Pierre Soulages / Tanabe Chikuunsai IV: Éloge de la lumière

La fondation Baur, Musée des Arts d’Extrême-Orient, présente une rencontre exceptionnelle. Celle du grand peintre aveyronnais , Pierre Soulages, créateur de l’Outrenoir et du maitre vannier japonais , Tanabe Chikuunsai IV, issu d’une lignée qui pratique cet art depuis quatre générations . L’un travaille la réflexion de la lumière sur ses toiles puissantes sculptées de noir, l’autre tresse des oeuvres ajourées en fils de bambous, à travers lesquelles perce la clarté .

Lithographie de Soulages, 1970 ( collection privée), au-dessus de «Grande Voile» de Tanabe Chikuunsai IV @thegazeofaparisienne

Dès l’entrée dans l’exposition, la magie opère. L’accrochage révèle, comme une évidence, les affinités entre le travail du peintre et du vannier. La superposition des aplats noirs et colorés des sublimes tableaux de Soulages, leurs rainures -présentes également dans son vase « solaire »- évoquent le tressage tandis que ses jeux de clair-obscur, vivifiant l’éclat de la lumière, se retrouvent dans les vides et les pleins des sculptures végétales du Japonais.

Vue de l’exposition Soulages et Tanabe Chikuunsai IV, Éloge de la lumière , à la Fondation Baur de Genève

Le titre de l’accrochage, « Éloge de la lumière », est directement inspiré de l’ouvrage « l’Éloge de l’ombre » (1933) de Tanizaki, une ode à la pénombre révélatrice de la clarté. Comme l’explique Laure Schwartz-Arenales, directrice de la fondation Baur et commissaire de cette sublime exposition, « Nos collections regorgent de perles rares, comme les laques au lustre noir , les vases «noir miroir» ou les grès chinois qui révèlent et enchantent les couleurs de l’ombre».

Pour célébrer ce « clair-obscur », très présent dans l’esthétique de l’Extrême-Orient, elle a choisi de présenter quelques chefs-d’oeuvre de Soulages. On peut y admirer un brou de noix prêté par la galeriste Alice Pauli, quatre grandes huiles sur toile , incluant un immense Outrenoir , empruntées à la fondation Gandur et un magnifique vase « solaire  » en porcelaine de Sèvre , dont l’intérieur est illuminé d’or. Ce vase fut l’objet d’une commande à Soulages en 2000, par le Président Chirac, pour récompenser le vainqueur du tournoi de Sumo à Nagoya. Il fut édité en dix exemplaires… une merveille!

Soulages, Brou de noix ( collection Alice Pauli) faisant face à Vent céleste , panier en forme de bateau, 2021 de Tanabe Chikuunsai IV, photo thegazeofaparisienne

Soulages et le Japon

Les oeuvres de Soulages me fascinent depuis que j’en ai admiré la force et la profondeur lors de la rétrospective à Pompidou, en 2009. Elles m’emmènent dans un ailleurs bercé par une sérénité méditative. Il y a quelque chose d’asiatique dans ses créations et ce qu’elles font naître en nous. Pourtant , Soulages récuse toute inspiration niponne dans son travail. « Je m’intéresse depuis longtemps à l’art japonais que j’aime mais il n’y a pas d’influence. Je n’ai su qu’après que j’avais des choses pouvant sembler proches. » commente l’artiste.

Soulages peinture sur huile, Outrenoir (1984), fondation Gandur devant Esprit vide III et Disappear V de Tanabe Chikuunsai IV, photo thegazeofaparisienne

Une fascination réciproque entre l’artiste et le pays du soleil levant

En 1958, Soulages se rend pour la première fois au Japon avec l’artiste Zao Wou-Ki . Lors de ce voyage initiatique, il s’émerveille devant les jardins de pierre , ou encore le Pavillon d’or de l’île de Honshû. «Quand j’ai vu Ryōan-ji et Kinkaku-ji à Kyoto, cela m’a rappelé mes souvenirs d’enfance. » Il y retournera souvent. De leur côté, les Japonais apprécient très tôt le travail du grand peintre dans lesquels ils se reconnaissent. Ils aiment sa palette chromatique réduite, notamment ses brous de noix aux lignes larges et graphiques, ses contrastes en clair-obscur , ses signes mystérieux qu’ils pensent , à tort, inspirés de la calligraphie asiatique, puis les Outrenoirs sur la surface desquels la lumière vibre de mille éclats . En 1984 , une grande rétrospective de son oeuvre est présentée à Tokyo . Le public nippon s’enthousiasme pour la modernité de son travail . Quelques années plus tard, en 1992, Soulages reçoit même le Praemium Imperiale– le “Nobel de l’art japonais”-, et en 2020 il est élevé au rang d’officier de l’ordre du Soleil Levant.

Tanabe Chikuunsai IV, Le sculpteur de bambou

Tanabe Chikuunsai IV , 2021 , photo Thegazeofaparisienne

Cette exposition nous fait découvrir la grâce captivante des oeuvres de l’artiste vannier Tanabe. Alliant pratique ancestrale du tressage traditionnel du bambou et créations contemporaines, le ciseleur de ces grandes tiges végétales montre, dans cette exposition, toute l’étendue de son art. Il modèle les fils de bambou en lignes, courbes et noeuds dont l’incroyable finesse fascine. Ses tressages de creux et de pleins sculptent la lumière ainsi que son ombre projetée. Une mystérieuse spiritualité émane de son travail .

« Le bambou agit comme un matériau médiateur entre notre vie ici-bas et d’autres mondes. (…)Je tresse le bambou de façon à exprimer les connexions infinies . Je suis alors dans un état méditatif, totalement absorbé dans mon processus créatif. Je sens que je peux passer de notre monde à un monde spirituel, où le bambou et mon coeur ne font qu’un« . Tanabe Chikuunsai IV, catalogue Éloge de la lumière

Tanabe Chikuunsai IV dessins et sculpture Godai Kokü, Les cinq éléments et le vide. photo thegazaofaparisienne

Tradition et modernité

La tradition est très présente dans le travail de Chikuunsai IV. Il perpétue la transmission des techniques de tressage ancestrales dans des objets fonctionnels dédiés à l’art de l’ikebana et à la cérémonie du thé. Parallèlement, il exprime son talent d’artiste contemporain, dans des magnifiques sculptures abstraites, faites de « bambou-tigre » et de « bambou noir » .

Un rayonnement international

Le talent de Tanabe, célébré dans son pays, dépasse largement les frontières japonaises. Il expose et fait des démonstrations de vannerie dans le monde entier, des Etats Unis à l’Australie et la Nouvelle Zélande , de l’Europe (France, Suisse, Belgique, Russie , Pays-Bas… ) jusqu’au Brésil. Il a reçu de nombreuses récompenses dans son pays mais aussi à l’international, notamment le très prestigieux Llyod Cotsen Bamboo Prize aux USA en 2007, ou plus récemment en 2020, la distinctio du Musée Guimet de Paris et de la Galerie Mingei.

Une magnifique exposition, réunissant les oeuvres d’un grand maitre de la peinture abstraite occidentale et d’un artiste asiatique aux doigts d’or, autour du clair-obscur, du lien avec la nature et de la spiritualité. À voir absolument à la Fondation Baur de Genève, jusqu’au 27 Mars 2022

Caroline d’Esneval

Devant le vase solaire de Soulages, 2000 appartenant à la fondation Gandur. @thegazeofaparisienne

+ d’informations :

Éloge de la lumière, Fondation BAUR , Musée des Arts d’Extrême-Orient , 1206 Genève

2 commentaires

  • Florence Calvet

    Merci pour cette passionnante expérience ! Le musée Baur est un endroit remarquable, mais animé par cette rencontre cela doit exceptionnel !
    Caroline, grâce à toi direction Genève !😘
    Rémi et Florence

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