Exposition XL Ugo Rondinone

Genève, une visite à deux, et oui cette fois-ci nous nous sommes retrouvées toutes les deux dans ce grand musée d’Art et d’Histoire de Genève, pour une expérience XL un concept d’exposition initié par Marc Olivier Wahler, directeur des lieux. Le principe de l’exposition XL est de donner une carte blanche à des personnalités artistiques, l’année dernière c’était Jean-Hubert Martin (Article The Gaze) et cette année pour sa troisième édition, c’est au tour de l’artiste Ugo Rondinone d’être le commissaire invité et d’investir le musée.

^{Espace rythmique, ciel ouvert. Ugo Rondinone -“love invents us . yellow, 1999. Films colorés sur fenêtres existantes. “Sibuyan sea”, “flores sea”, “aral sea”, “timor sea”, “east siberian sea”,…, verre bleu. Courtesy de l’artiste – Sur les murs des toiles de Ferdinand Hodler. (voir plus bas)}

Le musée d’Art et d’Histoire a été créé en 1910 avec une architecture très classique tournée vers le 19e siècle, lorsqu’au même moment, le Kunsthaus à Zurich ouvre ses portes avec une architecture résolument moderne. Au rez-de-chaussée se trouvent les grandes salles dédiées à la sculpture, à l’étage les peintures…

Marc-Olivier Wahler et Ugo Rondinone se connaissent depuis bientôt 30 ans, Paris, New-York, Genève, tous les deux ont déjà eu plusieurs expositions ensemble, en 2007 c’était au Palais de Tokyo.

“J’aime travailler à partir d’archétypes, de grandes forces fondamentales qui organisent notre existence. Peints en pied et en arme, les guerriers suisses de Hodler répondent des le début du parcours aux nus de Vallotton, créant ainsi un contraste entre la force et la vulnérabilité, la protection du corps et son dévoilement. Les tableaux que Hodler consacre à l’agonie de sa maîtresse Valentine Godé-Darel et la façon si particulière qu’il a de saisir la mort dans son imminence, entrent en opposition avec les gravures intitulées Intimités dans lesquelles Vallotton explore un autre rapport au privé et à la vie du couple.
Mais ces jeux de questions-réponses se prolongent avec l’intégration de certaines de mes œuvres (figures de danseurs nus, horloges, chevaux de verre…) qui créent une autre épaisseur de références et renvoient aussi aux grands thèmes qui traversent un certain romantisme: le désir, le temps, le rapport à la nature et à l’intériorité.”
Ugo Rondinone en réponse à Marc-Olivier Wahler

^{Ugo Rondinone The Sun I, 2017 2017 Bronze doré ø 500 x 65 cm / ø 196.8 x 25.6 in}

Ugo Rondinone est un artiste romantique qui poétise son environnement en soulevant des questions de société majeures.

« Ugo Rondinone est une personne qui regarde l’espace de manière absolument unique et fantastique. Ici, il a vu la circularité des espaces, tout de suite il a vu cette idée de cycle circulaire et s’est intéressé à deux figures importantes de la peinture suisse Vallotton et Hodler »
Marc-Olivier Wahler

^{Salle Espace rythmique. À la lisière. Ugo Rondinone. nude (xxxxxxxxxxxxxx) , 2011 Cire, pigments de terre 1/2 AP + Ed. of 3 – Courtesy de l’artiste}
^{Sur les murs : Félix Vallotton. au fond à gauche : Roses rouges et blanches 1911 – Huile sur toile Achat, 1961 – MAH, inv. 1961-244 – Au fond à droite : Paysage à Vence, 1924 – Huile sur toile . Don de Willy Heineberg, 1968 MAH, inv. 1968-13}

L’exposition imaginée par Ugo Rondinone est un dialogue avec les deux artistes suisses Ferdinand Hodler (1853-1918) et Félix Vallotton (1865-1925)

L’idée du jour et de la nuit

« Le titre : When the sun goes down and the moon comes up (quand le soleil se couche et la lune se lève), est vraiment cette idée de révolution circadienne, l’idée d’une circularité qui se retrouve dans l’espace, on commence, comme on veut, à gauche ou à droite le parcours. »
Marc-Olivier Wahler

Ugo Rondinone utilise à la fois l’architecture du musée, ses espaces et ses collections (700 environ sont réquisitionnées pour l’occasion), tout en les respectant.

The Sun (2017) et The Moon (2020), deux cercles en bronze donnant cette notion à la fois de monumental et de légèreté, sont les deux points d’ancrage de l’exposition, les symboles du jour et de la nuit, encadrant la section dédiée à Holder puis celle de Vallotton. La première sculpture The Sun se trouve à l’entrée du musée autour des quatre saisons d’Albert Angst, et au milieu du parcours se trouve The moon (2020).

^{Ferdinand Holder. Le Lac de Thoune aux reflets symétriques 1909 Huile sur toile rentoilée à la cire Achat, 1939 MAH, inv. 1939-36}

Les liens entre les œuvres des trois artistes s’enchaînent harmonieusement, montrant une certaine connivence entre elles.

Les chevaux de verre turquoise de Rondinone font face aux paysages lacustres de Hodler; tout au long de l’exposition les oeuvres de l’artistes invité dialoguent avec celles des deux grands maitres suisses, ici ce sont les chevaux, plus loin les grandes sculptures en terre sont comme un passage annonçant la transition vers Vallotton.

Dans les grandes pièces réservées aux sculptures, de part et d’autre du hall d’entrée se trouvent dans l’une, les guerriers suisses de Hodler, pour l’anecdote ce sont les amis de l’artiste qui ont pris la pose en soldats suisses ! Ils répondent aux nus de Vallotton qui se trouvent dans la salle opposée. Les peintures sont installées sur des socles comme des sculptures reprenant la fonctionnalité de ces salles du rez-de-chaussée.

^{Avec Marc Olivier Wahler, directeur du MAH – Salle Espace rythmique. Cheminement. Ugo Rondinone. love invents us green 1999 Films colorés sur fenêtres existantes Courtesy de l’artiste Salles conçues en collaboration avec Frédéric Jardin}

Dualité

Le musée est devenu un lieu familier, habité par ces trois artistes, tout est suggéré pour que nous, les visiteurs soyons absorbés par cet univers complètement fictif, des films colorés recouvrent les vitres des fenêtres accentuant l’illusion d’une autre réalité extérieure. Ugo Rondinone a même pensé à réaliser des photos montages noir et blanc de Holder et Valloton ensemble laissant penser qu’ils se connaissaient.

Le noir et blanc encore avec la série Intimité de Vallotton. Cette série extraordinaire de 10 bois gravés est d’une grande rareté, tirée à seulement 25 exemplaires est un trésor,; elle est montrée dans cette pièce circulaire où se trouve The Moon qui annonce le passage de Holder à Vallotton.

Ce sont les 24 heures de la vie d’un musée qui défilent sous nos yeux, chaque oeuvre est un indice, une note poétique et doit s’observer attentivement,

^{Félix Vallotton. Série Les Intimités : Le Mensonge, Le Triomphe, La Belle épingle, La Raison probante, L’Argent, Le Grand moyen, Cinq heures, Apprêts de visite, La Santé de l’autre, L’irréparable (facsimilés) 1897 Xylographie Don de Lucien Archinard, 1979 MAH, inv. E 79-531 à 540}

Une fiction qui atteint son paroxysme lorsque de l’autre côté d’un rideau, nous découvrons un véritable appartement ou plutôt une garçonnière selon les termes de Ugo Rondinone, qui aurait appartenu à Hodler. Le décor s’inspire de cette mode qui consiste en un mélange des genres d’un cabinet de curiosités de la fin du XIX siècle évoquant le monde de Proust, le Palais rose de Boni de Castellane ou encore celui de Montesquiou. Le commissaire a imaginé avec l’aide du décorateur genevois Frédéric Jardin, deux lieux imaginaires, l’un pour Hodler et l’autre pour Valloton où ils auraient pu habiter; chambre, salle de bain, salon, tout a été pensé et meublé par des objets piochés dans les collections du musée et décorent ainsi les intérieurs. Le point de départ est un texte de Huysmans “A rebours”. Un code couleur vert pour le premier et rose pour le second et toujours ces petites photos souvenirs dans leurs cadres d’époque, alliant ainsi les deux hommes qui auraient pu se connaître. Poussant le détail à l’extrême, Ugo Rondinone est allé jusqu’à dessiner les motifs des papiers peints et tissus des rideaux.

^{Ugo Rondinone. The Moon, 2020. Bronze argenté. ø 500 cm sur les murs la série Intimité de Vallotton (cf voir photo plus haut)}

« Double possibilité d’objets à valeur d’usage comme pour leur valeur esthétique Présentation des objets dans toute leur densité «
Marc-Olivier Wahler

Le décor reflète un goût éclectique avec un mélange des époques, cela pourrait être l’habitation d’un esthète, le Musée d’Art et d’Histoire possède de très belles collections des arts décoratifs et ainsi un secrétaire de l’ébéniste de Marie-Antoinette, Jean-Henri Riesener côtoie, des Antiques, une coiffeuse art-déco ou encore de très belles études pour La mer de Carlos Schwabe, début XXe. De jolis souliers, certains posés dans des vitrines, d’autres sur un dessus de porte en faïence en forme de vase, ou encore négligemment sur un joli meuble ainsi que des plâtres représentant des pieds agrémentent cette décoration, mais quel en est le sens caché !

« La manière dont Ugo Rondinone traite ces paradoxes, contradictions « masculin – féminin » , « intérieur-extérieur » fait que tout d’un coup ces choses prennent sens ensemble. C’est aussi un peu le rôle du musée de brouiller les hiérarchies et surtout de montrer qu’il existe des manières de penser où les paradoxes ne sont pas forcément contradictoires. »
Marc Olivier Wahler

^{Chambre secrète. Ugo Rondinone. light blue clock ; light green clock ; dark orange clock ; pink clock, red clock 2022. Vitrail, fil de fer . Courtesy de l’artiste – love invents us 1999 Films colorés sur fenêtres existantes Courtesy de l’artiste}

Ugo Rondinone réinvente le monde à sa façon, avec cette liberté, sans contrainte de médium, vitraux, résine, bronze, dessin, tout est possible. Ne pas hésiter à faire ce tour de musée dans un sens ou dans l’autre et se laisser entraîner dans le monde poétique de l’artiste à la fois magicien et conteur, si intimement lié à la nature.