Elle voulait être danseuse dans la troupe de Bob Wilson et se préparait à le rencontrer en répétant dans la salle de bal de ce bâtiment désaffecté qui deviendra le musée d’Orsay. Sophie Calle ne savait pas encore ce qu’elle aimerait faire, c’était une jeune fille en quête d’une révélation sur son avenir. Des parents qui divorcent lorsqu’elle a 3 ans, un père médecin collectionneur qui lui ouvre un regard sur l’art et deviendra directeur du musée d’art contemporain de Nîmes. Petite fille, elle vit chez sa mère attachée de presse plus fantasque, qui sort tous les soirs et lui donne très tôt une grande liberté.
Puis un jour elle revient vivre chez son père, dans une émission de radio elle évoque ce qu’il lui a transmis.
(…)sur les murs il y avait de l’art contemporain, pas mal de photos avec des textes, et puis j’ai vu qu’il n’était pas très satisfait par ce que j’étais en train de devenir (…) je ne savais pas quoi faire de ma vie et lui avait toujours su quoi faire de la sienne, donc j’ai vu que j’avais un petit travail à effectuer pour le séduire et inconsciemment je pense que j’ai fait mes premières photos, mes premiers textes, en copiant ce que je voyais sur les murs
Sophie Calle – France Culture, “La part d’enfance”, 3 août 2012;
Fin des années 70, Sophie Calle au hasard de ses promenades, découvre une porte entrouverte rue de Lille, celle de l’Hotel d’Orsay, un hôtel abandonné, seuls restent les fantômes des anciens occupants.
Avant d’être le musée d’Orsay , ce lieu était une gare, mais aussi un théâtre où s’est produit Bob Wilson, la salle des ventes Drouot et cet hôtel d’Orsay.
Un hôtel abandonné où subsistaient toujours sous la poussière, les traces de passage des clients, certains prestigieux, d’autres qu’on aimerait oublier, restes de l’occupation sous la seconde guerre mondiale, ce lieu était là à portée de mains. Sophie Calle investit peu à peu les pièces, les étages, récupère des clés, des plaques des portes, des fiches de passage, elle lit les notes d’Oddo, homme ou femme de ménage des lieux qui devient son compagnon invisible.
Sophie Calle au Musée d’Orsay © The Gaze of a Parisienne
Elle choisit de se réfugier tout en haut du bâtiment, au 5e étage et c’est sur cette chambre 501, qu’elle jette son dévolu. “Dingue de Bob Wilson” elle s’entraine pour rejoindre sa troupe, avec beaucoup d’humour, elle reconnaît qu’elle n’était pas vraiment qualifiée ! et dans cette chambre, isolée, seule, elle se retrouve avec ces fantômes d’autrefois et accumule tous ces objets abandonnés qu’elle conservera chez elle dans des caisses toutes ces années.
Il faudra un dîner, 42 années plus tard et une rencontre avec Donatien Grau, à l’époque conseiller des programmes pour le musée d’Orsay, où elle lui annonce qu’elle connait son musée mieux que lui. Cette déclaration ne peut qu’aiguiser la curiosité de l’historien d’art qui se rend chez l’artiste et aujourd’hui il y a cette exposition singulière.
Pendant le confinement, Sophie Calle est invitée par le musée d’Orsay, elle découvre tous ces tableaux endormis et les photographie dans l’obscurité. En prenant ces images, l’artiste réussit à capter l’âme de ces oeuvres esseulées sans les visiteurs habituels qui se pressent auprès de ces chefs-d’oeuvre. J’imagine le silence religieux des salles désertées et tous ces tableaux, sculptures qui défilent, apparitions fantomatiques.
Comme un signe de ce personnage Oddo, “au dos” d’une immense toile de Cuno Amiet, ce paysage de neige de 1904, deux repentirs, deux fantômes apparaissent, comme si cette exposition était la fin d’un cycle, une reconnaissance de ce lieu disparu qui existait avant le Musée d’Orsay.
“Au détour d’un couloir, un skieur solitaire dans une vaste étendue
Sophie Calle
blanche émerge de l’obscurité. C’est Grandhiver, une peinture monumentale d’Amiet. La conservatrice me révèle que le personnage perdit un jour ses deux compagnons, ensevelis sous la neige par l’artiste et que, si on retourne la toile, on discerne leurs fantômes au dos du tableau. AU DOS… comme un signe d’Oddo, Odo, Mr Audau mon fantôme d’Orsay. “
Il faut savoir que l’oeuvre de Sophie Calle est fondée sur l’absence.
Fiches de l’archéologue Jean-Paul Demoule, l’actuelle et celle de l’archéologue du futur en bleu.
L’artiste a l’idée de proposer à l’archéologue Jean Paul Demoule, spécialiste du néolithique, rencontré à Europe 1, lors d’une émission de Frédéric Taddei de participer à ce projet.
Jean-Paul Demoule, analyse alors un à un les objets trouvés, les décrit méthodiquement, il a cette idée de rajouter une autre fiche en caractères bleus qui est celle imaginée de l’archéologue du futur, dans quelques milliers d’années, il se trouverait face à eux et ne comprendrait rien à leur utilité passée, et écrirait ces fiches truffées d’erreurs, qui nous semblent si ridicules quand on les lit, comme cette simple serrure qui serait une arme.
Sophie Calle s’approprie la méthodologie des ready made, une entrée de serrure devient un objet d’art précieux comme ce manomètre à mesurer la pression de l’eau exposé dans sa vitrine et prenant ainsi la valeur d’une pendule d’ornement dans un château. Regarder ce que l’on ne regarde pas.
Une exposition qui montre le rapport archéologique à l’art et met en lumière une histoire du musée avant 86, c’est une œuvre d’art totale.
Ce lieu qu’elle va devoir quitter au bout de deux années, des ouvriers viennent tous les jours, ils s’habituent à sa présence, elle fait venir des amis, témoins de son passage sur place dont l’artiste Jacques Monory et le photographe Richard Baltauss qui la photographie et immortalise sa présence, assise sur ce lit de sa chambre 501, puis le dernier jour, elle part définitivement, comme un envol vers son avenir d’artiste.
L’œuvre de Sophie Calle est toujours ouverte, on entre dans son récit , toutes les clés sont données mais à nous de faire notre propre récit.
C’est une artiste très méticuleuse, le moindre détail à son importance que ce soit la lumière qui éclaire les œuvres, les lettres dessinées par un peintre en lettres, le livre de cette exposition…
Aujourd’hui cette chambre 501 est devenue l’ascenseur du musée.
Florence Briat Soulié
IINFORMATIONS :
Jusqu’au 12 juin 2022,
Musée d’Orsay
« Les Fantômes d’Orsay », exposition de SOPHIE CALLE et son invité Jean-Paul Demoule.
L’ascenseur occupe la 501, livre qui accompagne cette exposition « SOPHIE CALLE et son invité Jean-Paul Demoule : LES FANTÔMES D’ORSAY »
- Édition : Actes Sud
- Format : 22 x 27 cm / 366 pages
- Versions : disponible en versions française et anglaise
- Prix : 69 €
A lire également le livre Exquise planète par Pierre Bordage, Jean-Paul Demoule, Roland Lehoucq, Jean-Sébastien Steyer. Edition Odile Jacob – 2014
Remerciements à Marie-Alix Caquelard et Lan-Hsin Arnaud de la SAMO Société des amis des musées d’Orsay et de l’Orangerie.