Livres de juin

PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE

Les 5 lectures proposées du mois de juin pour The Gaze : Darina Al-Joundi et Mohamed Kacimi, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter ; Nicolas Mathieu, Connemara ; Alexandre Dumas, La Reine Margot ; Marguerite Duras, Moderato Cantabile ; Laurence Debray, Mon roi déchu.

Laurence Debray. Mon roi déchu.

Je partage avec l’auteure un même petit panthéon personnel un peu ridicule peut-être, la même admiration pour Juan Carlos I, héros de mon enfance espagnole. Laurence Debray, fille de révolutionnaire castriste partait de beaucoup plus loin et l’a approché de beaucoup plus près, jusqu’à devenir l’une de ses biographes, voire une confidente. Et comme elle, je lui pardonne tout, au nom d’une enfance sacrifiée sur l’autel de la raison d’état, au nom d’une intelligence politique hors du commun (voir et revoir sur Youtube les deux discours devant les Cortes à quelques jour d’intervalle,  où celui que tout le monde prenait pour un benêt réussit le prodige de s’allier les franquistes puis d’ouvrir son pays à la possibilité  du pluralisme démocratique… avec le soutien du Parti Communiste, ses alliés de l’ombre. Voir et revoir son discours de la nuit du 23F. Voir et revoir le célèbre « porque no te callas ! »  lancé à Chavez….). Et face à la vindicte, que justifient pleinement ses faiblesses de séducteur et ses écarts malhonnêtes, je m’incline pourtant avec respect devant ce dialogue entre l’auteure et le Roi, au fin fond d’Abu Dhabi :

Laurence Debray

Laurence Debray – Mon roi déchu. Juan Carlos d’Espagne

dessin ©Séverine Le Grix de la Salle

« – Vous devez parler au Espagnols, ils ont besoin de comprendre. Il faut vous justifier. Et pensez à construire votre légende, Majesté. Personne ne le fera pour vous ».- « Les institutions que j’ai laissé devraient suffire. Elles parlent d’elles-mêmes. Mais c’est vrai, on détruit plus facilement les institutions qu’on ne les construit ».

A lire, pour ceux que l’Histoire intéresse plus que le triste destin d’un roi en exil dans les pages people.

Darina Al-Joundi, Mohamed Kacimi. Le jour où Nina Simone a cessé de chanter.

Cette autobiographie nous fait plonger avec nos tripes dans la  guerre du Liban, aux côtés de Darina. Elle nous fait entrevoir  les traumas de la guerre sur une enfant qui,  à l’abri à Chypre quelques temps

« a vécu d’affreuses insomnies,  ni l’alcool ni les calmants n’en venaient à bout (…) Passé les premiers jours, nous nous sommes rendus compte que c’était à cause du silence(…) Nous avons appris que la vie ce n’était pas la guerre car on disait tout le temps à Beyrouth et sous les bombes : « Mais nous on vit normalement ».

Puis de retour à Beyrouth, la fête, la drogue, les hommes, l’intensité devenue nécessaire, indispenable pour rivaliser avec le bruit du chaos. Et c’est aussi le récit d’une guerre plus intime et plus dure encore, celle d’une femme qui veut entretenir la flamme d’un père athée et libertaire dans un pays qui se radicalise. Et qui n’aura d’autre salut que la fuite, déposant son récit,  seule en scène au Festival d’Avignon,  pour être enfin respectée.

Tension vitale, respect total.

L'avant-scène Théâtre

Darina Al Joundi / Mohamed Kacihi.

Le jour où Nina Simone a cessé de chanter


dessin ©Séverine Le Grix de la Salle

Nicolas Mathieu. Connemara

Un bon gros roman, touchant, magnifiquement écrit, un bonheur de tendresse  pour des destins presque réussis, quelque part dans l’Est, avec une patinoire comme centre du monde.

Une analyse au laser des fractures économiques et sociales, que nos hommes politiques de tous bords feraient bien de lire :

«  Inventer une région, il fallait quand même être gonflé, et ne rien comprendre de ce qui se tramait dans la vie des gens, leurs colères alanguies , les rognes sourdes qui couvaient dans les villes et les villages, tous ces gens qui par millions , le nez dans leur assiette, grommelaient sans fin, mécontents d’être mal entendus, jamais compris, guère respectés et se présumaient menacés par des fins de mois, les migrations et le patronat, grignotés depuis cinquante ans faciles dans leur fierté hexagonale et leurs rêves de progrès. »

Les personnages secondaires sont d’une étoffe incroyable, même si ils ne  traversent parfois que quelques lignes d’une page. Comme elle :

« Elle avait servi beaucoup cette nappe, des dimanches et à Noël, pour le gigot pascal, des occasions et des fêtes(…).Autour d’elle,  des corps avaient rapetissé, des maris étaient morts de vieillesse, des femmes de chagrin et inversement. La nappe aurait pu tout raconter. Le tissu refermait dans sa trame le secret total d’une famille (…) Des héritages avaient tué des fratries, des crises s’étaient succédées pour rien, on avait versé des larmes et un peu de sang, perdu des sous et refait sa  vie, le temps avait passé, mais la nappe était restée blanche. »

Un grand roman d’amour  entre ces femmes pleines, dures, tendres, Charlie ou Hélène,  et Christophe le petit héros local,  qui restera local. Des vies qui passent, le hockey sur glace, l’adolescence, les voitures un peu cabossées,  les vieux copains.

Si quotidien, si triste, si vrai, si tremblant d’humanité, de respect. Un grand livre.

Nicolas Mathieu

Nicolas Mathieu – Connemara

dessin ©Séverine Le Grix de la Salle

ALEXANDRE DUMAS. La Reine Margot

« Cette fiancée, c’est la fille d’Henri II, c’était la perle de la couronne de France, c’était Marguerite de Valois, que dans sa familière tendresse pour elle, le roi Charles IX n’appelait jamais que ma sœur Margot. »

Relire la Reine Margot, c’est retrouver une amie autrefois intime à qui il n’est arrivé que des malheurs. Et pas des petits malheurs, du lourd : trop belle, trop aimée par ses frères, jouet de son horrible mère,  grande meurtrière et empoisonneuse devant l’éternel, mariée la veille du bain de sang de la Saint Barthélémy,  stoïque devant la mise à mort  de son amant.  Bref, on serait abattu à moins. Mais non, pas elle : elle pouffe comme une ado avec sa grande amie Nevers, très coquine aussi,  elle monte des plans impossibles pour faire le mur, elle nous bluffe par son énergie et son intelligence politique. Et accessoirement, elle sauve Henri IV et l’histoire de France.

Dumas, c’est l’écrivain qui vous fait aimer l’histoire par la petite porte comme par la grande. Et qui aimait femmes, surtout les belles brunes piquantes ! 

Alexandre Dumas

Alexandre Dumas – La Reine Margot

dessin ©Séverine Le Grix de la Salle

MARGUERITE DURAS. Moderato Cantabile

Addiction à Duras. J’adore son écriture hypnotique qui ne ressemble qu’à elle-même. Ne pas résister, ne pas chercher de logique, de structure, de récit. Et s’abandonner à ces pages, c’est beau comme un tableau, comme une musique, comme un souffle chaud ….Un petit enfant, contraint par sa mère à des leçons de piano. Un crime dans le bar, en bas de l’immeuble. La mère désemparée, s’y rend,   boit du vin après chaque leçon et y rencontre un homme. Et tout se mélange, les notes de musique, l’amour impossible, l’enfant qui veut rentrer, les dockers fatigués qui boivent aussi en regardant le couple adultère se faire et se défaire, le désespoir

«  – je voudrais que soyez morte, dit Chauvin – c’est fait, dit Anne Desbaresdes »

Tout est poème dans son écriture, même une scène de chantier : «  une pelle géante, baveuse de sable mouillé passa devant la dernière fenêtre de l’étage, ses dents de bête affamée fermées sur sa proie »

On dit de la littérature, d’un bon livre,  qu’il est un dialogue entre un écrivain et un lecteur. Que ce dialogue ne finisse jamais …. 

Marguerite Duras

Marguerite Duras – Moderato cantabile.

dessin ©Séverine Le Grix de la Salle

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