
Je suis au Musée d’Art Moderne et je tiens une brochure Dorn Bracht, société allemande de design haut de gamme de cuisines et salles de bains. Ils offrent “Premium solutions for Interior Architecture”, et sont présents au Musée d’art moderne dans l’exposition CO-WORKERS – Le réseau comme artiste, ils ont collaboré avec le collectif new-yorkais DIS et Mike Mieré co-designer pour présenter The Island (KEN). A la fois ’élégante, fonctionnelle cette cuisine – salle de bains avec éviers, plan de travail et Horizontal Shower Dornbracht (avec une station de boisson intégrée), The Island est l’exposition d’une pièce centrale qui combine l’intelligence, sorte de vitrine luxueuse d’un environnement “Ambient intelligence”, le futur (mais aussi très actuel) réalité présentée et étudiée à travers Co-Workers.
Dans cette réalité, une suite ininterrompue d’informations provenant du matériel développé qui s’adresse à nos besoins de façon telle que cela nous soit famillier, très accessible et fluide dans notre environnement comme une extension de notre intelligence. Ainsi DIS a désigné Co-Workers comme référence pour lieux de transit dans les aéroports, Apple stores, bureaux partagés, tout lieu dans lequel notre expérience nécessite aussi bien notre intelligence que l’intelligence digitale autour de nous ASMR :
“Libre et égaux. Avec ces grandes structures réparties sur les continents et océans. L’impulsion utopique se tourne vers l’intérieur. Elle devient domestique. La dernière lueur d’ambition se dirige vers la salle de bains ou peut-être la cuisine. Où se trouve l’eau, ce mouvement pour refaire le monde est très forte. Renatopia, dont la modeste ambition est de perfectionner les tuyauteries pour l’utilisateur final. De construire une oasis dans un désert planétaire.”
The Island (KEN) explore cette idée “d’intelligence ambiante” avec un degré immersion culturelle décomplexée qui n’esquive pas l’omniprésence des marques et du marketing dans nos vies technologiques. Cela ressemble en quelque sorte à un croisement entre Bed Bath, Beyond et Apple Store. Une ligne d’I-Macs le long du mur jouant avec la culture internet, un mode de vie épuré, troublante saccharine commerciale. Un penchant contre cette cuisine-bains mutante est l’écran plat qui montre une vidéo de The Island (KEN) où une femme tout habillée, allongée sur le lit douche horizontal, complètement trempée, sourit. Puis elle se tient contre le comptoir glacé et coupe des citrons. Retour sur le lit douche horizontal, elle regarde l’eau couler dans un verre contenant des feuilles de menthe à la surface. Tout d’un coup, elle caresse une laitue mouillée, toujours sur son lit, la séparation entre la cuisine et la salle de bains n’existe plus. Une voix, dont le son semble être à quelques millimètres de l’oreille, crépite sourdement
La cuisine, la douche, les citrons, la femme mouillée, la laitue mouillée – The Island et ses videos sont absolument ridicules, mais leur ambiance semble étonnement familière. Ce travail reflète une sphère de culture hyper-moderne réservée aux Occidentaux privilégiés C’est une représentation hyperbolique du “lifestyle Culture” sous une forme Muséale. Nous connaissons la sensation qu’elle procure. La technologie séduisante de The Island (KEN) nous rappelle ces moments de réconfort que nous trouvons à regarder les boutiques dutyfree pour oublier le vacarme des avions, ces moments où tous les “loupés” de notre vie disparaissent dans notre magasin Brookstone, ou encore lorsque l’on oublie de zapper les publicités à la télévision.
Le fondement de cet art si conceptuel provient de l’établissement d’une relation engagée très étroite avec cette sphère irrésistible du capitalisme comme Skymall, Brookstone …Ce qui est évoqué est cannalisé par The Island avec l’exagération qui peut être prise pour une satire, mais considérée comme une qualité intrinsèque de mode de vie culturel, cela devient facile d’accepter les invraisemblances.
Le côté radical de The Island et de l’Art produit par la communauté DIS, découle de sa participation sans aucun scrupule à des espaces culturels qui sont outrageusement “logotisés” de marques commerciales tout en étant imprégné de technologies (voir l’article de Tokke Lykkebug commissaire de Co-Workers sur ce sujet dans le magasine DIS). Les collaborations entre musées et les marques ne sont pas choses nouvelles mais alors que ces partenariats portent souvent de criantes dissonances, par exemple lorsque Fox News (chaine de divertissements américaine) interviewe un théoricien sur le thème du genre , The Island (Ken) apparait comme une rencontre étonnement productive de l’Artistique et du Business. Quels que soient ses arguments, elle a complètement infiltré la culture populaire.
Avec l’absurde laitue mouillée, Il dit ce qui doit être dit, et le fait avec la cadence incitative de la technique ASMR (autonomous sensory meridian response) sans aucun cynisme. Utilisant le registre convaincant du discours artistique, la brochure Dornbracht nous dit
“la précision et les finitions haut-de-gamme apportent au nouveau “produit” un aspect sérieux qui crée inévitablement une révolution par rapport à ce que les gens ont l’habitude de voir. The Island illustre une parfait symbiose du design et de l’Art. En combinant ces deux disciplines, il met en valeur à la fois l’aspect esthétique et l’énergie atmosphérique des produits Dornbracht , ce qui les place en dehors du contexte habituel de ces produits. Il fait éclater les frontières conventionnelles entre les pièces liées à leur fonctionnalité et permet au visiteur de voir le monde de Dornbracht d’une manière totalement nouvelle.”
By Chris Gortmaker
Wesleyan University
CO-WORKERS – Network as Artist
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
9 octobre 2015 – 31 janvier 2016