« Des cheveux et des poils »
Par Marie Simon Malet
« Va te coiffer ! »
Lorsque j’étais enfant, je me souviens de ma grand-mère considérant avec dédain une femme « pas coiffée »; il était impossible de passer à table si mes cheveux étaient en désordre : « va te donner un coup de peigne ! ». Dans sa jeunesse, Odette avait connu un temps où le chapeau était encore de rigueur pour sortir et où les chapeliers pour homme et pour femme avaient pignon sur rue.
Cheveux dans le vent ou mise-en-plis
Mettre en forme et en scène crinières, toisons et poils pour en faire de véritables accessoires de mode, voici le défi que les hommes se sont lancés, dès l’Antiquité. Pourquoi tant d’artifice ?
Mais pour domestiquer l’animal velu qui sommeille en chacun et « avoir l’air de quelque chose ».
Le musée des Arts décoratifs organise une exposition autour de la coiffure et de la pilosité dans l’histoire des apparences et de la mode occidentale. Elle est découpée en quatre grandes thématiques :
Quatre grandes thématiques :
Modes et extravagances
Poil ou pas poil
Entre nature et artifice
Métiers et savoir-faire
Regard sur un siècle chevelu.
Décoiffante de drôlerie; l’exposition illustre notamment la manière dont, durant des siècles, coiffures et couvre-chefs sont inextricablement liés. D’ailleurs la première désigne autant un chapeau ou une coiffe qu’une mise-en-plis ou tout autre type de coupe de cheveux.
Au XIXème siècle, il est impensable pour une femme de se présenter « en cheveux ». Les cheveux défaits de Sissi (Elisabeth d’Autriche) sur son portait par Franz Xaver Winterhalter destiné aux appartements privés de l’empereur d’Autriche François-Joseph, ceux de Madame Rimsky Kosakov (Franz Xaver Winterhalter, 1864, Paris, musée d’Orsay), toutes deux en déshabillé, dévoilent une sensualité extrêmement osée pour cette société si corsetée.
Quand un siècle plus tard, l’usage des chapeaux disparaît, la coiffure se simplifie progressivement : Adieux postiches, anglaises, frisettes et bigoudis ! Mais auparavant, la sophistication capillaire de nos ancêtres semble tirée par les cheveux, l’époque actuelle sacrifiant volontiers cette activité chronophage à d’autres, même si elles le sont tout autant.
La Mode et ses extravagances occupe les premières salles inaugurées par le rappel des règles de la première épître de Saint-Paul aux Corinthiens (I Cor II,5-15) au 1er siècle de notre ère :
Une femme doit se couvrir pour prier et avoir les cheveux longs; elle doit porter une « marque d’autorité ». Les exégètes matérialiseront celle-ci par un voile. Cependant, ce vœu pieux d’humilité et de soumission à l’autorité masculine fut vite chahuté.
Les portraits de la fin du XVème siècle montrent que les recommandations de l’apôtre prendront, au Moyen-âge, un tour inédit. Le voile se retrouve à l’extrémité d’un grand cône pointu. Pour accentuer encore ce chapeau pointu, le front des femmes est épilé : la naissance des cheveux reculée artificiellement et un front immense répondent aux canons de beauté en vogue (Portait de femme, fin du XVème siècle, attribué à Jean Perreal, Paris, musée du Louvre).
Orner le chef
À partir du XVIème et plus encore du XVIIème siècle, la coiffure féminine devient un véritable phénomène de mode et la galerie de portraits réunis ici -dont la plupart sont issus des collections du musée- est un régal de fantaisie et de d’inventivité.
Une vidéo projetée dans la première salle présente trois séances de coiffures historiques reconstituées par Pascal Ferrero, coiffeur et costumier, inspiré par ses recherches minutieuses dans les textes anciens. Elle m’a permis de percer le mystère de la construction capillaire du pouf qui connut une fortune extraordinaire au XVIIIème siècle. Pendant une dizaine d’année, cette pièce-montée en cheveux et postiches servit de support à toute sorte d’excentricités. L’un des poufs les plus célèbres, dit « à La Belle Poule », était surmonté du modèle réduit d’une frégate française qui se distingua lors de la guerre d’Indépendance américaine (en échappant aux Britanniques, le 17 juin 1778).
À son acmé et selon la légende, le pouf atteignit jusqu’à 2 mètres de haut. La perruque masculine, quant à elle, s’impose entre 1630 et 1680. Elle est faite de vrais cheveux pour les aristocrates, plus communément de crin de cheval.
En passant par des petits garçons aux cheveux très longs et de stupéfiants bijoux Romantiques en cheveux – ne pas manquer les bracelets de tresses des Deux Sœurs de Chassériau, 1843, Paris, musée du Louvre ou les colliers en dentelle de mèches folles de Kerry Howley, 2011- et j’arrive au cœur de l’exposition : L’Origine du Monde de Courbet prêtée par le Musée d’Orsay (Gustave Courbet, L’Origine du Monde, 1866, Paris, musée d’Orsay) comme symbole de l’épineuse histoire de la pilosité corporelle et faciale.
Le poil doit-il être viril ou coquet?
Sur le fil du rasoir, « l’homme à poils » varie au gré des modes. Signe de masculinité, de maturité mentale et sexuelle, la pilosité masculine est illustrée avec des barbes, moustaches, favoris, tresses, boucs, barbiches, j’en passe, tantôt symboles d’autorité et de puissance, tantôt de distinction. L’ornementation pileuse frise parfois le ridicule mais toujours une frivolité réjouissante dans les tableaux, photographies, spots publicitaires et objets usuels inédits (tasse de thé avec garde-moustache, supports de moustache horizontal pour la nuit, rasoirs, coupe-chou, etc) réunis ici. Le commissaire, Denis Bruna, Conservateur en chef au musée, chargé des collections mode et textiles antérieures à 1800 et son équipe prennent à rebrousse-poils les idées reçues. De la barbiche effilée dite « à l’impériale » de Napoléon III (Franz Xaver Winterhalter, Napoléon III, empereur des Français, 1857, Musée national du château de Compiègne, dépôt du Musée national du château de Malmaison) au cheveux en bataille d’un jeune hipster du Second Empire qui ressemble comme deux gouttes d’eau à l’acteur français Pierre Niney (Raphaël Collin, Portrait de l’émailleur Paul Grandhomme, vers 1875, Paris, musée des Arts décoratifs) à la femme à barbe, Miss Annie Jones, the wonderful American, bearded beauty, (Affiche Musée Maurice Castan, Reynold’s New Exhibition, Liverpool, vers 1870, Paris, musée des Arts décoratifs), l’exposition démêle et entremêle les codes de l’apparence et de l’identité, sans oublier d’explorer le pouvoir érotique de la pilosité (masculine et féminine) et ses atermoiement.
À l’étage supérieur, les sections métiers et savoir-faire sont passionnantes pour qui aime l’ambiance vintage des salons de coiffure, le mobilier (sublime coiffeuse dessinée par René Herbst pour la princesse Aga Khan, vers 1932 en tube d’acier chromé et métal peint, Paris, musée des Arts décoratifs), les sèche-cheveux, casques et machines à permanente (terrible machine allemande des années trente,1928, Dresde, musée de Dresde, Allemagne)… Léger bémol : les deux dernières salles moins convaincantes sur la haute coiffure et les créations de la mode contemporaine mais un mini documentaire sur les grandes révolutions chevelues du XXème siècle et leurs idoles.
« Des cheveux et des poils »
au Musée des Arts décoratifs à Paris
Jusqu’au 17 septembre 2023
A lire pour prolonger l’exposition deux livres édités en 20… :
Marie France Auzépy, Poils, éditions de La Table Ronde, collection Pictum
Philippe Thiébaut, Pudeur, éditions de La Table Ronde, collection Pictum