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Dada Africa

Musée de l'Orangerie Affiche exposition "Dada Africa"

Par Agnès Bitton

Dada s’est monté en marge de la guerre, grâce à la Guerre, en résistance. Il fallait sortir des ornières, couper court aux mouvements coincés dans leurs tuyaux, il fallait trancher. Ne plus rien accepter, chercher ailleurs de nouveaux sens, de nouveaux sons, résonances irraisonnées. L’ailleurs ce fut l’Afrique, débarquée en Europe par la photographie surtout, quelques reportages filmés et « bruités », les expositions de Paul Guillaume. L’Afrique en tête, mais aussi tout ce qui n’était pas occidental.

Ils en prirent plein la gueule, des cuites collectives, des bacchanales. Il ne s’agissait pas de créer pour une fois. Ils décloisonnaient, explosaient l’existant. Le vieux « beau » sentait la mort, l’esthétique bourgeoise puait sa naphtaline. Logique décapitée. Ils se mirent à déconstruire, démembrer, inventer des métaphores sans code, viser sans cible, dans une contestation collective née à Zurich pendant le conflit et qui gagna l’Allemagne défaite, Paris, New York…c’est alors qu’est apparue la performance, art hybride et iconoclaste.

Ils, ce furent Marcel Janco avec ses masques assemblages inspirés du Cameroun ( cf le portrait de Tristan Tzara)*, Tristan Tzara, Hugo Ball, Jean Arp, les premiers au Cabaret Voltaire à mettre en route dès 1916 Dada qui n’est pas un mouvement, pas une école, mais un manifeste dans le sens d’une contestation. Beaucoup sont multicartes: ils sculptent, peignent, écrivent, dansent, comme Raoul Haussmann qu’il faut voir se désarticuler torse nu, stupéfiant de grâce sur des rythmes africains*.

 

Ils, ce furent aussi intensément elles:  Emmy Hemmings et ses marionnettes, Sophie Tauber qui danse et peint et tisse et perle…

Et puis il y eut Hanna Hoch. Une femme libre. Raoul Haussmann fut son homme et ce n’est pas l’inverse. Elle, inventa le photo collage, et derrière elle plus personne ne put l’inventer. Avec une remarquable économie de moyens, elle fait surgir de la juxtaposition de deux ou trois extraits de photos découpés dans les journaux, un assemblage étrange. Une tête d’ivoire de la RdC joue à saute mouton avec des jambes d’athlète, et soudain l’extravagance !

Hannah Hoch « Sans titre » 1930 – Collage – Hambourg Museum für Kunst und Gewerbe

 

Le minuscule rouge-baiser pincé dans un visage paisible d’Africaine, et voilà raconté ce qui se pense du métissage, de part et d’autre.

Hannah Hoch « Métis » 1924
Collage/photomontage – Stuttgart
Institut für Auslandsbeziehungen e.V.

Du gris papier des quotidiens titrant la guerre, clamant des faits, tranchant des noms, elle extirpe son alphabet symbolique.

Singularité, excentricité, mais le trait précis est éloquent, il raconte loin derriere loin devant, le saut d’une époque lézardée à une autre esquissée, le sursaut. Bizarre et évident. On entre en Hanna Hoch je crois pour toujours. On rêve d’y attacher des mots, ceux de la première impression séduisant ou perturbant la rétine à celles successives qui pénetrent le cerveau comme un fluide. Et si les psychanalistes rangeaient Rorschach et ses tests (élaborés en 1921) et présentaient aux patients Hannah Hoch et ses collages percutants?

Que dites vous de celui-ci qui me chavire ?

Hannah Hoch – Monument (aus einemEthnographischen Museum VIII) 1924-1928 Collage sur carton – Berlin -Berlinische Galerie

Il y a toujours dans une exposition une oeuvre phare, celle qu’on retient, pour laquelle on revient, celle qui transforme un peu beaucoup. Les mille feuilles de Hannah Hoch sont mille éclats d’intelligence, de clairvoyance, de finesse et de poésie, ce mot un peu galvaudé qui s’impose ici après les vocables guerriers.

J’ajoute que toute l’exposition est remarquable, qu’elle ne se contente pas de montrer du dada, ni même de l’expliquer, elle le donne à comprendre.

Agnès Bitton

 

Dada Africa

jusqu’au 19 Février 2018 

Musée de l’Orangerie

Dada Africa – Musée de l’Orangerie

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