L’exceptionnelle collection Gilman et Gonzalez-Falla au Musée de l’Elysée
C’est une des plus belles expositions de photographies que j’ai vues! Elle présente 160 tirages vintages, issus de la plus grande collection privée Américaine, celle de Sondra Gilman et Celso Gonzalez-Falla. Spectaculaires ou intimistes, sensuelles ou graphiques, figuratives ou abstraites, les oeuvres exposées éblouissent par leur esthétique et leur incroyable variété.

Des collectionneurs passionnés
L’histoire de cette collection est belle, à la mesure de l’affection que Sondra Gilman et Celso Gonzalez-Falla lui portent. Tout commence dans les années 70. Sondra Gilman visite le MOMA et ressent une forte émotion devant les photographies d’Eugène Atget. Elle achète immédiatement trois de ses oeuvres, pour la modique somme de 250 $ pièce . C’est dire combien la photographie était peu considérée à cette époque!

“I bought Rembrandt” s’écrit -elle, toute à sa joie de ces acquisitions, qui ont, pour elle, autant de valeur que les peintures du grand Maitre Hollandais. Le virus est pris. Sondra Gilman se lance dans la constitution de sa collection, qui va devenir la grande passion de sa vie. Quelques années plus tard, Celso Gonzales-Falla, devenu son mari, la rejoint dans sa quête. N’écoutant aucun conseiller, ils ont choisi de suivre le meilleur chemin qui soit, celui de leur plaisir et de leurs sensibilités. Aussi cette immense collection, de plus de 1500 photos, rassemble-t-elle, les plus grands photographes du XXème et XXIème siècle (Walker Ewans, Robert Adams, Brassaï, Cartier-Bresson, Man Ray, Sugimoto, Mapplethorpe etc.), mais aussi des artistes peu connus, qui les touchent tout autant.
“Le temps d’un instant, se laisser porter par la ligne.” Pauline Martin
La sélection du Musée de l’Elysée met en lumière cette “Beauté des Lignes” photographiques, évoquée par le titre de l’exposition, qui structure de diverses manières les prises de vue, et fait le génie de ces clichés. Le parti pris de Tatyana Franck (directrice du Musée) et Pauline Martin, (conservatrice), est de faire dialoguer les oeuvres de la collection autour de correspondances purement formelles, liées à ces lignes. Une nouvelle façon de regarder ces chefs-d’oeuvre et d’en savourer toute la magie.
De la ligne droite structurante à la ligne souple de la nature…
Dès la première salle, j’ai un choc devant la beauté des photos accrochées sur les cimaises rouges. La première partie de l’exposition est consacrée aux grandes lignes verticales, dessinant la silhouette de l’architecture urbaine.

©Musée de l’Elysée
Je suis happée par le gigantisme New-Yorkais oppressant, mis en relief par Bérénice Abbott. Plus loin, je m’arrête devant un cliché exceptionnel de Margaret Bourke-White, représentant le pont George Washington. Sous sa lumière particulière et son angle de vue, les détails de la construction m’apparaissent ciselés de dentelle, comme un décor Art déco. Magnifique!
C’est ensuite, une verticalité vertigineuse dénonçant la rudesse de la condition ouvrière, qui se déploie avec éloquence sous l’oeil de Lewis Hine (“On the Hoist, Empire state Building”). La célèbre photographie de Marc Riboud, “Zazou, le peintre de la tour Eiffel, reprend ce thème, 20 ans plus tard, dans une mise en scène digne d’un film de Chaplin. Remarqué par Robert Capa, grâce ce cliché, il intègrera ensuite l’agence Magnum.
Autres décors, ceux de Sugimoto. Egalement passionné d’architecture, il nous invite au spectacle, avec un cinema en plein air et un théâtre baroque. J’aime ses photos très contrastées de lieux vides, où seule est illuminée la scène, coeur vivant où tout se passe.

The pale Yellow cadillac, Sadie, Portland
Des lignes horizontales et de la couleur, pour un moment volé par Cig Harvey, un échange de regard avec cette jeune fille aux yeux allumés du défi de l’adolescence. En contraste, totalement inaccessible, comme peints à la main, les enfants aux yeux détournés ou figés, fascinants et glaçants de Loretta Lux .
Puis les lignes s’assouplissent dans des odes à la Nature. J’aime la forêt mystérieuse de Joseph Sudek (Walk along Mionsi ), en la regardant, j’ai l’impression de pénétrer dans ses sous-bois. A ses côtés, c’est une nature presque surréaliste où l’homme devient fourmi, que capte l’artiste Italien Augusto Cantamessa, dont je découvre le travail.

Breve Orrizzonte, 1955
Des courbes sensuelles pour les corps …
Le premier étage est un hymne à la beauté du Corps. Corps sculpté, peau contre peau, courbes sensuelles, jambes repliées, muscles bandés, peau plissée etc.. le corps sous toutes ses formes, magnifique, sublimé!

Tant de sensualité et de féminité dans les plans rapprochés de Bill Brandt, un torse “gonflé” de muscles pour Mapplethorpe, les impressionnants plis d’un large cou mis en majesté par Leon Levinstein, l’esthétisme puissant du “Man’s back, Horse’s back” de de Laurent Elie Badessi et tant d’autres. Et puis, ce joyau aussi rare qu’énigmatique, “Erotique voilée” de Man Ray. Dans ce tirage unique, Meret Oppenheim, artiste surréaliste, apparait dans une mise en scène élaborée, jouant sur l’ambiguité féminin-masculin.
..jusqu’à la ligne essentielle, abstraite
S’éloignant totalement de toute référence réelle, certains photographes s’intéressent à la ligne à l’état pur, qui créée une image par elle-même.
Etonnante impression de 3 dimensions dans la photo “Lumière Lumitra” d’Alisson Rossiter. Plus loin, sous l’objectif d’Abelardo Morell, les pages d’un livre deviennent une puissante sculpture de métal. Lumineuse, la ligne d’Harry Callahan devient le sujet essentiel de l’image.

Book with wavy pages, 2001
C’est une exposition exceptionnelle que nous offre Tatyana Franck, au Musée de l’Elysée. Elle invite à une découverte différente des images, en s’appuyant sur la beauté du tracé photographique de ces chefs-d’oeuvre, pour révéler ainsi toute la magie de la Photographie. A voir absolument!
Caroline d’Esneval
La Beauté des lignes
Chefs-d’oeuvre de la Collection Gilman & Gonzalez-Falla
Musée de L’Elysée, Lausanne
Jusqu’au 6 Mai 2018
Commissariat : Tatyana Franck et Pauline Martin

