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Dans l’atelier de Valérie Belin

Valérie Belin est une artiste qui me fascine depuis longtemps. Elle compte parmi les plus talentueuses et inspirantes photographes d’aujourd’hui. Son travail révèle une justesse et une précision aussi remarquables que la richesse de son univers artistique. Connues dans le monde entier, ses photographies explorent la construction et la fétichisation des stéréotypes de beauté. L’artiste brouille les frontières entre illusion et réalité, insufflant à ses images un surréalisme mystérieux, qui questionne nos perceptions et notre façon de voir le monde.

C’est avec une grande joie que je visite, en compagnie des amis du Cercle de la Maison de Balzac, l’atelier de Valérie Belin. Elle nous parle de son travail avec une passion communicative, nous livre son parcours, ses recherches, ses inspirations.

Valérie Belin dans son atelier, devant Calendula Marigold (Black Eyed Susan) 2010 et Still Life with miroir 2014 ( prix Pictet, 2015). ©tehgazeofaparisienne

De la photographie à l’image

Après des études à l’Ecole des Beaux-arts de Versailles puis à l’Ecole nationale Supérieur d’Art de Bourges, Valérie Belin se tourne immédiatement vers la photographie. Pour elle, à la différence de la peinture, cette discipline permet un vrai rapport au monde et à l’autre, c’est  » un outil de connaissance du monde ouvert vers l’extérieur« .

L’argentique au service de la représentation photographique du réel

Le cheminement artistique de Valérie Belin évolue avec les innovations technologiques de la photographie. Dans son travail initial, pour maitriser les contraintes de l’argentique, où tout se joue au moment de la prise de vue , la photographe met en place un protocole très précis, rigoureux et invariable. A l’instar de grands photographes du XXème siècle tels Blossfeldt ou Avedon, elle applique une frontalité du point de vue, la bi-dimensionnalité mettant sur un même plan chaque détail, aucune contextualisation, fond neutre et utilisation exclusive du noir et blanc. En même temps, à travers son regard artistique, les objets ou sujets se transforment et s’éloignent du réel; de ses clichés se dégage une pureté extrême, un aspect surnaturel, abstrait. C’est le cas, par exemple, de Black Women I (2001), une de ses séries les plus iconiques , où les portraits minimalistes de sublimes femmes africaines apparaissent comme des sculptures figées, d’une beauté irréelle.

La révolution du numérique ouvre la voie à la création d’images nouvelles

« L’image se déplace, de l’empreinte un peu archaïque de la photographie argentique vers quelque chose de plus détaché du réel, plus pictural, quelque chose qui désormais est davantage du domaine de l’image » Valerie Belin , 2008

A partir de 2005, l’arrivée des technologies numériques apporte un changement radical dans l’oeuvre de Valérie Belin. La possibilité de retravailler les photos, après la prise de vue, la libère d’un processus de création rigide. Elle lui ouvre également un large champ de possibilités pour la création d’images imaginaires, détachées de la réalité. Ainsi les couleurs apparaissent, pour la première fois, dans son travail en 2006 avec sa série, Modèles II. Valérie Belin les ajoute ou les modifie à postériori . Avec la couleur, la photographe peut « maquiller » ses personnages ou ses objets, dissimuler certains aspects ou, au contraire, les transformer en ajoutant des artifices. J’admire ainsi ses incroyables corbeilles de fruits, aux couleurs outrées et à l’aspect si lustré qu’ils paraissent être en céramique.

Valérie Belin, Corbeille de fruits, 2007 ,
courtesy ©Valérie Belin

Au-delà de la couleur, l’artiste intervient de façon plus importante sur la prise de vue initiale usant de surimpressions , filtres ou « solarisation » pour concevoir des images nouvelles. Valérie Belin crée ainsi de toute pièce des images complexes, construites comme des peintures, où elle brouille les pistes entre la réalité et le fantasme, le vivant et l’inerte.

De l’objet à l’exploration du corps et des stéréotypes de la beauté

Valérie Belin, vue du studio, Lady Blur (2017), Sterling Silver Jug (2018), Bouquet (2008),©thegazeofaparisienne

Mise en valeur de la matérialité des objets

A partir de 1993, début de sa carrière de photographe, Valérie Belin s’intéresse d’abord à des objets « dotés d’une forte charge émotionnelle et plastique« . Elle capture ainsi les reflets et la démultiplication vertigineuse des verres de cristal, le miroitement de pièces d’argenterie , des robes posées dans des cartons ressemblant à des cercueils ou encore des voitures accidentées.

Exploration du corps humain et des archétypes de la beauté

Mais, peu à peu l’envie d’explorer le corps humain s’impose à elle. Elle se lance dans des séries de body builders, dont les muscles bandés lui font penser à du plastic, de mannequins de vitrine, de modèles, de mariées, etc…. allant jusqu’à s’intéresser aux sosies de Michael Jackson . Les personnages sont tous photographiés avec un visage totalement inexpressif. Valérie Belin joue avec les perceptions en dotant les objets de valeurs évocatrices et d’énergie, tout en figeant les êtres humains privés de toute manifestation émotionnelle.

Dans l’atelier de Valérie Belin ©thebgazeofaparisienne

Le diktat du paraitre et de la « pop culture »

Au fil du temps, la photographe perçoit l’influence grandissante des stéréotypes de beauté sur le monde. Le paraitre est roi, la société se laisse aller au consumérisme obsessionnel et a recours à l’artifice pour copier les idéaux esthétiques. A partir de 2005, l’utilisation de photoshop permet à Valérie Belin de jouer avec les couleurs et en particulier avec le maquillage pour conférer une expressivité artificielle aux visages lisses (Modèles II et Métisses II) .

Nouvelle série de Valérie Belin, Modern Royals, Portrait of Gaby, 2020. photo: Courtesy ©valeriebelinstudio

À partir de 2010, la surimpression d’éléments de la « pop culture » (bandes dessinées, slogans publicitaires, fleurs, objets de consommations kitsch ou de luxe..) envahit ses images , aliénant les protagonistes passifs de l’histoire. Les compositions très riches relèvent du pictural et jouent avec les contrastes et les perceptions des spectateurs. Chacun peut y lire sa propre interprétation . Les romantiques femmes -fleurs (Black Eyed Susan) s’épanouissent-elles dans cette représentation traditionnelle de la féminité ou, au contraire, en sont -elles prisonnières? Les magnifiques China Girls , enfermées dans un faux bonheur domestique s’anéantissent-elles , victimes consentantes de ces rêves caricaturaux de consommation , ou au contraire sous leur regard éteint , vibrent-t-elles d’une vie intérieure pleine de fantaisie , créant leur propre monde imaginaire? J’aime tellement ces séries, elles expriment toute la complexité de notre relation à un environnement en mouvement constant, sursaturé de messages, d’images, de nouveautés et d’informations qui se superposent les unes aux autres comme dans les magnifiques photographies de Valérie Belin.

Je laisserai les derniers mots à Valérie Belin. « En rencontrant mes œuvres, je veux que les spectateurs s’interrogent sur ce qu’ils regardent, et peut-être qu’ils remettent aussi en question leur façon de voir le monde. »

Caroline d’Esneval

+ d’info:

Actualité:

Du 24 Mars au 14 Mai 2022, 91 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8ème

Du 9 Mars 2022 au 5 Juin 2022, 2-4 Huntsworth Mews, London NW1 6DD.

Site Valérie Belin

Bio-Valérie Belin est une artiste plasticienne française (Née en 1964 ). Elle vit et travaille à Paris. Étudiante à l’école des beaux-arts de Versailles (1983-1985), puis à l’école nationale supérieure d’art de Bourges (1985-1988), elle obtient le diplôme national supérieur d’expression plastique en 1988. Elle est également titulaire d’un DEA, diplôme d’études approfondies en philosophie de l’art (université de Paris Panthéon-Sorbonne, 1989). Tout d’abord influencée par différents courants minimalistes et conceptuels, Valérie Belin s’est intéressée au medium photographique, qui est à la fois le sujet de son œuvre et son moyen de réflexion et de création. La lumière, la matière et le « corps » des choses et des êtres en général, ainsi que et leurs transformations et représentations, constituent le terrain de ses expérimentations et l’univers de son propos artistique.

Les œuvres de Valérie Belin ont été exposées dans le monde entier et font partie de nombreuses grandes collections publiques et privées. Lauréate du prix Pictet en 2015 (Disorder). Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles dans des institutions majeures dont le Centre Pompidou de Paris (en 2016), le Photography Art Centre à Pékin (co produite par le Three Shadows), le SCôP à Shanghaï ou encore le Chengdu Museum (2017), ou encore le Victoria & Albert Museum à Londres (en 2019), où elle a exposé une série inédite. Valérie Belin a été nommée officier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2017. Elle est représentée par la Galerie Nathalie Obadia, à Paris.

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