La fête impériale au Musée d’Orsay …

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Une exposition sur le Second Empire : il faut oser ! Car si la réhabilitation artistique du Second Empire est engagée depuis l’exposition fondatrice du Grand Palais en 1979 – il y a maintenant plus de 35 ans comme le rappelait Guy Cogeval le soir de l’inauguration – le Second Empire comme régime politique a « très mauvaise presse » dans l’historiographie. Malheur aux vaincus en quelque sorte : rien n’est pardonné à Napoléon le Petit et le Châtiment (la débâcle de Sedan) n’est jamais très loin du Crime (le coup d’Etat du 2 décembre 1851).

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Pourtant, le Second Empire mérite mieux que les sarcasmes qui entourent Napoléon III, son érotomanie vieillissante ou ces batailles rutilantes où claque le harnachement des chasseurs d’Afrique d’Edouard Detaille, qui se sacrifièrent inutilement autour de Floing et d’Illy pour rompre l’encerclement de Sedan.

Les commissaires ont fait un pari audacieux : rendre compte de la diversité et de la richesse de cette période, trop souvent marquée du sceau du Second Empire – le régime politique étant lui-même une coïncidence qui tombe comme un voile sur les soubresauts artistiques – alors que pour les contemporains que nous-sommes, suivis par les Millenials «», cette période peut n’évoquer plus grand’chose. Je pense que certains visiteurs de l’exposition auraient quelque difficulté à mentionner un souvenir saillant de cette période, largement oubliée aujourd’hui.

 

Franz Xaver Winterhalter "Portrait de l'Impératrice Eugénie" 1857
Franz Xaver Winterhalter
« Portrait de l’Impératrice Eugénie » 1857

C’est donc à une re-visitation que nous invitent Guy Cogeval, Yves Badetz, Paul Perrin et Marie-Paule Vial. La scénographie ne peut procéder que par touches car l’exhaustivité est impossible. Mais le lieu même participe de la mise en scène : l’ancienne gare d’Orsay est d’une conception toute « Second Empire » avec son ossature métallique que recouvre une profusion ornementale très éclectique. C’est tout un résumé du style du régime qui continue à percer sous la IIIème République.

Vue de l'exposition ©Thegazeofaparisienne
Vue de l’exposition
©Thegazeofaparisienne

Il est difficile de rendre compte d’une période aussi riche sur le plan artistique. Les commissaires ont donc dû être sélectifs dans leur approche au risque de sacrifier certains aspects fondamentaux de l’époque. Par exemple, cette période est celle du renouveau catholique, de l’expansion des ordres missionnaires, de l’alliance du trône et de l’autel. Un court passage est consacré au rayonnement catholique dont nombre d’églises parisiennes sont contemporaines (basilique Sainte-Clotilde, 1857 ou l’église Saint-Augustin (1860-1871). Le risque est de résumer les fastes du Second Empire à son décor luxuriant et éclectique, celui du salon de la princesse Mathilde, véritable égérie des arts avec son amant, Alfred de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts. La princesse Mathilde paraît dans ses élégants salons dessinés par Sébastien Charles Giraud dans son hôtel particulier de la rue de Courcelles. Le Second Empire a été aussi un régime autoritaire, d’affrontements politiques, de tentatives d’attentats (dont celui d’Orsini contre Napoléon III) et des débuts de la contestation ouvrière avec la reconnaissance de la section française, animée par l’ouvrier bronzier Tolain, de l’Association internationale des travailleurs (la Ière Internationale créée à Londres en 1864).

1-Monet "Mme Louis Joachim Gaudibert" 2-Manet "Emile Zola"
1-Monet « Mme Louis Joachim Gaudibert »
2-Manet « Emile Zola »

La période est ainsi paradoxale : le goût du moment est au « néo » et à l’éclectisme. Mais parallèlement, la modernité perce sous les oripeaux du goût bourgeois. Il est complexe de rendre compte d’une telle diversité et de tensions, derrière la façade unanime des opérettes d’Offenbach et de la préciosité des draperies et du mobilier. Tout paraît à foison « kitsch » et le goût de notre époque pour le vintage et l’ostentatoire devrait être largement satisfait.

Couronne et diadème de l'Impératrice Eugénie. ©Thegazeofaparisienne
Couronne et diadème de l’Impératrice Eugénie.
©Thegazeofaparisienne

Le sommet reste le tableau de James Tissot, le « Cercle de la rue Royale ». Rien ne résume mieux ce sentiment du seuil devant l’abîme que la pose élégante et parnassienne des sujets, qui représentent la fleur de l’aristocratie en 1870. En 1870, tout semble suspendu au bord du gouffre : les orages s’amoncellent, les points noirs obscurcissent l’horizon et pourtant, le tableau symbolise la légèreté française. On pense à Prévost-Paradol qui prophétise le futur affrontement franco-allemand et se suicide à Washington à l’annonce de la déclaration de guerre à la Prusse le 20 juillet 1870.

Psyché au fond de l'Impératrice au Château de Saint Cloud ©Thegazeofaparisienne
Psyché au fond de l’Impératrice au Château de Saint Cloud
©Thegazeofaparisienne

Mais la créativité de l’expression artistique du Second Empire demeure les arts décoratifs. C’est sous ce régime que l’expression naît et s’accommode. Certes nous aurons toujours les sarcasmes de Zola pour stigmatiser cette classe de parvenus et de nouveaux riches, les Saccard, les Rougon-Macquart mais elle a l’art d’accommoder les styles à la modernité que permettent les nouvelles techniques industrielles. Le bois sculpté, l’émail peint, le moulage sur nature en céramique, le verre polychrome et les pierres dures montées sont de véritables défis techniques lancés aux artistes qui se mesurent aux maîtres anciens en utilisant les moyens industriels de leur temps. Les expositions universelles sont les vitrines des techniques modernes.

Edouard Manet "Le déjeuner sur l'herbe" ©Thegazeofaparisienne
Edouard Manet
« Le déjeuner sur l’herbe »
©Thegazeofaparisienne

Le médaillier dit de « Mérovée » de Guillaume Diehl et d’Emmanuel Frémiet, créé lors de l’exposition universelle de 1867, est ainsi un résumé de tous les styles, mérovingien, roman ou « roman-mérovingien ». Le bas-relief sculpté par Emmanuel Frémiet représente la victoire de Mérovée sur Attila aux Champs Catalauniques en 451. Le meuble monumental (2 mètres 38 de haut) participe de la mode des « Antiquités nationales » et de la construction du passé héroïque de la  nation française, dont Napoléon III et Victor Duruy, ministre de l’instruction publique, sont les propagandistes.

Société de cristallerie Lyonnaise Bénitier, 1867 offert à l'impératrice. ©Thegazeofaparisienne
Société de cristallerie Lyonnaise
Bénitier, 1867 offert à l’impératrice.
©Thegazeofaparisienne

L’exposition sur le Second Empire s’inscrit dans la cohérence de la programmation du musée d’Orsay, dont nous fêtons les 30 ans cette année (1986-2016). Nous avions commencé il y a un an avec les côtés obscurs au sein de la société du Second Empire, les « splendeurs et misères des courtisanes » ; l’exposition consacrée à Frédéric Bazille, « la jeunesse de l’impressionisme », tué au combat de Beaune-la-Rolande en 1870, poursuit la description de la société impériale et des futurs impressionnistes. Car l’exposition montre bien la tension entre la peinture académique, le naturalisme et les prémices de l’impressionnisme.

Edouard Degas "La famille Bellelli" Gustave Courbet Gustave Courbet "P. J. Proudhon et ses enfants" ©Thegazeofaparisienne
Edouard Degas « La famille Bellelli »
Gustave Courbet
Gustave Courbet « P. J. Proudhon et ses enfants »
©Thegazeofaparisienne

L’exposition prend soin d’éviter le manichéisme : elle insiste au contraire sur la diversité des expressions artistiques sur le plan de la peinture et des filiations. Elle joue ainsi sur la nuance, en recréant dans l’une des dernières salles, la disposition des tableaux dans ces évènements mondains et artistiques que sont les « salons ». On y voit ainsi la naissance de Vénus, si troublante

Spectaculaire Second Empire ©Thegazeofaparisienne
Spectaculaire Second Empire
©Thegazeofaparisienne

La photographie est très présente car le Second Empire est l’âge d’or de la photographie. L’invention du négatif permet la reproduction et les progrès techniques réduisent le temps de pause. Les clichés de Disdéri démocratise la photographie. Nadar en est le photographe le plus connu. Les photographies stéréoscopiques sont le phénomène du moment : elles mettent en scène les aventures les plus exotiques, des tableaux bibliques, des soirées mondaines, ou les fameuses « diableries », satires furieuses de l’empereur Napoléon III et de ses dignitaires. Ces amusements annoncent à l’avance le roman-photo et les fantaisies cinématographiques de Méliès.

Berceau du prince impérial - Louis-Napoléon 1856.
Berceau du prince impérial – Louis-Napoléon 1856.

Le choix des commissaires d’exposition obéit volontiers à l’éclectisme, qui est la marque du Second Empire, et leur pari est une réussite : il est difficile de rendre compte de la vitalité créatrice du Second Empire, qui fait également entrer la France dans la modernité et le développement économique, et l’exposition y réussit parfaitement en évoquant, même furtivement, le kaléidoscope des arts et de la société.

Vue de l'exposition.
Vue de l’exposition.

La réhabilitation politique du régime et de la personnalité de Napoléon III a souvent échoué face à la figure proéminente et tutélaire de Napoléon Ier. Victor Hugo et Léon Gambetta ont définitivement vaincu, l’un avec avec les Châtiments, l’autre avec son verbe. Bismarck, la défaite de Sedan et la Commune de Paris ont achevé le procès de la « fête impériale ». L’ambition de l’exposition du musée d’Orsay est différente : elle vise la réhabilitation artistique, pour dépasser les clichés et la marque du « kitsch » qui s’attachent encore trop souvent au Second Empire. C’est un tourbillon et c’est une réussite que l’on doit à Guy Cogeval, Yves Badetz, Paul Perrin et Maris-Paule Vial.

Bruno Soulié

Manufacture impériale de Sèvres. Antoine Léon Brunel Rocque Vase commémoratif de la visite de l'impératrice à Amiens en 1866 - 1867
Manufacture impériale de Sèvres.
Antoine Léon Brunel Rocque
Vase commémoratif de la visite de l’impératrice à Amiens en 1866 – 1867

Spectaculaire Second Empire

1852-1870

Jusqu’au 15 janvier 2017

Musée d’Orsay

Musée d’Orsay – Spectaculaire Second Empire

Théodore Gudin "La princesse de Metternich en diable noir" 1864 (bal du Ministère de la Marine)
Théodore Gudin
« La princesse de Metternich en diable noir » 1864 (bal du Ministère de la Marine)

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