Peintres femmes, 1780-1830

PAR MARIE SIMON MALET

Musée du Luxembourg

Marie-Denise Villers (1774-1821) Etude de femme d’après nature, dit aussi Portrait de madame Soustra, 1802 ©Marie Simon Malet

Sur l’affiche, le titre PEINTRES FEMMES 1780-1830 NAISSANCE D’UN COMBAT, apostrophe le visiteur comme un manifeste, repris par le « ni l’un ni l’autre » de la gravure reproduite en grand dans le vestibule : une jolie femme décolletée encadrée de deux prétendants lui offrant, l’un des bijoux, l’autre des pièces d’or… Peintres donc avant d’être Femmes comme un soufflet à l’histoire de l’art qui les a frappé d’invisibilité, ne leur offrant que quelques lignes de notes en bas de page des ouvrages les plus érudits.

Adrienne-Marie-Louise Grandpierre-Deverzy, épouse Pujol (1798-1869) L’atelier d’Abel de Pujol, 1822. Huile sur toile. Musée Marmottan Monet.

Qui connaît aujourd’hui Marguerite Gérard, Hortense Haudebourt-Lescot, Adélaïde Labille-Guiard, Henriette Lorimier, Constance Mayer, Adèle Romanée, Louise-Joséphine Sarazin de Belmont… et tant d’autres qui de leur vivant jouissaient pourtant d’une réputation établie? Cinquante ans d’un combat que Martine Lacas, commissaire de l’exposition, évoque plutôt comme une extraordinaire période de mutation née à la faveur des bouleversements initiés par l’esprit des lumières et la Révolution française… 

Marie Simon – Décolleté – Edition Pictum – p.64 et & 65 – A droite : Marie-Denise Villers (1774-1821) face à Léon Bakst (1866-1924) « Le souper » 1902

L’exposition des œuvres de ces pionnières est-elle un écho aux préoccupations autour du genre qui nous occupent aujourd’hui? 

               « Le meilleur hommage à accorder à ces femmes est enfin de les considérer comme des peintres ! » Martine Lacas

Intriguée et déjà acquise au tableau de l’affiche, le Portrait de madame Soustras laçant son chausson, 1802, de Marie-Denise Villers, que j’avais choisi pour illustrer mon livre sur le Décolleté, je me réjouis de pouvoir enfin visiter l’exposition à la réouverture du musée du Luxembourg. Elle est inaugurée par une salle consacrée à de magnifiques portraits et autoportraits, se poursuit par de belles découvertes qui réussissent parfaitement à débarrasser le visiteur de ses a priori : peinture d’histoire, grands formats, scène de genre, nu, voyage en Italie, ces artistes intrépides ont tout entrepris, tout embrassé avec brio. 

Sexe faible 

La fin du XVIIIe siècle est favorable à leur reconnaissance et leur professionnalisation. Dès 1770, une remise en cause des corporatismes et de l’Académie royale de peinture et de sculpture dans ses privilèges et son enseignement bouscule la rigidité des institutions. Pour des raisons de bienséance, les femmes ne sont pas autorisées à étudier le nu et à bénéficier de l’enseignement de l’Académie des beaux-arts, elles suivront ceux de grands maîtres qui créent pour elles des ateliers, le plus souvent secondés dans cette vocation par leurs épouses. En 1771, Jean-Baptiste Greuze ouvre son atelier féminin au Louvre, suivi en 1780 et en 1786 par Joseph-Benoît Suvée et Jacques-Louis David.

Joseph-Benoit Suvée (1743-1807) L’invention du dessin (étude) 1776-1791. Huile sur toile – Belgique, ville de Bruges, Musée Groeninge

Il y aura aussi ceux de Jean-Baptiste Regnault, François Gérard, Léon Cogniet, véritables pépinières de talents qui deviendront à leur tour, elles-aussi, d’excellents maîtres pour des élèves de plus en plus nombreuses. Ces dernières exposent avec beaucoup de succès aux Expositions de la Jeunesse « des jeunes artistes de l’un et l’autre sexe ». L’accès à l’art de ces demoiselles fait grincer les dents des réactionnaires, le comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments du Roi, ordonne au peintre David de fermer son atelier féminin. Martine Lacas souligne qu’il s’agit pour d’Angiviller d’un prétexte dont les femmes font les frais pour entériner une querelle plus profonde avec David, prometteur d’une esthétique dissidente. Mais, pour les représentants de l’ordre établi, subsiste cette idée héritée de Vasari qu’être artiste pour une femme est contre nature. 

Adèle Romanée ou de Romance, née Marie-Jeanne Mercier, épouse Romany (1769-1845). Autoportrait présumé dd’Adèle Romane, dite « Adèle Romanée », vers 1799 . huile sur toile. France, Rouen RMMRN, musée des Beaux-Arts. (détails)

              « Comment pourront-elles trouver assez de temps pour être à la fois épouses soigneuses, mères tendres et surveillantes, chefs vigilans de leurs domestiques et peindre autant qu’il est nécessaire pour le faire bien ? » Abbé de Fontenay, Journal général de France, 14 juin 1785.

A l’abbé, Antoine Renou, secrétaire de l’Académie, répondra aussi sec « le talent n’a point de sexe. »

Mise en lumière

Elisabeth-Louise Vigée Le Brun (1755-1842) , Autoportrait de l’artiste peignant le portrait de l’impératrice E.Alexeevna, c.1800, St-Petersbourg, musée de l’Ermitage.

Dans cette reconnaissance officielle, il est une date fondatrice, celle de 1783, année de la réception à l’Académie royale de peinture et de sculpture de deux artistes déjà célèbres, Adélaïde Labille-Guiard et Elisabeth-Louise Vigée Le Brun (cf article précédent – rétrospective Grand Palais) … Encore s’en est-il fallu de peu que Vigée Le Brun soit refusée à cause de la profession de son mari, une femme n’ayant alors pas de statut social autre que celui de son époux. Elle devra son admission au soutien de Marie-Antoinette dont elle est la portraitiste officielle. Les deux artistes ont beau être réputées pour leur talent et leur carrière lancée, tollé que cette inscription royale du « sexe faible » ! Un pamphlet ordurier circule pour discréditer ces femmes au métier d’homme, parfois séparées de leurs maris et, par conséquent, à la vertu douteuse. On limitera les membres féminins à quatre académiciennes. 

Constance Mayer (1774-1821), Autoportrait, c.1801, Boulogne-Billancourt, bibliothèque Paul-Marmottan, Académie des Beaux-arts, Institut de France

Dans la foulée de cette révolution, les femmes sont autorisées à exposer pour la première fois au Salon annuel de peinture, qui, en 1791, deviendra « libre », c’est-à-dire ouvert aux non académiciens. Une féminisation de la scène artistique prend forme. Alors qu’elles sont environ une trentaine à exposer dans les Salons révolutionnaires, elles seront deux cents au milieu des années 1820. Entre temps l’Académie royale a été abolie en 1793, la Terreur est passée par là, décapitant quasi tous les commanditaires aristocratiques et mettant en péril les artistes. En 1820, la pratique artistique féminine n’enflamme plus l’opinion, elle est à la mode et même un métier prestigieux.

Indépendantes et talentueuses 

Martine Lacas engage les visiteurs à admirer la soixantaine d’œuvres exposées au musée du Luxembourg sans se référer à leur genre ni à l’histoire. Elle a raison. Je me suis laissée happer par la beauté de certaines toiles, outre les éblouissants portraits de Vigée Le Brun et de sa rivale Labille-Guiard, un extraordinaire Portrait d’une dame en novice de Jeanne-Elisabeth Chaudet, daté de 1811, Paris, galerie Michel-Desours, mystérieux et captivant, dont le traitement de la lumière sur les voiles laiteux est d’une dextérité inouïe. Aussi brillamment peint, le Portrait de Francois Pouqueville à Janina, 1830, conservé à Versailles, par sa compagne Henriette Lorimier n’a absolument rien à envier à Ingres.

Henriette Lorimier (1775,-1854) , François Pouqueville à Janina, 1830, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Enfin, j’ai été fascinée par la manière dont ces artistes se sont figurées dans leurs autoportraits. La façon dont elles ont utilisé la mode, joué (ou non) avec les codes de la séduction féminine et de la représentation est passionnante et aurait mérité de plus grands développements à mon sens. On la perçoit en confrontant leurs toiles et dans celles-ci, leurs choix, leurs attitudes, leurs toilettes. On y voit aussi la première tentative de la part d’une femme de prendre pour modèle un portrait masculin dans le Portrait de l’artiste, (1800, musée du Louvre) d’Hortense Haudebourt-Lescot coiffée d’un béret et inspiré par le Baldassare Castiglione de Raphaël (v.1514-1515). 

La plus moderne d’entre toutes est sans conteste Elisabeth Vigée Le Brun. Féministe et véritable fashionista, elle réussit à créer un style vestimentaire qui contribua à influencer la mode féminine (cf le sublime portrait de Marie-Antoinette « en gaulle », une robe de coton blanc portée sans « corps » ou corset qui fait scandale au Salon de 1783 par sa simplicité dont on peut voir dans l’exposition une des 5 répliques avec variantes (chapeau, robe de mousseline, etc.) réalisées par l’artiste ), l’original ayant disparu.

La manière dont les artistes inventent leur style et orchestrent les accessoires et la pose est d’une grande richesse. Elle donne des indices de leur détermination à révéler ce qu’elles souhaitent offrir d’elles-même, en toute liberté. 

Constance Mayer 1774-1821, Autoportrait, c.1801, Boulogne-Billancourt, bibliothèque Paul-Marmottan, Académie des Beaux-arts, Institut de France
Jeanne-Elisabeth Chaudet (1763-1832) Portrait d’une dame en novice, 1811. Huile sur toile

Bibliographie

Frances Borzello, Femmes au miroir, une histoire de l’autoportrait au féminin, Thames & Hudson, 2019

catalogue de l’exposition, Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat, Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2021 

Marie Simon, Décolleté, éditions de la Table Ronde, collection Pictum, Paris, 2014

Séverine Sofio, Artistes femmes. La parenthèse enchantée, XVIIIe-XIXe siècles, CNRS éditions, 2016

Peintres Femmes – 1780-1830 – Naissance d’un combat – Musée du Luxembourg – Jusqu’au 4 juillet 2021. ©Marie Simon Malet

Peintres femmes, 1780-1830
Naissance d’un combat

19 mai – 4 juillet 2021

Musée du Luxembourg

19 rue Vaugirard 75006 Paris

Exposition organisée par la Réunion
des musées nationaux – Grand Palais, Paris

commissariat : Martine Lacas, Docteure en histoire et théorie de l’art, auteure, chercheuse indépendante

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