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Livres coups de ♥️ à lire en 2021

PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE

Un autre Cormoran de bibliothèque, selon l’expression de la poétesse Suzan Howe, découverte grâce à l’artiste Agnès Thurnauer, j’adore cette vision de la lectrice que j’applique cette fois-ci à Séverine Le Grix de La Salle.

Elle nous livre ses coups de coeur de ces derniers jours 2020.

A lire après le réveillon … The Gaze of a Parisienne vous offre tous ses voeux pour une meilleure année 2021 !

A gauche : Joseph Kessel – Pauline Baer de Perignon – Jean Teulé
A droite : Javier Cercas – Federico Garcia Lorca – Arturo Perez Reverte

Jean Teulé – CRENOM, BAUDELAIRE – Mialet Barrault Editeurs

« Malgré des aphtes, des gonflements douloureux à la gorge au point de parfois ne plus pouvoir manger sans souffrance, elle se trémousse cet après-midi, entourée de femmes du monde et de femmes à tout le monde, en faisant pirouetter son artiste « p .212 .

Jean Teulé- Crénom Baudelaire – Mialet Barrault Editeurs

Il y  a du Rabelais chez Jean Teulé, langue crue et directe, gros mots, détails scabreux et drôles : Baudelaire ressuscite dans cette biographie pour mieux y mourrir de ses addictions , de ses maladies de sa folie. On plonge dans les cales d’un paquebot à trois mats, dans les bas-fonds parisiens radiographiés en couleurs, dans la vraie vie crasseuse et géniale du poète et de ses muses, toutes en chairs vénéneuses. Ecriture surprenante,  agaçante parfois comme l’est ce Baudelaire  provocant et insupportable à qui l’on pardonne  tout lorsqu’il écrit. Et entre deux saillies de l’auteur ou de son héros, ces vers , ces textes qui font silence…

Cadeau : “Il faut être toujours ivre.Tout est là : c’est l’unique question.Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez vous. Et si quelque fois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge,  à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule , à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « il est l’heure de s’enivrer! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez vous ; enivrez vous sans cesse! De vin , de poésie ou de vertu, à votre guise ». Charles Baudelaire – “Enivrez-vous” tiré du recueil Le Spleen de Paris

Je referme le livre sur l’un des Poèmes les plus célèbres , chanté par Reggiani «  Si vous la rencontrez, bizarrement parée.. », je sais aujourd’hui qui elle était , et je cours acheter ” Les Fleurs du Mal” que je n’ai jamais lues. 

https://www.parislibrairies.fr/librairie-2749/paris/Les-arpenteurs/

Pauline Baer de Perignon – LA COLLECTION DISPARUE – Editions Stock

« Tu sais qu’il y a quelque chose de louche dans la vente Strauss?  “p .19 .

Dans un style très touchant , très personnel et sincère , sans recherche littéraire ou stylistique excessive,  Pauline Baer de Pérignon se lance en quête de la collection « disparue» de son arrière grand père. Elle met du temps à écrire le mot de spoliation , comme si elle ne voulait pas y croire elle même. Une histoire d’ignominie, qui – et c’est ahurissant – n’est toujours pas finie .Il faut suivre cette femme bien élevée, timide même, se heurter à l’hypocrisie déguisée en procédures administratives, rencontrer ces conservateurs allemands comme français qui renâclent, freinent, bloquent la restitution d’une oeuvre , mais quel pari font ils ?  Attendre que toute mémoire disparaisse pour finir à leur manière, sans en être conscients j’espère, l’atroce travail de destruction génocidaire des années les plus noires du XXième siècle ? Prêts à tout pour conserver un dessin, même caché dans des réserves , au nom d’un égo, d’une passion déplacée ou d’une obéissance étatique dont ils ont perdu le sens. « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal «  dit Hanna Arendt… Pauline Baer de Pérignon pense pour eux, se bat, en quête de ses racines  ( joli arbre généalogique dessiné en introduction) et d’elle même. Et on frissonne d’émotion , on fait partie de sa famille, quand à la fin, elle gagne.

Pauline Baer de Perignon – La Collection disparue – Editions Stock

Librairie Dialogues Brest

JOseph KESSEL – LE LION – EDITIONS GALLIMARD

Relire “Le lion »aujourd’hui , c’est d’abord replonger dans une émotion très pure, enfantine et retomber amoureuse d’ Oriounga le jeune Masaï morane. C’est retrouver intacte cette fascination pour ce qui m’est si lointain  : 

«  Il y avait cette démarche princière, paresseuse et cependant ailée, cette façon superbe de porter la tête et la lance et le morceau d’étoffe qui, jeté sur une épaule, drapait et dénudait le corps à la fois. Il y avait cette beauté mystérieuse des hommes noirs venus du Nil en des temps et des chemins inconnus. Il y avait dans les mouvements et les traits cette bravoure insensée, inspirée. Et surtout , cette liberté orgueilleuse, absolue, indicible d’un peuple qui n’envie rien ni personne parce que les solitudes hérissées de ronces, un bétail misérable et les armes primitives qu’il façonne dans le métal tiré du lit sec des rivières comblent tous ses soins et qu’il est assez fier pour ne point laisser sur la terre des hommes ni maison ni tombeau » p.81 

Relire « Le lion », c’est le choc d’une écriture magnifique, âpre, qui roule comme un torrent de montagne, épique, sensible , et découvrir avec des yeux d’adulte que c’était bien autre chose qu’un bluette , c’est du Kessel. C’est découvrir , au-delà du lion et de la petite Patricia, à laquelle des générations d’enfants se sont identifiés, ces personnages cabossés dont je n’avais pas souvenir, ces parents abîmés qui s’aiment dans un désespoir de savane,  Kihoro le pisteur borge et éclopé tiraillé entre son affection et sa fidélité à son peuple.. et l’auteur, qui traverse et bouleverse ces destinées, sans livrer un mot de ses propres démons. Quel bonheur , à la page «  du même auteur » tout à la fin,  de voir la liste impressionnante de ses oeuvres et de m’apercevoir qu’ après  « Les cavaliers », «  Les mains du miracle » et « La vallée des rubis » lus cet été,  il me reste plus de quarante voyages à faire….

L’Ecume des Pages – Paris 6

UN PETIT TOUR EN ESPAGNE 

Je suis très formatée par ma jeunesse en Espagne, marquée par la tornade jouissive qui a succédé enfin à la mort de Franco, ce moment qui m’ éveillée à la conscience du monde et à la chose politique , m’a revelé la noirceur de la médiocrité au pouvoir comme la beauté de la résistance intérieure, familiale et quotidienne des espagnols . Donc j’aime tout de ce pays, qui est aussi celui du paradis perdu de l’enfance. Et notamment sa langue et ses écrivains , qui disent  l’amour, l’amitié , la tristesse ou la mort avec une rugosité et une intensité qui m’est indispensable . 

Javier CERCAS

Choisir n’importe lequel de ses livres les yeux fermés . 
Javier Cercas interroge, fouille, creuse tous les terribles conflits publics ou privés  d’une nation qui s’est déchirée jusqu’a l’intime. Journaliste et romancier ,  il a cette plume descriptive, sans pathos, sans jugement et pose la seule question qui compte : qu’aurions nous fait ?  . C’est l’écrivain qui dit  l’indicible sur les traumatismes d’un pays et qui, en posant des mots , les apaise . Exercice de vérité toujours nécessaire, qui poursuit  le travail d’un Albert Camus sur l’Algérie,  et de tant d’autres,  qui s’y sont parfois brûlés. « Les soldats de Salamine » , le face à face dramatique de deux soldats qui se rappellent à temps qu’ils sont aussi des hommes. Une ode à la part d’humanité , que nous portons même dans l’horreur , et à la réconciliation vitale pour réussir à la faire grandir. Larmes garanties dans les dernières pages pour celles et ceux qui aiment s’abandonner à l’émotion d’un texte.«  Anatomie d’un instant » , un pavé ultra documenté qui retrace la fameuse journée du 23F ( 23 février 1981) où le petit colonel Tejero chapeauté de son tricorne infamant tente un coup d’état qui avortera dans la nuit. La construction du livre est une prouesse, le 23F est la focale vers laquelle se tendent tous les courants et vents contraires qui tissent et agitent cette Espagne tortueuse. Personnages troubles à foison, même et surtout ceux qui apparaîtront ensuite comme les sauveurs de la démocratie. Une petite musique qui rappelle un peu la France de la Libération….A lire si on aime plonger dans un livre documentaire, c’est long!«  Le monarque des ombres »: sans doute son livre le plus personnel, celui où il lui faut assumer un ancêtre franquiste, qu’une mère, une soeur et lui, enfant, ont aimé.

Javier Cercas – Anatomie d’un instant – Editions Babel

« Devrais-je prendre en charge le passé familial dont j’avais tellement honte et l’ébruiter dans un livre? «  Il le fait avec un talent inouï  et se permet , je le cite d’«  être sur le pic infinitésimal et fugace et prodigieux et quotidien de l’histoire » ( mention spéciale aux traducteurs qui font beaucoup plus que traduire)

Merci Monsieur Cercas, écrivez nous encore beaucoup de livres…

Librairie l’Atelier – Paris 9

Vu dans cette librairie les oeuvres de Laurent Allanic qui est à la fois libraire et artiste plasticien.

Librairie L’Atelier – 59 rue des Martyrs – 75009 Paris – Estampe “B” par Laurent Allanic


Federico Garcia Lorca – ROMANCERO GITANO Editions Aubier ou Allia.

Attention chef d’oeuvre :  Federico Garcia Lorca justifie à lui seul deux à trois mois de méthode Assimil. Pour ceux qui n’en auraient ni le temps ou l’envie, je recommande l’édition bilingue , chez Aubier ou chez Allia. “Romancero gitano”, c’est le titre,  mal traduit par “Complaintes Gitanes” ( alors que personne ne se plaint) ou “Poème du Chant Profond “, titre qui me laisse sans voix…mais les traducteurs , honnêtes  : «  mieux vaut une traduction imparfaite plutôt qu’une absence de traduction”. Passé ces considérations pratiques, passons à la poésie la plus dramatique et sensuelle qui soit.. Si vous comprenez la « Monja Gitana «  ( la none gitane) qui soupire de désirs réprimés en brodant ses fleurs, vous êtes un peu espagnol. Si vous tombez amoureux d’Antonio El Camborio, ( mon préféré)  vous devenez gitane. Si vous commencer des incantations en lisant  «El romance de la luna, luna » ça y est , vous passez de l’autre coté des monts . Dans ce recueil, il est question de boucles noires brillantes, de citrons coupés, de couteaux sous la poussière , de prisons  et d’amour , de roses sombres, de seins de lune, de sexe interdit au bord de la rivière et enfin de mourir dignement , de profil. Et quand la Garde Civile s’avance ” avec leurs capes reluisantes d’encre et de cire », l’ombre de l’assassinat de Garcia Lorca en 1936 s’étend.  Si vous allez un jour à Grenade, éloignez vous quelques heures des palais surréels de beauté que vous aurez visités, montez par les petits chemins qui les surplombent  et lisez ces poèmes à haute voix  :  même si vous ne parlez pas l’espagnol, là, vous comprendrez.

Arturo Perez Reverte – UNA HISTORIA DE ESPANAEditions ALEAGUARA

Reservé aux bilingues, la traduction n’existe pas ( encore? ). Arturo Perez Reverte a écrit chaque semaine un feuillet de 3 pages sur l’histoire de son pays, des Ibères à la Movida, qui ont été réunis et édités l’année dernière  Désopilant et instructif .

En introduction , cette citation de Napoléon :

 «  Les Espagnols se comportent tous comme un seul hommes d’honneur. J’avais mal évalué l’affaire» ,

et celle de son frère Joseph,  qu’il avait installé sur le trône  :

«  J’ai comme ennemi une nation de douze millions d’ames, enragées jusqu’à l’indicible»  . Tout est dit. 

Librairie les Arpenteurs – 9 rue Choron – 75009 Paris

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