A la découverte de Nathalie Talec

Juste une expédition, la visite de l’atelier de Nathalie Talec, poésie, humour et grands espaces sont au rendez-vous !

2e partie : l’interview

GIMME SHELTER (vert) Collection SHAMANIC APPARITION 1, dessin à la feuille d’or sur papier Arches, 150 x 115 cm, 2019

Cela commence par l’essayage de la Talec Jacket,  » Un vêtement mythique pour un style unique  » des vêtements sculptures protecteurs et colorés, exposés il n’y a pas longtemps à la Galerie Maubert « One Size Fits All » , ils évoquent le Grand Nord , on s’imagine dans ces grands espaces immaculés , à la rencontre de ses habitants, faces à ces glaciers, et aussi ce fameux flocon de neige qu’on aimerait tant garder intact.

I WOULD PREFER NOT TO, 3, acrylique et feuille d’or sur toile, 200 x 220 cm, 2021
I WOULD PREFER NOT TO, 4, acrylique et feuille d’or sur toile, 200 x 220 cm, 2021


Nathalie Talec est une artiste exploratrice. En 1987 elle part à la découverte du Pôle Nord sur les les traces de Paul-Émile Victor , son héros avec qui elle entretient une correspondance. Elle lui rend hommage en 2008, en façonnant son traîneau en porcelaine de Sèvres à taille réelle, une prouesse technique. Cette oeuvre est exposée au Mac Val à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée. Entre réalité et fiction l’artiste oscille et nous raconte ses histoires, l’expédition de 1987 est la seule réelle. A la question de savoir si elle y retournerait, réponse négative, 30 ans plus tard, trop de choses risqueraient de l’attrister, elle pencherait plus pour l’Alaska, sur les traces de Jack London.


L’eau est l’élément qui la porte depuis toujours , l’eau sous toutes ses formes, l’eau qui coule, de la pluie à la neige , au givre. Entre l’eau et la terre une relation essentielle. Dans les années 90, elle imagine les murs en béton qui pleurent. La couleur blanche est une obsession, elle survient avec la neige qui fond laissant apparaître quelque chose de nouveau..

Couverture du livre avec cette photographie « Autoportrait » de 1986″ Photographie noir et blanc sur papier baryté contrecollée sur aluminium, 100 × 100 cm. Prise de vue : Philippe Rolle. Édition 1/1. Collection Fonds national d’art contemporain, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris, Exemplaire unique

De son voyage au Pôle Nord, elle a rapporté de nombreux souvenirs qui sont inscrits dans sa mémoire et surgissent sur ses grandes toiles, c’est le dessin d’un enfant inuit, un vêtement, une idée chamanique , symboles de ces terres du bout du Monde dessinés sur un fond à la feuille d’or.

Ces journées confinées dans son atelier en Bourgogne lui ont inspiré de nombreux dessins, où tous ses personnages apparaissent au fur et à mesure du temps qui passe.

2019 ce fut un « Coup de foudre », titre de son exposition commune avec Fabrice Hyber, artiste avec qui elle est proche et qui a eu lieu à la Fondation EDF en 2019 et où leur deux univers se rassemblaient.

Nathalie Talec enseigne également à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris où elle est chef d’atelier.

Dessins de confinement

L’interview

Nathalie Talec

The Gaze of a Parisienne : A quel moment vous est venue cette envie de peindre ?

Nathalie Talec : J’ai toujours eu cette envie , même enfant, d’où cela vient précisément , je ne sais pas , mais un goût pour une forme d’isolement et puis un travail introspectif sur ce temps juvénile et ensuite le goût pour la grande peinture. C’est mon père qui m’a un petit peu dirigé vers cette sensibilité. Etre artiste cela ne se décide pas vraiment, je crois que cela s’impose d’une certaine manière. Même si on est obligé lorsqu’on est jeune artiste de vivre plusieurs vies en même temps pour pouvoir survivre. Moi je n’ai jamais fait d’école d’art (note : Nathalie Talec n’a pas fait d’école d’art mais a suivi un doctorat d’arts plastiques au Centre Saint Charles à la Sorbonne) mais je suis de cette génération d’autodidactes un peu éclairés , passionnés par beaucoup de choses du Monde. J’avais une sorte d’appétence pour les écrits scientifiques puis j’ai eu une magnifique première expérience de travail, au Palais de la Découverte, j’avais 18 ans. Là on m’a demandé de dessiner aux côtés des scientifiques, comme dessiner des machines pour évoquer la motricité des vagues. Mon approche scientifique qui a plus à voir avec la poésie que la science pure était aussi nourrie de cette expérience. Au départ quand on est très jeune artiste on ne sait pas tellement où on va et puis il y a eu de magnifiques rencontres et les choses se sont faites.

Le Palais de la découverte

TGP : Comment êtes vous arrivée dans ce Palais de la Découverte ?

N.T. : J’étais une sorte de pirate ou de cowboy en version fille , j’ai quitté ma famille très tôt et il fallait que je sois autonome et pour l’être, il fallait travailler. J’ai eu cette chance de rejoindre le Palais de la Découverte où je me suis trouvée en relation avec tous ces scientifiques qui ont une approche qui me semblait à moi très abstraite mais c’est ce qui permettait aussi de donner une forme à leurs pensées. Cela m’a donc donné la possibilité de donner des formes à de la pensée.

Donner des formes à de la pensée

Durant ces années là entrecoupées par des études et mon travail, j’ai eu des rendez-vous très fondateurs, j’ai eu le privilège de pouvoir échanger avec Michel Journiac, enseignant à la Sorbonne.

Palette de l’artiste

TGP : En 1987 vous allez au Groenland, mais à quel moment avez-vous rencontré Paul-Emile Victor ?


« Dans la philosophie la neige peut être comparée à l’enfer mais aussi au paradis, une sorte de rapport au spirituel, (…)j’aime ce rapport aux sensations, à l’émotion, après , il y a des choses qu’on ne peut expliquer, qui surgissent un peu de nulle part… »

N.T. : Je commençais à me passionner pour ces espaces blancs vierges, un peu comme des espaces de silence absolu que représentaient pour moi les deux pôles. J’étais plus attirée par le Pôle Nord, tout simplement car il y a une culture au Pôle Nord que nous ne trouvons pas au Pôle Sud, uniquement habité de laboratoires scientifiques.

Je suis allée au Musée de l’Homme qui à l’époque était très désuet et là je suis entrée en relation avec un homme exceptionnel Pierre Robbe, responsable Inuit du musée de l’Homme . Cet homme a vu mon intérêt qui n’était en rien lié à l’ethnographie ni à l’histoire et qui était une sorte d’approche à la fois poétique, esthétique et aussi artistique. Je l’ai vu très souvent, m’intéressant aussi beaucoup au langage, je souhaitais qu’il me raconte comment il avait pu commencer à rédiger un dictionnaire du langage inuit qui n’existait pas du tout.

Paul-Emile Victor, une rencontre épistolaire

Je lui ai dit que j’avais très envie de partir au Groenland et plusieurs mois se passent et il me met en relation avec Paul-Emile Victor. Avec ce dernier nous avons eu une relation uniquement épistolaire. J’ai gardé toutes ses lettres qui sont pour moi des moments fondateurs de tout ce qui est arrivé par la suite. Je lui ai dit que je voulais aller faire un travail d’artiste au Groenland. Il avait une certaine sensibilité. Outre que c’est un homme cultivé et intelligent, il avait aussi un goût assez prononcé pour le dessin. Il ne comprenait pas forcément ce que je lui racontais, je devais manquer de clarté d’une part et d’autre part ce projet devait également manquer de réalisme à ces yeux. C’est un explorateur polaire qui n’était pas forcément sensible aux arguments que je lui avançais mais qui m’a quand même fortement conseillée sur les lieux à visiter, les personnes à rencontrer et surtout j’ai eu l’honneur qu’il me prête un de ses premiers traineaux et une série de ses premiers vêtements d’expédition, crampons, sac à dos… Et cela pour que je puisse réaliser une série d’autoportraits.

De l’imagination à la réalité

T.G.P. : Ce voyage est l’un des seuls que vous avez fait ?

N.T. : L’idée de partir au Groenland me plaisait seulement dans l’idée, c’était une période où j’imaginais réaliser des projets qui étaient des oeuvres mais sans être réalisées. Je suis un peu du gendre « voyage autour de ma chambre » , le réel m’intéresse mais pas tant que cela. Ce qui fonctionne : c’est plutôt tout ce qui me traverse par la tête dans ce que je vois , dans ce que je lis. Mais me confronter au froid polaire… je ne voulais pas tellement y aller, je voulais avoir une sorte de trame fictionnelle qui me permettait d’inventer de nouvelles fictions. Il se trouve qu’un ami qui travaillait au Ministère de la culture a vu ce projet écrit dans le détail, il m’a pris ce projet des mains et m’a obtenu une bourse. Très réglo, j’ai une bourse, je m’exécute et je suis partie au Groenland pour quelques mois.

Ramification, ébullition, condensation

J’ai eu froid, j’ai vu des aurores boréales qui m’ont saisie d’effroi. Ce projet que j’avais défini était un jeu entre le vrai et le faux et le jeu dont je me souviens le plus est ce lancer de paraffine apporté de Paris en me disant que lors de la fonte des glaces au printemps, le seul élément qui resterait serait ce morceau de paraffine qui ressemble à s’y méprendre à de la glace. C’était une sorte d’expérience à la fois dans le réel et aussi dans la fiction.

« Placé dans un verre d’eau, le glaçon emprunte au liquide lui-même la chaleur qui lui est nécessaire  » phrase leitmotiv de l’artiste

T.G.P. Une belle histoire

N.T. : J’ai eu de belles histoires et c’est ce que je continue à essayer de raconter en prenant des chemins de traverse. Cette démarche était particulière car à l’époque personne ne s’intéressait à cette partie du Monde. Une manière aussi de voir ce blanc qui agit sur notre âme comme le silence absolu. C’était une tentative de donner une forme à une idée.

Manufacture de Sèvres

Nathalie Talec – Sculpture en porcelaine réalisée par l’artiste à partir du buste d’Adrienne, fille de Houssin, 2011
Edition et production: Sèvres – Cité de la céramique.

T.G.P. : Vous avez reproduit plus tard, ce traîneau de Paul-Emile Victor en porcelaine de Sèvres pour une exposition du Mac Val

N.T. : Ce qui compte pour moi dans la vie, c’est à la fois produire des oeuvres et peut-être plus encore c’est les rencontres que je fais. J’aime aussi que ce soit immédiatement visible, mais aussi rendre des hommages, et, tel était le cas pour le traîneau de Paul-Emile Victor qu’il m’avait prêté et que je lui avais rendu après la séance de photos. Quand on m’a invitée pour cette rétrospective au Mac Val , Paul-Emile Victor était décédé et j’ai souhaité lui rendre hommage, je n’avais jamais travaillé le biscuit, ni la porcelaine donc c’était un vrai défi technique, mais je tenais absolument à sublimer et à incarner cette relation fondatrice que j’avais eue avec lui qui prenait la forme d’une sculpture qui parlait d’un objet de déplacement dans tous les sens du terme. Sauf que cet objet devenait inutilisable puisqu’il était fragile et dans un matériau qui ne pouvait en aucun cas permettre de véhiculer quoique ce soit, sinon de la poésie, du sens, de l’émotion.

Blanc : la couleur de l’innocence, de la pureté et de l’absence.

T.G.P. : Je reviens à la peinture et j’aimerais connaître le lien entre le blanc et l’or ?

N.T. : Le lien il se fait de manière presque naturelle, ce blanc c’est comme le silence absolu, mais ce silence n’est jamais mort, il regorge de possibilités vivantes, ce blanc est un lien avant toute naissance et avant tout commencement, c’est aussi la couleur de l’innocence, de la pureté et de l’absence. Ensuite quand on regarde un peu dans ce que les hommes ont produit sous des formes de vanités ou autres choses, le blanc et l’or ont toujours traversé l’histoire humaine.

I WOULD PREFER NOT TO, 2, acrylique et feuille d’or sur toile, 200 x 220 cm, 2019

L’or est la fois ce qui renvoie à des dieux, à la lumière , à la réflexion, à l’ornement, l’objet décoratif, c’est ce qui renvoie aussi à l’idée du trésor ou de la vanité. C’est aussi toujours quelque chose qui est presque aussi fragile que la poudre qui recouvre l’aile du papillon. Un peu comme le blanc qui est traduit par de la neige, c’est quelque chose qui n’a pas de durée mais qui a une zone de persistance rétinienne et qui sublime, que ce soit dans l’Antiquité, la culture byzantine, à l’ensemble de presque toutes les cultures religieuses. C’est considéré comme l’un des métaux les plus précieux mais c’est aussi lié à sa lumière qui rayonne et l’or est aussi le meilleur conducteur. Ce qui m’intrique dans ce matériau, c’est sa fragilité , son côté inaltérable et aussi le fait qu’il peut distribuer une grande forme d’énergie.

Ce qui m’intéressait c’est une approche sentimentale du Monde

T.G.P. : La science est très liée à votre travail et la forme du flocon vous avait particulièrement marquée ?

N.T. : Oui il y a un livre de chevet qui m’a accompagnée pendant 30 ans, sorte d’élément référent et écrit par Johannes Kepler (1571-1630), grand astronome et scientifique de la guerre de Trente Ans qui souhaitait faire à un de ses amis, prince allemand très dépressif et mélancolique , un cadeau. Ce livre s’appelle L’Etrenne ou La neige sexangulaire , c’est un ouvrage à la fois scientifique et poétique, il ne parle que du flocon de neige, d’une manière métaphorique d’une part mais aussi de manière très technique avec des croquis, cette forme est pour lui celle qui se rapproche le plus du rien. Cela aussi est une question qui m’interroge. Puis je me suis intéressée à des pré-scientifiques qui peuvent être Aristote, Lucrèce qui ont écrit des textes sidérant de beauté sur les météores (terme qui désigne tout ce qui se passe dans les milieux élevés de l’air). Ces élément qui sont constants, pour certains sans forme, sans durée, que ce soit le nuage, la goutte de pluie, le cristal de neige… Ce qui m’intéressait c’est une approche sentimentale du Monde et une approche optimiste où l’enchantement a sa place.

Documentation

 » Il y aurait peut-être chez moi une fascination pour la science et son discours, conjointement appréhendés par les scientifiques, les philosophes et les artistes depuis la Renaissance … pour ce qui dans ce discours renvoie à l’innommable et à l’indicible, sur fond d’observation et d’expérimentation », Nathalie Talec , extrait du catalogue  » Coup de foudre », Fondation EDF- Espace Electra

T.G.P. : Quelle est la place de l’histoire de l’art dans la peinture ?

N.T. : Il s’agit de croisements, de collages, des hybridations, ce sont aussi comme des morceaux de mon cerveau où ce sont agglutinés des images, des motifs qui ont beaucoup à voir avec l’histoire de l’art, avec le plaisir de regarder, avec aussi une sorte de goût pour tout ce qui me semble balbutié. Je ne vais pas me confronter à des oeuvres, ce qui m’intéresse c’est de voir à travers les interstices, ce que l’homme a réussi à produire d’inventif. Cela peut être les enluminures, les manuscrits médiévaux, mais cela peut être un tout petit motif sur une céramique. C’est comme si je laissais les choses s’incruster dans mon cerveau et ensuite certaines choses vont s’éroder et d’autres vont m’obséder. C’est pour cela qu’il n’y a pas de style, cela part dans tous les sens, le style est ma vie, les histoires que je me raconte ou que les autres me racontent et les rencontres vivantes humaines qui me font avancer.

La banquise, un lieu métaphorique.

T.G.P. : Qu’en est-il de votre engagement pour la sauvegarde de la banquise ?

N.T. : Quand j’ai commencé à travailler sur le Groenland, personne ne s’y intéressait, que ce soit les scientifiques, les météorologues , les géographes, il n’y a que Paul-Emile Victor qui dans certains de ses textes, disait qu’il fallait commencer à prendre conscience que les choses allaient évoluer. Il y a une dizaine d’années environ que beaucoup d’artistes font de la banquise et des icebergs un fonds de commerce, je ne me sens pas du tout concernée parce que cet espace est pour moi un lieu métaphorique. Je suis pourtant concernée par la réalité et j’essaie d’imaginer des choses possibles. On n’échappe pas à la nature mais je crois qu’il faut échapper à notre propre nature pour pouvoir prendre en compte ces évènements climatiques, ces transformations qui existent depuis des millénaires.

Interview réalisé par Florence Briat-Soulie le 9 février 2021

Biographie Nathalie Talec

Un commentaire

  • Stéphanie Dulout

    Encore une question :

    Qu’est-ce que ces murs de béton qui pleurent ? Je suis très intriguée et, à plus d’un titre, intéressée : j’ai longtemps travaillé sur le projet d’une histoire de l’art des larmes (laissé en plan faute d’avoir trouvé un éditeur)…

    Envoyé de mon iPhone

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