Histoire d’atelier / Pauline Bazignan

C’est toute une histoire (art), Pauline Bazignan ! une artiste lumineuse, qui me raconte son parcours, ses recherches, actualité…
Un peu de bio… son parcours
Une histoire simple au premier abord, des études de graphisme et un métier qui s’avèrent très vite insuffisants, une chose essentielle lui manque : un crayon, dessiner. Sans hésiter elle lâche tout, elle est acceptée dans les ateliers de la Glacière, section lithographies, rencontre un premier professeur qui l’enlève dans sa section peinture, ensuite elle passe le concours de l’Ecole des Beaux-Arts, y est admise et là, nouvelle rencontre importante avec Dominique Gauthier et la peinture abstraite.

Inspiration
1997, alors qu’elle se rend au Musée du Jeu de Paume pour voir l’exposition de Emil Schumacher, elle est bouleversée par Lee Ufan qui a lui aussi une exposition au même endroit et reste depuis, très inspirée par le peintre coréen. Comme lui, sa peinture ou sa sculpture s’expriment par un geste, celui répétitif du pinceau pour Lee Ufan, et celui d’un point central avec cette répétition de cercles pour Pauline
Des oranges en porcelaine

Que cherche Pauline ? Entre sculpture et peinture, elle évolue dans son monde à elle, des évidences qui lui apparaissent au fur et à mesure qu’elle sculpte ses oranges, d’abord en faïence puis en porcelaine ce qui donne un fini plus fin. Un travail de patience qui consiste à prendre une orange, la vider et y couler la porcelaine et obtenir le”dégourdi”, cuisson à basse température qu’elle passe au feu, la peau de l’orange brûle et cela donne parfois à la céramique cet aspect de fumée, elle peut y ajouter des pigments de couleurs.
Technique ancestrale japonaise “Kintsugi”
Elle m’explique patiemment la technique japonaise du “Kintsugi” qui consiste à restaurer des porcelaines en les recollant avec une résine qui est à son tour recouverte d’une feuille d’or, L’objet qui était perdu, se transforme en pièce unique et artistique. Pauline prépare actuellement une collection d’oranges en porcelaine qui seront ensuite ornées du savoir de la restauratrice Myriam Greff.
L’eau, les coulures
L’eau qui coule, toujours présents dans ses oeuvres, que ce soit dans la préparation de ses oranges en porcelaine avec un dosage de l’eau très précis et l’eau qui coule sur ses toiles recouvertes des motifs en peinture.
“En chaussons qui semblent de danseuse, la ballerine peint. Elle manie les pinceaux, dans une chorégraphie de tous les possibles – à deux mains, à pleine brassée, en cercle, en ciseaux, en jets. Peindre, c’est d’ordinaire occuper deux dimensions, être “à plat” ; mais Pauline Bazignan, un jour, vit couler la peinture sur une de ses toiles, et, cette petite catastotrophe de la gravité, elle en fit sa force. (…) Marie Darrieussecq (extrait du catalogue de l’exposition De Mémoire Fort Saint André 15 juin / 22 septembre 2019)
Les toiles blanches
Détail avec le clou central ! Le point central ©thegazeofaparisienne
Au départ, une toile blanche, d’un tissage très fin, ensuite avec son pinceau , elle appose son point central d’où s’écoule une ligne de peinture. Toujours à partir de ce point, avec son pinceau elle crée des motifs circulaires qui me font penser à l’écorce de l’orange que l’on épluche en tournant autour, encore ce fameux agrume ! une fois que le motif est peint, elle projette de l’eau , comme un lavage de la toile jusqu’à ce que l’eau qui coule devienne claire et qu’elle ne soit plus mélangée de peinture. Reste sur la toile la trace de ce passage, de cet action painting

Et ainsi, elle enchaîne entre porcelaines et toiles, parfois ornées d’un motif unique ou multiple.
Mais cette histoire…
Il y a quelque temps vient de se terminer sa carte blanche au Fort Saint André à Villeneuve-lès-Avignon, intitulée De mémoire.
Même si malheureusement je n’ai pas pu voir cette exposition, je suis charmée et c’est le mot qui convient par le propos imaginé par l’artiste. Elle a su recréer l’histoire du fort endormi en s’appropriant l’espace avec ses peintures et ses formes blanches.
Pauline Bazignan est très attentive à ce que lui révèlent ces pierres, des graffitis, des traces de peinture… le passage du temps.

Dans la chapelle, perpendiculairement à une fresque représentant un Christ en croix, l’artiste a accroché un tableau où apparait une maternité, la Vierge et l’Enfant se dessinent à nos yeux. C’est étrange car ses peintures s’imprègnent volontiers de l’histoire de ces murs. Toujours cette légèreté qui nous apparait au premier coup d’oeil, mais lorsque nous nous arrêtons et observons ces mouvements, l’image s’anime et nous livre ses secrets
Pauline Bazignan est une magicienne
Pauline Bazignan est une artiste insaisissable qu’il faut attraper au vol, ses peintures sont des énigmes, et celui qui regarde est libre d’en découvrir le sens ou de laisser filer son imagination. Et là comme par magie tout s’éclaire ! Dans cette visite virtuelle, je me retrouve dans la salle des masques, il s’agit d’un univers fantastique reconstitué de mascio (sorcière en provençal). Les masques des sorcières surgissent sur les toiles carrées accrochées aux murs de leur prison, dans cette même tour où elles se retrouvaient enfermées pour délit de sorcellerie.
Dans une autre salle c’est au tour des oranges, des petites sphères blanches sont posées à terre illuminant les dalles gravées de graffitis, qu’on offre aux prisonniers, à savoir qu’il n’y a pas si longtemps le fort était une prison.
Les secrets de l’atelier

Ce que j’aime et que j’ai la chance de partager avec l’artiste dans son atelier, en dehors du plaisir de voir toutes ces toiles empilées contre les murs, c’est la genèse d’une oeuvre. Des feuilles de papiers, esquisses d’après un tableau historique du Louvre celui de Paolo Uccello La Bataille de San Romano. chef-d’oeuvre de la Renaissance italienne que Pauline Bazignan réinterprète et dont la vision contemporaine se trouve exposée dans le fort de Saint André, ancienne forteresse de la fin du XIVe siècle. L’artiste a utilisé un fond noir pour cette grande toile de plus de 3 mètres de large. Une oeuvre réfléchie et étudiée qui semble pourtant complètement instinctive, les lances des cavaliers prennent possession de la toile. L’abstraction lyrique se saisit avec force du tableau, et le spectateur ne peut s’empêcher de penser à Georges Mathieu et sa série des batailles, celle de Hastings ou la “Victoire de Denain” fresque murale exposée à la Maison de la Radio. Ce tableau a d’ailleurs été choisi par Isabelle de Maison Rouge et Ingrid Pux commissaires de l’exposition Jardinons les possibles à Pantin.

Pauline Bazignan est une artiste qui cache bien son jeu, une fragilité apparente, une oeuvre délicate et poétique en apparence qui ouvre sur une perspective empreinte de symboles et d’une grande énergie.
Florence Briat Soulié
EXPOSITIONS :
Fort Saint André De mémoire Villeneuve-Lez-Avignon
Grandes Serres de Pantin Jardinons les possibles
Carreau du Temple – Galéristes – chez Marie-Victoire Poliakoff / Galerie Pixi
KINTSUGI – Exposition / collaboration Pauline Bazignan / Myriam Gref – 6 au 20 décembre 2019. 5 rue Jacques Callot .

