Mes coups de cœur de l’été
PAR NATHALIE GUIOT

Nathalie Guiot a créé la Fondation Thalie à Bruxelles, qu’elle anime depuis 2013.

S’y succèdent expositions d’art, lectures, débats culturels, rencontres littéraires…Mécène culturelle et collectionneuse d’art, Nathalie Guiot est membre du cercle international et du comité d’acquisition Design au Centre Pompidou ainsi que du comité scientifique de Kanal Pompidou à Bruxelles.
Elle est curatrice d’exposition, éditrice, auteure et poète. Elle fonde Anabet Éditions en 2000 et Ishtar Éditions en 2020.
Nathalie Guiot est l’auteure de Collectionneurs, les VIP de l’art contemporain (Anabet Éditions, 2008) et de Conversations, l’artiste et le collectionneur (BlackJack Éditions, 2013).
Nathalie Guiot – photo copyright @ Cici Olsson
Disponible à la vente sur le site des éditions-ishtar.com
Signature le jeudi 16 septembre à la Belle Hortense, 31 rue vieille du Temple, Paris, de 19h à 21h.
Places limitées, merci de confirmer votre présence à barbara.s.polla@gmail.com
En voiture, à pied ou à vélo, comme chaque été, j’ai parcouru la Provence, ma bien-aimée. Voici quelques moments forts de découvertes qui m’ont chamboulée par la singularité et la force des œuvres, en dehors des sentiers battus par la foule estivale. Un régal !
Hôtel d’Agar Cavaillon – Eva Jospin à Montmajour – Galerie Régala, Arles – Jorge Guillen, musée Chillida-Leku
Vendredi 21 juillet, visite de l’hôtel d’Agar, Cavaillon
Libre comme l’air du temps
Farouche dans sa course
Réincarné dans le vertige
De ton souffle
“Un monde suspendu” – Le premier jour de l’étincelle – Nathalie Guiot

Je pensais visiter une petite collection d’amateurs passionnés à Cavaillon et me retrouve dans un cabinet de curiosités exceptionnel, présentant une foultitude de pièces d’archéologie et d’ethnographie, peintures anciennes, textiles, céramiques contemporaines de la manufacture de Sèvres et commissions d’œuvres d’artistes contemporains comme Fabrice Hyber, à qui le propriétaire, Christian Morand, ophtalmologiste de profession, a demandé d’imaginer la vie sulfureuse de Caravage (beaucoup de sexe car que des dessins de phallus !). Christian Morand est un personnage érudit et passionné par son sujet, qui au fil de 27 ans d’activité de collectionneur, est devenu un conservateur et historien d’art hors pair. Une passion telle, qu’il est parvenu à transmettre le virus à son fils Olivier Morand.
Un régal que de l’écouter nous raconter le dessin caché d’un Carrache, la vie de Finson, acolyte de Caravage qui l’aurait assisté dans la réalisation de certains de ses tableaux ou encore celle de Monsieur Peiresc, grand mécène et collectionneur. Un voyage dans le temps insoupçonnable de l’extérieur et de multiples trésors à découvrir. La famille Morand continue d’explorer l’histoire de cet hôtel particulier classé monument historique et de ses illustres prédécesseurs dont cette illustre famille d’Agar de Cavaillon. Des fouilles archéologiques ont même permis la découverte d’un temple romain sous les fondations de la maison !

La visite commence au rez-de-chaussée par une exposition sur la peste avec des documents d’époque. C’est une puce qui aurait transmis le virus, transportée par bateau et les cargaisons de tissus provenant du Levant.
Aux étages, coup de projecteur sur les fabuleux portraits de la marquise de Gange par Nicolas Mignard devant les très belles coupes en porcelaine de Sèvres de Marie-Ange Guilleminot, et les portraits d’Artemisia Gentileschi au destin tragique, le suicide de Lucrèce ou encore Omphale prenant les attributs de puissance et de gloire d’Hercule.
L’ultime de la visite se situe au tout dernier étage, il s’agit de l’épée de Caravage et de deux peintures authentifiées de la main du maître. Incroyablement vrai ! Des experts du monde entier viennent admirer et écouter l’histoire rocambolesque de la provenance de ces deux tableaux. Un voyage dans l’histoire, au temps de la République des Lettres, où des mécènes soutenaient les artistes de l’époque, où la Provence représentait le Comtat Venaissin et où les papes y régnaient encore.
Hôtel d’Agar
65, place Philippe de Cabassole, 84300 Cavaillon
Visite sur rendez-vous
Jeudi 27 juillet, galerie Régala, Arles
Et si jamais
Je vole
L’annonce faite à Marie
Naissance l’été
Réplique – Le premier jour de l’étincelle – Nathalie Guiot
C’est à Arles dans une toute nouvelle galerie, celle de deux personnalités, Veronique Pieyre de Mandiargues et Florence Reckinger Taddei que je suis tombée en arrêt devant le travail de Pascal Monteil. Une œuvre textile qui prône la lenteur et le geste et où l’aiguille a remplacé le pinceau. Cet enfant du Gard a un talent fou pour raconter des histoires. Son goût des voyages lui donne l’envie de brasser les cultures, comme celle des juifs Marranes ; une histoire terrible. Ce peuple fût persécuté pendant trois siècles par l’inquisition Espagnole. Y est représenté leur exil sur la toile panoramique ainsi qu’une foultitude d’autres personnages. On y croise Nostradamus dont le musée est à Saint Remy de Provence ou encore un pape sur la route d’Avignon et Pascal lui-même au milieu des paysages de cyprès en forme de pains de sucre et des vignes échevelées.

Galerie Régala, Arles
Pascal aime les histoires abracadabrantes qui mélangent les genres et les époques, il les consigne dans son journal. Sous des airs colorés et joyeux, il y est beaucoup question d’exil et de persécutions. Rimbaud agonisant à son retour d’Abyssinie fait aussi partie de la galerie de portraits. Ce qui donne à son travail une touche politique et engagée, bien au de-là de la catégorie des Arts Appliqués. Pascal a vécu à Calcutta puis s’est passionné pour l’Iran où il a séjourné à Tabriz, par amour de l’écriture de Nicolas Bouvier. Quant à la technique de l’aiguille, cet ancien élève de la villa Arson, proche de Christian Lacroix, confie aimer la lenteur dans l’ouvrage. Très à-propos en ces temps post-confinés. Merci Pascal Monteil pour cette belle rencontre sur la route provençale… et le soleil qui cogne toujours…
Mardi 1er août, Abbaye de Montmajour
Sculptures vivantes
Les arbres, des cathédrales
S’agitent à mon regard
La forêt – Le premier jour de l’étincelle – Nathalie Guiot

© Eva Jospin – ADAGP. Courtesy galerie Suzanne Tarasiève, Paris
Crédit photo : ©TheGazeofaparisienne
Alors Eva est apparue au beau milieu de l’été. Une révélation, dans la fraîcheur des murs épais du monastère. Trônant en majesté sous la croisée de transept de l’Abbaye de Montmajour, près d’Arles où je passe chaque été, le Cénotaphe d’Eva Jospin se dresse, massif et droit. Un appel au silence et au recueillement. Ça tombait bien. J’avais besoin de digérer l’actualité nauséeuse de nos politiques face à la crise sanitaire. Et ce Cénotaphe m’intriguait. Cette acropole chrétienne de dix mètres de hauteur a pour fonction de rendre hommage aux morts. Troublant. Cette oeuvre a été commissionnée par le Centre des Monuments Historiques pour habiter l’abbaye durant cet été singulier de post COVID. Façonné par les mains de l’artiste en un millefeuille de lamelles de carton, son médium, ce Cénotaphe rend hommage aux morts et à notre triste actualité passée, nos anciens disparus dans la solitude et l’isolement, pensais-je.
Reste l’amour, la poésie et l’art bien sûr. Avec son visage de Madone, Eva a découpé, sculpté, assemblé cette oeuvre monumentale en totale adéquation avec la symbolique du lieu, une abbaye bénédictine fondée en 948, qui a accueilli des milliers de pélerins jusqu’au XVIIIème siècle et est classée monument historique depuis 1840. Je me suis sentie comme un grain de sable, toute petite face à l’immensité de cette œuvre.
On y retrouve la thématique de la grotte, chère à l’artiste. Ses fondations accueillent des creux et des pleins et une force vibrante invite à la méditation. Seule une légère brise vient perturber ce silence intérieur. Au dehors, sur le rocher cerné de marécages, c’est aussi une nécropole, celle des comtes de Provence inhumés ici.
Un lieu mystique qui nous transcende, invite le divin dans cette architecture témoin de la foi et de l’engagement de l’homme face à l’adversité.
Merci Eva Jospin pour cette traversée dans l’histoire et cette beauté de l’art qui rend visible l’invisible
Abbaye de Montmajour Crédit photo : ©TheGazeofaparisienne Abbaye de Montmajour Eva Jospin – Crédit photo ©TheGazeofaparisienne
“Cénotaphe” Eva Jospin à l’Abbaye de Montmajour
Exposition jusqu’au 3 janvier 2021
Abbaye de Montmajour à Arles dans le cadre de Manifesta 13 – Les Parallèles du Sud
Mercredi 12 août, San Sebastian, côte basque
Changement de culture et de décor, ici les vagues de l’océan viennent frapper les corps hâlés des surfeurs et les Pyrénées à perte de vue illuminent nos regards ébahis. Prodigieusement tonique !

A San Sebastian, je rencontre pour la première fois sur ses terres, l’œuvre d’Eduardo Chillida. Ce sculpteur né à San Sebastian en 1924, disparu en 2002, est un constructeur d’espaces, un architecte du plein et du vide. Une reconnaissance fulgurante grâce à la rencontre d’Andre Maeght et à la complicité de son épouse Pilar Belzunce avec qui l’artiste a eu 8 enfants et qui l’accompagne toute sa carrière.
Eduardo Chillida Eduardo Chillida
C’est dans cette bergerie datant du XVIème siècle, cernée par 11 hectares de terrain, et aujourd’hui fondation, que le couple s’installe dans les années 80. Retour aux racines où le sculpteur travaille le fer, un ensemble de pièces puissant pour leur jeu de spatialité. Au premier étage de la bâtisse devenue lieu d’exposition, une œuvre ancrée dans les éléments, profonde. Gaston Bachelard a d’ailleurs écrit un très beau texte (le cosmos du fer, derrière le miroir). Les eaux-fortes exposées questionnent, de manière graphique, la notion de volume et des lignes qui en découlent, comme des interstices…Les cubes en terre ou en bois vibrent et s’emboîtent et la quarantaine de sculptures en plein air, réalisées en acier Corten, sont en osmose totale avec la nature et l’espace. L’essence de l’œuvre se déploie avec harmonie et justesse au milieu des arbres centenaires. De l’intention de l’artiste à capter la lumière avec notamment cette pièce originale Buscando la luz (1997) ou bien ses sculptures d’albâtre d’une translucidité troublante.
J’ai quitté Eduardo en ayant envie de dessiner et mettre les mains dans la terre. Un signe que ce lieu irradie d’énergies créatives.
L’âme revient au corps,
Avance vers les yeux
Et bute. Ola lumière
Étourdissant mon être !
Jorge Guillen – Poème qui accompagne les eaux-fortes de l’artiste, œuvre gravé, Maeght diteur
Musée Chillida-Leku
Boulevard Jauregi, 66, 20120 Hernani
Merci Nathalie, pour cette ballade poétique dans le Sud, pour ton regard avisé sur l’art que nous aimons et partageons

