Sur les pas de Flaubert, un été 2020 dans le Finistère

Trévarez ©TheGazeofaparisienne Crédit Photo : Milène Motte

Enki Bilal, Raoul Dufy, Corneille & Karl Blossfeldt

Gustave Flaubert nous accompagne par les « champs et par les grèves » : c’est le titre de l’ouvrage vagabond publié avec son ami Maxime du Camp et qui fait le récit de leur périple picaresque en Bretagne en 1847, à pied. Récit à la Jack Kerouac, « On the Road » avant la lettre : le jeune Flaubert, qui n’est pas encore le Flaubert de Mme Bovary, cherche sa vocation d’écrivain à travers la pointe celtique déjà célébrée par Michelet dans son « Tableau de la France ». Comme Flaubert, notre été culturel breton va suivre le même itinéraire, par Pont-Aven puis QuimperTrévarez et enfin Landerneau

Château de Trévarez ©TheGazeofaparisienne

Une folie architecturale de James de Kerjégu

Commençons par Trévarez. Une folie architecturale au début du XXème siècle. James de Kerjégu affirme sa puissance terrienne, nobiliaire et républicaine par la construction d’un château néo-gothique et néo-renaissance, au parement de briques sur une architecture métallique d‘Eiffel. L’architecte Walter-André Destailleur, le créateur des hôtels parisiens décrits par Proust, réalise ainsi une lubie éclectique, meublée Art nouveau par Siegried Bing et dotée de toute la pointe de la modernité (centrale électrique, ascenseurs, piscines, automobiles dans les écuries).

Mobilier de la chambre à coucher par Siegried et Maurice Bing ©TheGazeofaparisienne

Un parc exceptionnel d’hortensias, rhododendrons, camélias…

Le domaine paysager est exceptionnel, avec rhododendrons, hortensias, plantations exotiques, palmiers, et créations rocailles italianisantes, comme le bassin de la chasse, aux écrevisses et tritons en cuivre ou la « nymphée » recréée par Eva Jospin lors de sa résidence en 2018. Le château de Trévarez, douloureusement mutilé lors d’un bombardement anglais en juillet 1944, revit avec l’appui du conseil départemental et des Chemins du Patrimoine du Finistère, établissement public de coopération culturelle qui anime le site (et les quatre autres sites remarquables du Département, le manoir de Kernault, l’abbaye de Daoulas, château de Kerjean et l’abbaye du Relec).

Résidences d’artistes

Chaque saison, un artiste est invité en résidence pour faire vivre le lieu par son inspiration : Eva Jospin en 2018, dont la création (la « grotte ») s’inscrit dans le thème des folies aristocratiques du XVIIIème siècle et des « nymphées », Marc Didou en 2019, avec les grands troncs calcinés comme en rappel du bombardement subi par le château, et Félicio Varini en 2015 inspiré par l’architecture du « château rose ».

La nature pour modèle, Karl Blossfeldt

Karl Blossfeldt (1865-1932)- Autoportrait

En toiles permanentes, le jardin paysager est illustré par de grandes reproductions des photographies de Karl Blossfeldt. Ce scientifique allemand a photographié les fleurs comme de véritables sculptures de pierre gothiques. Les étamines, les pistils, les fleurs apparaissent comme les trilobes d’un arc ou d’une crosse épiscopale. Elles confient aussi à l’abstraction géométrique. Le résultat est fascinant. D’abord inspiré par une démarche scientifique, Karl Blossfeldt en vient à une démarche purement artistique qui sublime la forme végétale pour en extraire l’essence. Sa démarche l’associe d’ailleurs au mouvement de la Nouvelle Objectivité de la République de Weimar, dans les années 20, à l’instar de son compatriote August Sander, qui magnifie les archétypes sociaux par ses portraits en pied de toutes les classes sociales de l’Allemagne troublée des années 20.

Domaine de Trévarez

« La nature pour modèle »  Exposition de photographies de Karl Blossfeldt

Jusqu’a 3 janvier 2021

https://www.cdp29.fr/fr/presentation-trevarez-le-domaine-de-trevarez

Trévarez – 29520 Saint-Goazec

Années folles à Quimper

Musée des Beaux-Arts de Quimper

Nous poussons une pointe vers Quimper où le musée des Beaux-Arts de la ville expose Raoul Dufy et la mode des années folles. Quel rapport entre les bretonnismes et Raoul Dufy ? La couleur, les soieries, les mondanités et la mer (il est né au Havre en 1877 et la mer remplit ses compositions) le relient à la Bretagne, même s’il semble n’y avoir pas séjourné. L’exposition permet de découvrir le travail de Raoul Dufy au service de la modernité de l’entre-deux guerres. Par son travail pour la mode, Paul Poiret et les soyeux lyonnais Biancchini-Ferrier, Raoul Dufy a été happé par la modernité. Il y a bien sûr la couleur, les motifs floraux et animaliers qui illustrent la poésie de Guillaume Apollinaire ou de Jean Cocteau, les ballets russes.

Raoul Dufy, haute-couture, collaboration avec le soyeux lyonnais Bianchini Férier

Mais il y a aussi la géométrie et parfois des motifs répétitifs qui frisent l’abstraction. Raoul Dufy est un artiste qui se joue des frontières entre les arts, papier, gouache, tableau, dessins, impressions sur soies, gravures. C’est également un artiste stimulé par les mondanités. Illustrateur de la vie sociale des années 20 et 30, avec de riches commanditaires qui mécènent les artistes, comme Etienne de Beaumont, qui finance les ballets russes, Marie-Laure et Charles de Noailles, Jean-Louis et Baba de Faucigny-Lucinge ou Arthur Weisweiller (pour sa villa d’Antibes, L’Atalanta), la vie mondaine est, pour lui à l’instar de Proust, un miroir, un univers en soi qui nous parle de nous-mêmes et du monde tel qu’il est.. En écho à la scénographie de l’exposition nous revient la chronique du carnet mondain du Figaro, avec ses soirées, ses bals à thèmes, les régates, les courses ou les villégiatures sur la côte d’Azur ou au pays Basque. Cette modernité, qui s’allie avec la vie sociale la plus intense (au sens du « Café Society »), fait de Raoul Dufy l’artiste de la French Line, le « Normandie » fleuron de la compagnie générale transatlantique dans les années 1930. C’est aussi l’artiste-phare de l’exposition universelle de 1937 de Paris, avec la « Fée électricité », le plus vaste tableau du monde (600 m² dans l’aile Est du Palais de Tokyo devenue maintenant le musée d’art moderne de la ville de Paris). Les compositions créées par Dufy pour les soyeux lyonnais Biacchini-Ferrier sont délicates, vives, animées et modernes. Une phrase, un vers de Colette le résume pour l’édition de ses aquarelles, « Pour un herbier » (1950 , édition Mermod) : « Déjà, j’ai du doigt offensé tendrement le contour pareil aux seins irrités, à la veine battante, au vallon voluptueux…. Reconnaissez-la, c’est elle, la Rose de Dufy. »

Musée des Beaux-Arts de Quimper http://www.mbaq.fr/

Raoul Dufy (1877-1953) Les Années Folles

Jusqu’au 7 septembre 2020

40, place Saint Corentin -29000 Quimper

TÉL. : 02 98 95 45 20

Commissariat de l’exposition :
Sophie Kervran, conservatrice au musée des beaux-arts de Quimper
Guillaume Ambroise, conservateur en chef, directeur du musée des beaux-arts de
Quimper

Pont Aven, Gauguin, Sérusier, Bernard…

Nous poursuivons par Pont-Aven. Nous pensons au film de Joël Séria, les « Galettes de Pont-Aven », où un Jean-Pierre Marielle truculent, se dépouille de ses oripeaux de VRP de parapluies pour embrasser sa passion de peintre. Film picaresque et tout en chair s’il en est, où Jean-Pierre Marielle s’essaie de retrouver le « feu sacré » des peintres de l’école du même nom. Dans une ville où le port du masque est de rigueur, nous retrouvons Alain Séchas et Katia, proches voisins, qui visitent le musée et l’exposition consacrée au peintre Corneille.

Installé dans l’hôtel Julia où séjournaient Gauguin, Sérusier, Emile Bernard, Maurice Denis, les « Nabis », nous découvrons le parcours de l’exposition Corneille, plus précisément Guillaume Cornelis van Beverloo. Belge, né à Liège de parents hollandais en 1922 (et décédé à Auvers-sur-Oise en 2010, un symbole dans la ville où meurt Van Gogh), il est avec Asger Jorn, Karel Appel et Christian Dotremont, l’un des trois mousquetaire de « CoBrA » (pour Copenhague, Bruxelles, Amsterdam), ces peintres du Nord qui font scandale dans l’Europe d’après 1945 en s’affranchissant de l’abstraction et du surréalisme pour renouveler la couleur et l’expression picturale.

Corneille (1922-2010) au Musée de Pont Aven – Un Cobra dans le sillage de Gauguin 

Corneille s’inscrit dans le sillage de Gauguin et de Van Gogh. C’est le peintre de la couleur, du mouvement, de l’exotisme. Sa filiation avec Gauguin explique l’hommage qui lui est consacré par le musée de Pont-Aven où il est venu dès 1950.

Mais l’exposition offre aussi une large rétrospective du parcours du peintre, dont la maturité lui confère une originalité et une expression propres. C’est l’exposition anniversaire des 10 ans de la mort du peintre, qui renouvelle en profondeur le regard porté sur son travail. Corneille est un artiste de la couleur et son histoire illustre une large palette de son caractère protéiforme et évolutif. Trop souvent résumé au mouvement CoBrA, qui a inauguré son parcours artistique comme un manifeste porte-flambeau, Corneille a réinventé son langage et sa pratique, où il revisite les tensions entre l’abstraction et la figuration, décline sa passion pour les voyages, l’exotisme et les cultures dites « primitives », qu’il considèrent comme l’expression de l’art universel. Son travail est très contemporain, interdisciplinaire (gravure, céramique, poésie) et collectif, comme la participation, sous l’égide de Wifredo Lam qui en est l’inspirateur et le coordonnateur, à l’oeuvre collective « Cuba Collectiva », gigantesque mural représentant un jeu de l’oie participatif avec plus de 100 artistes pour le pavillon cubain de La Havane (mai 1967), un  « group show ». Il s’agit d’un geste artistique mais aussi politique : comme l’a écrit Wifredo Lam, cette démarche vise à démontrer la créativité artistique dans un pays socialiste comme Cuba et à sublimer dans le collectif l’individualité si farouchement affirmée des artistes. L’exposition, très vivante et dynamique, montre à quel point Corneille résonne d’une actualité particulière à nos oreilles et à nos regards du XXIème siècle.

https://www.museepontaven.fr/fr/

Corneille au Musée de Pont Aven – Un Cobra dans le sillage de Gauguin 

Jusqu’au 20 septembre 2020

Musée de Pont-Aven – Place Julia, 29930 Pont-Aven

Landerneau, Enki Bilal au Fonds Hélène & Edouard Leclerc

Le circuit de notre été 2020 si particulier s’achève par l’exposition Enki Bilal à la FHEL de Landerneau. Là aussi, distanciation et respect des gestes barrières sont de rigueur. Michel-Edouard Leclerc est un amoureux de la bande dessinée, du « 9ème art », et de l’estampe avec la maison d’édition MEL Publishers qui fait collaborer les artistes. Après l’exposition « Metal Hurlant », « Mattioti » et « Jacques Monory », à l’expression si cinématographique, Enki Bilal est consacré à Landerneau.

Enki Bilal – Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau

Un Serbe, bien que né de parents bulgares à Belgrade, en 1951 mais très vite installé en France, à Paris, qui prend le suite de Velickovic, également Serbe. La filiation et l’esprit s’imposent entre ces deux grands artistes, sombres, torturés mais à la beauté si irréelle et toujours inquiétante. Enki Bilal nous révèle son monde dystopique, à la « Blade Runner » qui s’est largement inspiré de l’iconographie d’Enki Bilal. Les univers d’Enki Bilal sont la symbiose entre l’humain et l’animalité. Là où l’heroïc fantasy, comme l’épopée Star Wars, joue sur le messianisme et le message d’espoir, Enki Bilal nous projette dans un futur proche, où la technologie a brouillé les frontières entre les espèces, entre la technique et l’humain, mais l’humanité ne semble pas y avoir gagné.

Enki Bilal nous décrit un monde d’une dure réalité, plus antagoniste et plus balkanisé que jamais. Le vouloir vivre ensemble s’est évanoui au profit des archipels, des intérêts particuliers, de l’égoïsme, des inégalités sociales, de la détention de signes matériels et du pouvoir au dépens de l’esprit. Ce monde a sa beauté mais une beauté dure. Le visiteur pense aux romans de la tendance « Cyber Punk », bien sûr à Philip K. Dick mais aussi à « Tous à Zanzibar » de John Brunner (1969), avec son super-ordinateur Shalmanassar, dispensateur des bienfaits. Enki Bilal serait-il trahi par ses origines ? L’exposition nous offre un retour vers Sarajevo, en 1998, après la guerre civile yougoslave (1992-1995), où l’artiste revient sur sa terre, pour comprendre, sans juger. Qualité rare qui est également celle d’un artiste visionnaire qui nous annonce notre monde contemporain (le Covid-19 au nom si prédestiné pourrait être le produit fatal d’une mauvaise manipulation de laboratoire d’une intrigue digne d’Enki Bilal). La boucle est en quelque sorte bouclée car l’histoire est aussi une sinistre répétition (« la première fois, comme une tragédie, et la seconde fois, comme une farce » écrivait Marx à propos du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte). Le circuit de l’exposition s’ouvre par les planches des « Phalanges de l’ordre noir », bande-dessinée qui a lancé Enki Bilal avec le scénario de Pierre Christin, ou comment le fascisme des années 30 se répète à la fin du XXème siècle, dans un monde inconscient et amnésique de ce qu’il doit aux combattants de la liberté.

Pour conclure, Antoine Bourdelle (1861-1029) « Pénélope » 1912 et « Tête d’Apollon » 1900-1909, bronze – Collection Musée Bourdelle. Ces deux sculptures sont des prêts au Fonds Hélène et Edouard Leclerc, le temps de l’exposition Enki Bilal

L’exposition nous offre une rétrospective très complète d’un artiste qui a créé ses univers dans la bande-dessinée, pour évoluer, sans se renier, vers les dessins, les estampes, les décors de films puis la mise en scène de son monde onirique. L’univers d’Enki Bilal est protéiforme par essence et se prête aisément à la dramaturgie du cinéma ou du théâtre.

https://www.fonds-culturel-leclerc.fr/En-cours-Enki-Bilal-642-21-0-0.html

Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture

AuxCapucins, Landerneau (29800)

Tel : 02 29 62 47 78

Commissaire de l’exposition : Serge Lemoine

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