à ce qui est « en marge« , très loin de l’Art officiel. Dubuffet met en lumière la création des « fous », mais il s’inspire aussi d’objets artisanaux traditionnels d’Océanie, de ses voyages en Afrique ou encore, comme dans Dramatisation, des graffitis ornant les murs des capitales.

Masque de l’Engadine, photo ©thegazeofaparisienne

J’ai adoré cette partie de l’exposition, où l’on découvre des sculptures, des dessins, des objets plus surprenants les uns que les autres. En particulier, j’ai été fascinée par les sculptures primitives, les étonnants masques de la vallée de Lötschental- une région de Suisse-, les belles aquarelles du congolais Albert Lubaki, et que dire de cette reine de coquillages?

La Reine Victoria, Pascal-Desir Maisonneuve

Voyages au Sahara

Jean Dubuffet, Chameau Bourlingue, 1963 photo:©thegazeofaparisienne

Pour se couper de toute influence de la culture Occidentale sur son travail, Jean Dubuffet part en voyage (entre 1947 et 1949), avec son femme Lili, dans le désert du Sahara . Il en aime la minéralité brute, la vie des Bédouins tellement loin de nos existences. Il se plonge littéralement dans la vie et la culture indigène, apprend l’arabe et les dialectes touaregs, découvre la musique locale et réalise de nombreux dessins. Il gardera une forte impression de ces voyages.

L’Hourloupe, l’aboutissement

Jean Dubuffet, Mécanique Musique, 1966, photo: ©thegazeofaparisienne

C’est cette partie de son oeuvre, l’Hourloupe, qui propulse l’art de Jean Dubuffet vers la célébrité.

Jean Dubuffet et Augustin Dumage (photographe), La seringue et le pavillon à deux étages, vue sur le pont de la Tournelle, Paris, 1977

Agé alors de 60 ans, Jean Dubuffet, en pleine conversation téléphonique, griffonnait distraitement sur un bout de papier. Il est saisi en découvrant le résultat. C’est une création spontanée, libre, comme celles des artistes qu’il admire! Il décline alors L’Hourloupe – mot inventé à partir des mots hurler, hululer, loup, Riquet à la houppe et « le Horla » – sous toutes ses formes, sculptures, peintures, dessins.

Une exposition passionnante qui nous fait voyager au coeur du parcours créatif foisonnant de Dubuffet et des multiples inspirations qui ont suscité la genèse de l’Art Brut. Bravo au commissaire d’exposition, Baptiste Brun, pour cette brillante mise en scène.

Caroline d’Esneval

Jean Dubuffet, un Barbare en Europe

Jusqu’au 28 Février 2021

MEG de Genève

Réservation: https://www.ville-ge.ch/meg/expo02.php

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