Rien que pour nous… Jean-Marie Rouart !

Académicien, romancier à succès, biographe et journaliste, Jean-Marie Rouart manie la plume avec une maestria savoureuse. Lors de notre rencontre, il nous livre sa passion pour la littérature, pour les femmes -surtout celles qui sont dangereuses!- sa vision de la politique, ses engagements et son amour fervent pour la France. L’occasion de passer en revue sa riche actualité,  et de découvrir cet homme au charme aussi élégant que ses écrits.

Tour à tour, sa plume ajoute du rêve à la vie, l’habille de Romanesque ou appuie ses engagements et son implication sans failles pour des causes qui le touchent. Derrière l’homme d’esprit délicieux, le passionnant narrateur, nous découvrons une personnalité engagée aux convictions profondes. Jean- Marie Rouart démarre l’année sur les chapeaux de roues, avec trois publications: un roman, « Une Jeunesse perdue » , une anthologie  « Les Romans de l’Amour et du Pouvoir » rassemblant cinq de ses oeuvres littéraires et un ouvrage politique « Le Psychodrame Français« .

1) Edition Gallimard – 2)  Collection Bouquins / Robert Laffont -3) Editions Robert Laffont

« J’écris pour exister avec l’espoir que le lecteur me comprendra. Ingmar Bergman disait« Sans toi , il n’y a pas de moi », sans un spectateur, sans un lecteur, on n’existe pas « 

TGP: Vous êtes issu d’une grande famille de peintres liés aux impressionnistes ( Manet, Berthe Morisot, Henri Lerolle, Henri Rouart), amis de Degas, Renoir etc… Par quel prodige avez-vous échappé aux pinceaux pour prendre la plume ?

JMR: Il y avait déjà énormément de peintres dans la famille! Tout le monde peignait. Les conversations étaient dirigées sur le thème de la peinture, il y avait partout des tableaux:  je me souviens que chez ma tante Julie Manet, la nièce d’Edouard Manet, c’était un véritable musée. A la maison, on réquisitionnait les pommes et les poires de la table pour faire des natures mortes ! J’étais  moi-même l’objet de prédateurs dans la famille qui, dès qu’ils me voyaient, sautaient sur moi pour faire mon portrait. Et le Samedi mon père me disait « tu as été sage, je t’emmène au Louvre »… je disais : « Oh non !! » C’était trop! J’ai pris un autre chemin.

TGP: Celui de la littérature…

JMR: En effet. De la passion familiale,  j’ai gardé  le virus de l’Art. J’aime soumettre la vie à l’Art. Très jeune, je me suis tourné vers la littérature, ma passion. Je me suis mis à « crayonner » avec des mots, des portraits et des paysages. Cela dit, la littérature n’était pas absente chez nous. J’avais un cousin qui était Paul Valery,  mon père aimait réciter des poèmes de Baudelaire, mon grand père était éditeur. Mais cet amour du Romanesque c’est ma particularité, car même Valéry détestait les romans. Je suis resté dans lidée de l’Art en prenant une voie parallèle.

TGP: Que vous apporte la littérature ? Que voulez-vous apporter aux autres à travers vos livres ?

JMR: Les gens qui écrivent ont un problème avec la vie : une désillusion de la réalité et la volonté de donner un complément de rêve. Ce qui les amène à écrire, à exprimer ce qu’ils sont, leur sensibilité. Et cette sensibilité rencontre celle du lecteur.  La littérature lui apporte l’évasion, l’idéal, le rêve ou alors  la consolation; il y a quelque chose de l’ordre de la psychanalytique dans ce lien. Mais je ne dirais pas que j’écris pour le lecteur. J’écris pour exister avec l’espoir que le lecteur me comprendra. Ingmar Bergman disait : « Sans toi , il n’y a pas de moi », sans un spectateur, sans un lecteur, on n’existe pas .

« Natures mortes » d’Augustin Rouart sur les murs du salon de Jean-Marie Rouart

L’ entrée à l’Académie Française: « J’ai eu 16 voix de plus que Balzac qui n’en a eu qu’une, je devrais peut-être m’inquiéter! « 

TGP: Quel est le plus beau compliment que vous aimeriez entendre d’un de vos lecteurs ?

JMR: J’aimerais qu’il me dise: « Je vous ai compris » ou « Je vous aime  » si c’est une lectrice !

TGP: Vous entrez en 1997 dans la prestigieuse Académie Française. Comment vivez vous cette belle reconnaissance?

JMR: l’Académie Française, c’était pour moi un pari très romanesque car je me suis retrouvé avec des gens que j’admirais depuis mes 18 ans comme Jean d’Ormesson, Henri Troyat , Félicien Marceau, Michel Déon… Lorsque j’y suis entré, on m’a demandé si j’étais heureux et j’ai répondu : « J’ai eu 16 voix de plus que Balzac qui n’en a eu qu’une, je devrais peut-être m’inquiéter ! « .

« Il y a dans l’amour quelque chose qui n’est pas avoué ou conscient: l’amour du risque. Les hommes aiment se brûler les ailes. »

TGP: Vous venez de sortir,  le roman « Une Jeunesse perdue », où  un éditeur vieillissant se laisse entrainer dans les vertiges destructeur d’une passion, pour une jeune femme fatale et manipulatrice. Ce thème de l’amour-passion obsessionnel, qui se nourrit de souffrances, est récurrent dans vos livres. Est ce qu’il n’y a pas d’Amour heureux ?

JMR: Le sujet de l’Amour est très vaste. Je pense que, lorsque l’on tombe amoureux, c’est par désir d’être heureux. Mais la constatation c’est que l’Amour apporte des moments de Bonheur, c’est un élément du Bonheur. La grande erreur serait de croire que l’Amour c‘est Le Bonheur. Ce n’est pas le cas, car l’Amour est fragile, il ne dure pas. Pourquoi? Il y a cette problématique complexe de l’attirance sensuelle, du sexe, qui entre en jeu. Tolstoï a une phrase définitive à ce sujet « L’Homme pourra régler toutes les questions de la faim dans le monde, de la maladie,( etc.. ) il n’y a qu’un problème qu’il ne pourra pas régler, c’est le problème du lit ! ». L’idéal serait de trouver une personne qui vous entoure de tendresse et en même temps qui vous comble dans un lit.  Malheureusement, dans la sensualité, il y a une envie de curiosité pour l’acte sexuel, de découverte d’un corps; cela fait partie de la dynamique de la relation amoureuse. Elle s’accompagne d’une lassitude pour ce qui est connu.

TGP : Vos héros sont toujours subjugués par des femmes dominatrices, dangereuses : Valentina, héroïne de votre dernier roman, étant peut être l’exemple le plus machiavélique…D’où vient le pouvoir irrésistible de ces femmes fatales ? 

JMR: Il y a dans l’amour quelque chose qui n’est pas avoué ou conscient: l’amour du risque. Les hommes aiment se brûler les ailes. Les femmes dangereuses,  sont séduisantes : il y a une image attirante autour d’elles, elles ont séduit des hommes et excitent l’instinct de rivalité:  « oui, elle a fait souffrir un tel mais moi je la dominerai ! « . Mes héros sont attirés par des femmes qui ont cette magie et qui vont leur apporter des émotions intenses. Surtout lorsqu’il y a une forte emprise sexuelle. Il se crée alors une dépendance qui amène de la souffrance et au lieu de calmer l’obsession, cette souffrance la décuple.

TGP: On vous sent très proche de vos héros.. lesquels vous ressemblent le plus ? 

JMR :Je me mets dans tous les personnages. C’est cela le paradoxe du roman: il y a peut-être une figure qui est plus proche de l’auteur, mais toutes les autres figures, femmes ou hommes, sont tirées également de la substance même de l’écrivain. On ne peut comprendre les gens qu’à partir du moment où on vit ce qu’ils sont. Le romancier est quelqu’un qui résout ses contradictions par la multiplicité de ses personnages.

Portrait de jean-Marie Rouart, enfant, par son père Augustin Rouart

« Lorsque l’on a envie de changer les choses, de se battre contre l’injustice, il faut être malin, tenace et courageux. Surtout il faut en assumer les conséquences si cela tourne mal »

TGP: Dans votre actualité, il y a également la publication d’un ouvrage « Les Romans de l’Amour et du Pouvoir » réunissant cinq magnifiques récits. De jeunes héros romanesques, poussés par une forte ambition de réussite et de gloire , se heurtent à la dure réalité de la vie. A cette occasion, vous dressez un portrait psychologique très perspicace de la pratique du Pouvoir qui mène les plus exaltés à se renier. Cela résonne étrangement juste aujourd’hui encore…

JMR : Une phrase à propos du Kantisme illustre très bien tous mes livres sur le pouvoir : « le Kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains » (C.Peguy). Il y a une pureté dans ceux qui ont un  idéal, c’est justement ce qui m’ intéresse. Mais cet idéal est très difficile à maintenir. Le « Pouvoir », que l’on imagine comme l’accession à la liberté et à la réalisation de l’action, s’avère tout autre. C’est, au contraire, une forme d’abdication permanente. L’homme de pouvoir est obligé de composer sans cesse avec les grands acteurs économiques et financiers sinon il en est exclu.

TGP: Il en va de même pour l’ordre social, parfois injuste, qui semble immuable. « On nait avec sa classe, et on meurt avec elle, quoi qu’on ait fait pour en changer » dit l’un de vos personnages. Là encore statu quo…pourtant vous-même, vous vous êtes engagé pour des causes difficiles et vous avez fait changer les choses, comment y êtes -vous arrivé?

JMR : Lorsque l’on a une envie de changer les choses, de se battre contre l’injustice, il faut être malin, tenace et assez courageux. Surtout, il faut accepter d’en assumer les conséquences si cela tourne mal. Le premier sujet polémique que j’ai défendu était celui de Gabrielle Russier, cette femme condamnée pour vivre une histoire d’amour avec un de ses élèves, et qui s’est suicidée. J’ai pris l’affaire dès le départ, en 1968. Ensuite, j’ai attaqué la police et les proxénètes – j’ai préfacé le livre noir de la prostitution-,  puis les compagnies pétrolières. Ce dernier sujet m’a d’ailleurs inspiré mon roman « Les Feux du pouvoir ». Il y a eu 41 condamnations de dirigeants de compagnies pétrolières grâce à mon article. Cette affaire a causé mon renvoi du Figaro qui perdait des ressources publicitaires. C’est le prix à payer pour mes convictions.

TGP: Et il y a eu l’affaire Omar Raddad, que vous avez défendu seul contre tous.

JMR : Oui, j’ai pris fait et cause pour lui. L’affaire était complexe parce qu’Omar Raddad était traité en pestiféré, personne ne voulait s’en occuper. Un groupe de magistrats et d’avocats était contre lui. Comme il était défendu par Maître Vergès, qui venait de s’occuper de Klaus Barbie, les intellectuels se sont, à leur tour, opposés à lui. Je me suis battu seul pour créér les conditions de sa libération. Mais là encore, il y a eu un prix à payer, puisque j’ai été condamné à 100 000€ de dommages et intérêts.

« Les français sont le peuple le plus passionnant, le plus intéressant, le plus idéaliste et en même temps le plus déchiré et contradictoire du Monde. »

TGP: Revenons sur le sujet de la politique, dans un contexte très actuel. Votre dernier livre « le Psychodrame Français » retrace la vie politique des dix dernières années et leur impact sur la situation difficile de la France d’aujourd’hui. Est-on arrivé à un stade critique de la V ème République?

JMR: Mon livre est un journal politique où  je passe en revue les principaux protagonistes: Nicolas Sarkozy, que j’avais interviewé sur des sujets littéraires, François Hollande qui est venu dîner ici avec d’Ormesson- je raconte d’ailleurs ce dîner- , ou encore Emmanuel Macron avec qui j’ai eu un certain nombre de discussions etc…J’essaie de montrer comment peu à peu, sans en avoir conscience, ils ont contribué à la désagrégation des institutions de la Vème République. Ceci notamment par le passage au quinquennat, qui enlève un élément de stabilité dans la conduite du pays, et par une pratique du Pouvoir beaucoup trop proche de la démocratie d’opinion et des émotions populaires. Un Président devrait servir les intérêts de l’Etat et non se soumettre à cette démocratie d’opinion versatile. Ce sont ces contradictions qui m’ont passionnées. Elles sont caractéristiques de ce que sont la France et les Français. C’est le peuple le plus passionnant, le plus intéressant, le plus idéaliste et en même temps le plus déchiré et contradictoire du Monde. C’est cet ensemble de qualités et défauts que j’essaie d’ausculter à travers ces deux quinquennats.

« La France est un pays qui a une ambition folle. (..) c’est la seule seule nation au monde qui ait une mission pour la Civilisation »

TGP: Malgré le constat actuel peu réjouissant de la situation de notre pays, on ressent également votre foi fervente dans la France. Pour vous, elle a une rôle premier ordre à jouer dans le Monde.

JMR:  La France est un pays qui a une ambition folle! C’est un pays culturel. C’est la seule nation au monde qui ait une mission pour la Civilisation. Mais, en même temps, comme elle voit que ses politiques sont très en-deça de cette mission, elle est déçue ,un peu comme toutes les Madame(s) Bovary.  Il faudrait à la France un « Moïse », un Général de Gaulle charismatique avec une vraie vision.

TGP: Pourquoi la France est la seule nation à avoir une mission pour le Monde? 

JMR: La France a une position très différente des autres pays. Par exemple, les Américains ont une vision universaliste mais ils veulent imposer au Monde leur modèle américain.  Il suffit de voir ce qu’ils ont fait en Irak et partout dans le Monde, avec quels résultats ! Mais la France n’est pas du tout sur cette philosophie. Elle ne cherche pas à reproduire son modèle chez les autres. Parce qu’elle est capable d’autocritique. En France, la contestation est permanente. C’est un pays de construction littéraire, culturelle. Les écrivains, les intellectuels, les savants rencontrent une vraie audience. Par exemple, c’est François Mauriac qui a dénoncé la torture en Algérie.  C’est ce questionnement continuel et ce désir d’amélioration qui ont amené un vrai retentissement de notre image à l’étranger. Aux Etats Unis, comme en Angleterre d’ailleurs, les intellectuels n’ont jamais joué de rôle important: ce sont des pays de commerçants. Et puis, la France ne se bat pas pour ses intérêts, elle se bat pour un Idéal universel. La plupart des autres puissances mondiales recherchent uniquement leurs propres intérêts.

 » On insiste sur un côté mondain, on m’enferme dans une boite d’écrivain de droite qui adore les puissants (…), ce que les gens ne perçoivent pas, c’est qu’au travers de mes livres, il y a, sous-jacent, un itinéraire spirituel »

TGP: Vous vous êtes souvent prêté à des interviews, y a-t-il une question que vous rêviez qu’on vous pose, et qu’on ne vous a jamais posée ?

JMR: En fait, je pense qu’il y a quelque chose que les gens n’ont peut- être pas vu de moi. On insiste sur un côté mondain, on m’enferme dans une boite d’écrivain de droite qui adore les puissants, alors que je ne suis ni de droite ni de gauche. Mes livres, pourtant, expriment mon caractère anarchisant. J’ai été d’ailleurs élevé par les pêcheurs de Noirmoutier, ma famille est une famille d’artistes très ouverte aux autres. Ce que les gens ne perçoivent pas toujours, c’est, qu’au travers de mes livres, il y a, sous-jacent, un itinéraire spirituel.  Dans « Avant-Guerre », le personnage se convertit avant de mourir, j’ai beaucoup écrit aussi sur les moines de Tibhirine etc…; cet aspect du religieux et de la transcendance traverse mes personnages. Je suis issu d’une famille catholique, sans être très pratiquant, l’église m’agace même par bien des aspects, mais c’est l’élan spirituel qui est essentiel. J’ai l’impression d’avoir pris le canal de dérivation de l’Art pour exprimer une forme de spiritualité. Moi aussi « Je crois aux forces de l’Esprit » comme le disait Mitterrand.

Et quand  le Général de Gaulle  disait « Nous allons, même lorsque nous mourrons, vers la vie ! « , je pourrais moi-même prononcer cette phrase.

Caroline d’Esneval et Florence Briat-Soulié

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