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Boris Mikhaïlov, journal ukrainien

Boris Mikhaïlov - MEP

Boris Mikhaïlov – Luriki (coloured Soviet portraits), 1971-1985. Tirages gelationo-argentiques, rehaussés à la main avec des colorants à base d’anililine © Boris Mikhaïlov- Pinault Collection

L’artiste ukrainien Boris Mikhaïlov (né en 1938 à Kharkiv). est fascinant, toute cette inventivité, toute cette liberté, il se les est octroyées dans le régime totalitaire de l’Union Soviétique, sous le nez du KGB. Photographe dissident ukrainien, il fait partie du groupe Vremya, un collectif expérimental à l’origine de la Kharkiv School of Photography. Ses membres sont Evgeniy Pavlov, Jury Rupin, Anatoliy Makiyenko, Oleg Malyovany, Oleksandr Sitnichenko, Oleksandr Suprun et Gennadiy Tubalev

La MEP montre plus de 50 années de travail de Boris Mikhaïlov, avec l’aide de prêts obtenus des grands musées internationaux. Le commissariat est assuré par Laurie Hurwitz qui a fait un travail incroyable de recherches, tri des photographies, documents correspondant à la grande carrière de l’artiste.

Cet autodidacte, ingénieur de formation, s’ennuyait dans son usine lorsqu’un jour on lui prête un appareil photo pour faire des clichés de son lieu de travail. Mais Boris a un autre sujet beaucoup plus intéressant, celui de photographier sa femme nue, il faut savoir qu’à l »époque prendre des photographies de nus est strictement interdit, c’est prendre un grand risque d’être arrêté. Pris en flagrant délit par le KGB, il perd son emploi ce qui le conforte dans son désir de devenir photographe, un métier qui sera le sien désormais.

Boris Mikhaïlov – Green, 1991-1993 – Tirage gélatino-argentique, rehaussés à la main avec des colorants à base d’aniline. © Boris Mikhaïlov-Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève, Paris.

Les premières images sont des images de rue qu’il colorise. Il prend des risques en photographiant les portraits de ces gens qu’il croise, le risque d’être pris pour un espion, le risque d’être dénoncé, mais rien ne l’arrête. Il faut du temps pour regarder toutes ces séries, son journal, découvrir les subtilités qui se dissimulent.

Tout au long de sa carrière il mélange la réalité et les images de propagande. Il y a aussi les images permises, celles des mariages…

Il y a cet autoportrait iconique de Boris Mickaïlov en uniforme, il est le jeune soldat trop beau et courageux qui porte cette belle décoration, mais ces couleurs acidulées, ce fond rose sonnent faux.

Vita sa femme est très présente dans son travail, elle participe avec lui à ses projets, ses reportages.

Ces images sont toujours très fortes, on sent l’empathie de Boris Mikhaïlov sur ces personnes qui prennent la pose devant l’objectif.

Boris Mikhaïlov – Vue d’une salle avec au fond : At Dusk, 1993. © Boris Mikhaïlov VG Bild-Kunst, Bonn. -.Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève, Paris.

Parfois, glaçantes comme ces photos de vacances à Kharkiv où les gens semblent heureux, ils se baignent dans une eau chaude très agréable mais évidemment polluée, à côté des tuyaux en fonte ou autre matériau, une insouciance règne dans ce climat de soumission au régime. C’est l’année de Tchernobyl.

Après la chute du mur, de nombreuses personnes sont perdues, sans argent, sans logis, égarées dans la ville, Vita et Boris sont très affectés par cette détresse. Ils accueillent alors les clochards chez eux, les soignent, leur servent des repas chauds et leur demandent de poser contre une somme d’argent, ces gens revivent, retrouvent un peu d’humanité. Là encore les images sont à la fois très belles et à la limite de l’insoutenable et restent gravées dans notre mémoire, cet homme au manteau usé dans la neige est d’une grande élégance.

Il y a aussi la série des photos rouges, couleur de l’idéologie communiste, avec à chaque fois un détail de la couleur, propagande ou pas.

Et celle des jours heureux ordinaires, que l’on retrouve dans la série la Dance, 1978 , que j’avais déjà vue à Paris Photo sur le stand de la galerie de Suzanne Tarasiève. On y voit des couples mixtes ou deux femmes exécutant des pas de danse en plein air à Kharkiv. La galeriste, elle-même d’origine ukrainienne, suit son travail depuis tant d’années.

Et puis ces photos sépia bleues qui évoquent les angoisses nocturnes de Boris au moment de la guerre.

Boris Mikhaïlov – Crimean Snobbism, 1982 © Boris Mikhaïlov

Des photos de vacances très second degré , et si on jouait à être riche à Goursouf, la station balnéaire des intellectuels russes où il faut être vu . Vita prend la pose devant l’objectif, le couple est beau, glamour, insouciant, c’est un jeu et en même temps, dans ce régime totalitaire, aucune interdiction de rêver.

« Nous sommes si heureux, si amoureux. Tout le monde est beau. Mais nous jouons aussi à un jeu: être riches, bourgeois, comme dans une publicité. Se faufiler sur une plage privée, frimer, exagérer, prendre un air suffisant. »

Boris Mikhaïlov
Vue d’ensemble avec la photographie de la série « National Hero », 1991 – Tirage chromogène, 120 x 81c © Boris Mikhaïlov, VG Bild-Kunst, Bonn. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève, Paris.

Ce journal d’images, se déroulant sur un demi-siècle, témoignage précieux, existe aujourd’hui et retrace les réalités d’une époque en dévoilant tous ces visages regardés sans concession, par l’oeil bienveillant du photographe.

La commissaire Laurie Hurwitz a dû faire le tri dans des milliers de photographies. Certaines sont restées en Ukraine, on ne sait pas ce qu’elles sont devenues.

Une exposition rétrospective qui m’a énormément touchée, non seulement par son importance sur tous les plans, qu’ils soient historiques, techniques ou esthétiques mais aussi par cette humanité et ces émotions que les oeuvres nous transmettent.

Florence Briat Soulié

La MEP – Maison Européenne de la Photographie

INFORMATIONS :

Boris Mikhaïlov

Journal ukrainien

Commissariat : Laurie Hurwitz

Jusqu’au 15 janvier 2023

A la MEP – Maison Européenne de la Photographie
5/7 rue de Fourcy 75004 Paris
01 44 78 75 00 – mep.paris

Aujourd’hui Boris Mikhaïlov est considéré comme un artiste majeur de la scène artistique mondiale, il a reçu de nombreuses distinctions, notamment le 2015 Goslar Kaiserring Award, le Citibank Private Bank Photography Prize (aujourd’hui le Deutsche Börse Photography Foundation Award) en 2001 et le Hasselblad Award en 2000. Il a représenté l’Ukraine à la Biennale de Venise en 2007, puis à nouveau en 2017.

Son œuvre a été présentée dans les plus grands musées internationaux dont la Tate Modern, Londres, et le MoMA, New York, ainsi que plus récemment
le Berlinische Galerie et C/O Berlin à Berlin, le Pinchuk Art Center à Kiev, le Sprengel Museum à Hannover et le Staatliche Kunsthalle à Baden Baden.

Boris Mikhaïlov est représenté à Paris par la galerie Suzanne Tarasieve. Il expose également ses œuvres à la galerie Sprovieri à Londres, Guido Costa Projects à Turin, Barbara Gross à Munich et Galerie Barbara Weiss à Berlin.

Ses œuvres sont actuellement exposées au sein de This is Ukraine: Defending Freedom à la Scuola Grande della Misericordia de Venise dans le cadre de la Biennale de Venise.

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