Gérard Fromanger (1939-2021) , peindre la couleur.

Gérard Fromanger dans son atelier ©TheGazeofaParisienne
Gérard Fromanger dans son atelier à la Bastille. ©TheGazeofaParisienne

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C’était en 2016 :

Je souhaitais rencontrer Gérard  Fromanger, éclaircir certains points et surtout connaître mieux l’artiste de la couleur, l’ami des poètes, philosophes, cinéastes….

Et surprise, je l’entends me dire « Rendez-vous samedi 11h », il acceptait de me recevoir,  de me faire partager son enthousiasme, et c’est avec des sentiments très partagés, à la fois impressionnée et ravie que je frappais à la porte de son atelier.

Gérard Fromanger "Souffle de Mai" 1968 ©TheGazeofaParisie
Centre Pompidou – Gérard Fromanger « Souffle de Mai » 1968 ©TheGazeofaParisie

En effet, très souvent au cours de ces dernières années je me suis trouvée face à la peinture de Gérard Fromanger , ce fut la rétrospective à Landerneau, ou Art Paris, ou encore lors de rencontres sur le sujet de la figuration narrative,  et ces derniers jours,  à Pompidou qui lui consacre une exposition.

Le commissaire de cette dernière, Michel Gauthier a pris parti d’exposer l’oeuvre de l’artiste par thèmes, « code couleur » « rouge » « Peinture d’histoire » « Portraits en ligne » « Le peintre et le modèle » … et la démarche de l’artiste apparait au visiteur simplement. Une sélection d’oeuvres judicieuse nous permet d’accéder au processus de création de l’artiste,  très convaincant !

Gérard Fromanger ©TheGazeofaParisienne
Gérard Fromanger – Centre Pompidou, vue d’une salle – ©TheGazeofaParisienne

L’idée d’avoir une conversation  avec celui qui à 24 ans fut présenté par Jacques Prevert à Aimé Maeght,  le grand galériste, me plaisait. Maeght voulait qu’il devienne le nouveau Giacometti! Cela a dû être grisant pour ce jeune homme de faire partie de ce monde, vivre à Montparnasse… se faire prêter par César son atelier, rencontrer Giacometti, s’amuser le soir chez Castel avec les Beatles.

Et pourtant, Gerard Fromanger fera ce choix de dire non à Maeght , laissant de côté ses portraits gris, la facilité d’une vie d’artiste écrite d’avance …

Et inacceptable pour le galériste, il choisit définitivement la couleur, nous sommes en 1965 et surgit sa série de Gérard Philippe en  Prince de Hombourg décliné en vert, rouge..

Gérard Fromanger©TheGazeofaParisienne
Gérard Fromanger -Centre Pompidou ©TheGazeofaParisienne

La couleur rouge, cette fois-ci,  intense s’installe sur la silhouette de Susie, enceinte, qui monte dans cet escalier en référence à Marcel Duchamp. Naissance de la première ombre peinte en hommage à une légende de l’Antiquité racontant le départ du fiancé qui part à la guerre, son amoureuse en découvrant son ombre sur le mur lui demande un dernier instant et fixe à jamais sa silhouette en la peignant…la peinture devient alors « la  fille de l’amour ».

Le rouge c’est aussi la couleur qui saigne, ce drapeau français  ensanglanté qu’il nous brandit, si actuel. Ce rouge encore que je retrouve dans son « Guernica » sa peinture d’histoire.  De toutes les couleurs, peinture d’Histoire, 1991-1992, représente une année de travail intense, sa vie, ses sentiments, le cosmos, l’actualité et le futur, l’ensemble relié par ces lignes. Une nouvelle invention de l’artiste apparait :  le  réseau, « des rhizomes pour dériver ». Je suis très émue en regardant cette grande fresque, non seulement, c’est l’année 1991,  la guerre du Golfe où tout s’arrête, mais c’est également une peinture prémonitoire, dix années plus tôt,  les twin towers apparaissent touchées par les lignes rouges.

C’est toute la complexité de l’artiste qui nous apparait dans ses peintures, fresques des temps modernes. Très connu pour faire partie de ce mouvement de la figuration narrative, Gérard Fromanger nous raconte l’actualité telle qu’il la perçoit, des belles couleurs, ses personnages qui semblent se promener dans les temps modernes et nous informent.

Son code couleur avec « Boulevard Sébastopol », s‘inscrit sur cette toile, il invente son alphabet de couleurs . Confronter l’information, l’actualité que semble nous offrir le kiosque à journaux, avec les passants, ces silhouettes qui prennent chacune une couleur et personnalisent chacun d’entre nous,  portant réellement l’information et  l’actualité ,et ainsi, effaçant le rôle du kiosque.

Gérard Fromanger "Quel est le fond de votre pensée" 1973
Gérard Fromanger Centre Pompidou « Quel est le fond de votre pensée » 1973

J’aime beaucoup l’énergie de cet homme qui se dit artisan de la couleur. J’insiste pour comprendre ses choix, pourquoi ce vert ? pourquoi ce rouge ?

Gérard Fromanger : « Nous sommes des artisans, cela se passe sur le tableau lui-même, c’est un calcul très précis qui vient petit à petit, cela n’a rien à voir avec les caractères, c’est autre chose, cela se passe ailleurs, cela se passe dans une combinaison savante et à la fin,  émotionnelle des couleurs, mais cela ne se passe pas dans la rue, dans la rue c’est l’émotion de départ, le sujet.

« L’information importante c’est nous »

A Gilles Deleuze, son grand ami, qui lui demandait « Pourquoi est-ce qu’il y a du vert là ? » réponse de Fromanger « Parce qu’il y a un petit rouge en bas à droite,  il demande, il est trop seul, il lui faut sa complémentaire, il lui faut son homme ou sa femme, il est trop seul, c’est trop dur tout seul, après, ils sont deux, ils demandent un grand, etcetera etcetera, et à la fin ils dansent. Aucune psychologie sur les couleurs, ce qui est important c’est la peinture.

Gérard Fromanger "La France est-elle coupée en deux" 1974
Gérard Fromanger Centre Pompidou « La France est-elle coupée en deux » 1974

On ne pouvait rêver meilleure rétrospective en un lieu que celui du Centre Pompidou où l’architecture de Renzo Piano et de Richard Rodgers se fonde sur le « Code couleur » 

Je ne peux m’empêcher de lui raconter ma conversation avec un ami architecte qui se rappelle de son professeur voulant lui inculquer l’importance de la couleur selon les composantes de Johannes  Itten « valeur clarté et saturation  » et se référant à qui devinez ? Fromanger ! Et à ma question quelle valeur donnez vous à la couleur ?

Gérard Fromanger me répond  : « Moi je suis plutôt pour les passions joyeuses, mais la valeur suprême pour moi c’est l’énergie du Monde. Alors les couleurs seraient l’exemple d’Einstein, vous êtes dans une gare, votre train démarre, mais il y en a un autre à côté, alors comment voit-on que c’est le notre qui démarre, on regarde alors le quai et on voit bien que c’est nous qui démarrons, donc il faut un quai. Alors entre l’espace et le temps, Einstein a trouvé le quai. Il dit : il y a une valeur qui fait quai, cela veut dire constante, partout et toujours, c’est la vitesse de la lumière, alors il dit E = MC2.  Moi, il faut aussi que je trouve mon quai et mon quai c’est la couleur, entre les passions humaines, les décors, l’abstraction, la figuration, la géométrie, le lyrisme, le street art, les environnements, la vidéo, tout ce que vous voulez. Mais mon quai c’est la couleur !

J’adore la peinture et j’essaie de lui donner une chance dans une époque où cela fait plutôt réac. C’est un vrai défi « 

Sa vie privée apparait toujours dans ses peintures et c’est le cas des portraits en ligne, le premier est celui d’Anna en 1982,  la femme qu’il aime,  suivis de ceux de tous ses amis Guattari, Duchamp, Picasso, Prévert, très présents dans l’exposition . Sacrée invention ces portraits en ligne, le visage devient un plan de métro, à nous de nous y retrouver et de découvrir la personnalité apparaissant comme par magie ! Il les continue toujours aujourd’hui, selon son inspiration,  et dans l’exposition on peut y voir un autoportrait de 2011. Il me montre un portrait de Giacometti caché dans un coin de l’atelier…

Gérard Fromanger "Anna, 1982" (portrait d'Anna Kamp) Coll. Anna Kamp.
Gérard Fromanger – Centre Pompidou « Anna, 1982 » (portrait d’Anna Kamp) Coll. Anna Kamp.

Entretien Gérard Fromanger – La Grande Table France Culture

« Qu’est-ce qu’une ligne, est-ce qu’il y a une ligne dans la nature ? non il n’y a pas de ligne dans la nature, vous pouvez me dire la ligne d’horizon… Donc la ligne est une création abstraite, c’est une intelligence du réel par le peintre. Je crée cette ligne qui part par exemple du haut à gauche de la toile en commençant par des couleurs claires et en finissant par les couleurs les plus foncées.( ..) Le plan de métro c’est le visage, ma ligne, elle vient de n’importe où pour retourner dans le rien, entre temps elle descend dans le métro, le métro c’est le visage d’Anna, qui se dégage par l’entrecroisement des lignes qui la traversent en dérivant selon les lignes de la lumière et de l’ombre »

Nous parlons de son grand ami Eduardo Arroyo, passionné par Balzac,  la Comédie Humaine et je pense que lui aussi n’y est pas indifférent, qu’en pense t-il ?

Gérard Fromanger :

« Si je suis peintre qu’est ce qui peut passer par la peinture, moi je suis plutôt entre Balzac et Dante, la Comédie Humaine et la Divine Comédie, moi je prends les deux. Je ne m’attache pas à la psychologie des personnages, il y a la Comédie Humaine, puisqu’ils sont là, mais il y a la Divine Comédie aussi, je pense que ce sont les hommes qui ont inventé les dieux et pas le contraire, mais  la métaphysique, la mystique, le sacré, c’est intéressant. Que ce soit en Orient, en Occident, cela fait partie de nous, ce désir de connaître, d’approcher ou de se fondre dans le mystère, dans l’énigme de notre existence. Je pourrais dire l’énigme aussi plutôt que comédie… »
Gérard Fromanger "De toutes les couleurs, peinture d’Histoire, 1991-1992"
Centre Pompidou – Gérard Fromanger « De toutes les couleurs, peinture d’Histoire, 1991-1992 »

Curieuse, je regarde les oeuvres accrochées,  accessibles, les piles de tableaux à terre, le violet de Bayeux, un projet d’affiche de corrida, des très beaux dessins de nus…

Accroché au mur son projet de vitraux qui lui tient à coeur, je vois  l’image spirituelle de la communauté humaine rassemblée, j’espère que ces vitraux seront un jour installés… Seule ombre au tableau !

Mais il est temps pour moi de quitter cet insoumis, celui qui fût embarqué dans le panier à salade par la police en 68 avec Jean-Luc Godard et Pierre Clémenti, mais surtout le peintre de la couleur et je pense à cette image de la façade de Beaubourg illuminée par les étoiles de Fromanger, que le mobile de Calder semble vouloir atteindre et j’aime voir ces deux artistes réunis par cette même énergie commune, l’art.

Florence Briat Soulié

©TheGazeofaParisienne
Centre Pompidou ©TheGazeofaParisienne

Gérard Fromanger – Entretien avec Michel Gauthier :

« Quand Mai 68 clamait « l’énergie, c’est nous », j’y trouvais une force pour peindre l’énergie du monde. Quand les philosophes (Sartre, Deleuze, Foucault, Guattari ou Lyotard) ou les poètes (Jouffroy, Bulteau ou Bailly) me parlent de cette « énergie du monde », ils me donnent envie de leur parler en peinture, c’est ainsi à travers l’échange des langages que se crée l’amitié. »
« Fromanger c’est un artiste qui refuse complètement la dichotomie qui s’est installée sur la scène artistique française au moment où il arrive, où son art s’impose dans les années 60-70.  Avec d’un côté un art engagé qui doit supposer qu’au fond,  il ne s’intéresse pas beaucoup à la peinture et d’autre part le formalisme qui suppose que surtout on préserve la peinture de tout contact avec la rue, de tout contact avec la société, de tout contact avec le réel. C’est cette dichotomie là, il me semble que Fromanger refuse, renouant en cela avec ce qu’il faisait de moderniste. Manet à ses débuts fait des moments de peinture pure, en même temps qu’il est en train de rendre compte de l’industrialisation des bords de Seine, de l’industrialisation du divertissement. C’est ce dualisme originel du modernisme que Fromanger veut retrouver dans sa peinture… » 
Gérard Fromanger "Le rouge et le noir dans le prince de Hombourg" 1965
Centre Pompidou/ exposition- Gérard Fromanger « Le rouge et le noir dans le prince de Hombourg » 1965

– Michel Gauthier, commissaire de l’exposition :

« Double dimension de l’art de Fromanger, à la fois un peintre politique, soucieux du réel au contact et en phase avec les soubresauts de la société mais aussi un peintre qui produit une peinture qui est constamment toujours consciente d’elle-même et le marqueur peut-être le plus actif de cette conscience qu’a la peinture d’elle-même c’est la couleur » Michel Gauthier

GERARD FROMANGER

17 FEVRIER – 16 MAI 2016

CENTRE POMPIDOU (galeries du musée, niveau 4)

Commissariat : 

Michel gauthier, conservateur au musée national d’art moderne

Horaires : 

Exposition ouverte de 11h à 21h tous les jours, sauf le mardi

Gérard Fromanger
Centre Pompidou/ exposition- Gérard Fromanger
Catalogue Gérard Fromanger

Catalogue de l’exposition Gérard Fromanger.

Auteur : Michel Gauthier

Editions du Centre Pompidou

 

dvd 
EN SUIVANT LA PISTE FROMANGER
de Serge July et Daniel Ablin
Film Produit par Folamour Productions.
En partenariat avec le Centre Pompidou
DVD édité par les Editions Montparnasse
54 minutes, version française, sous titres anglais Prix public : 15€

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