Une visite au Château d’Ecouen, musée de la Renaissance
Découvrir l’exposition Le blason des temps nouveaux
PAR BRUNO SOULIE
« Donjons et Dragons » à Ecouen

L’exposition du musée national de la Renaissance, au château d’Ecouen, nous introduit dans le monde mystérieux de l’héraldique. La visiter est comme pénétrer dans le monde de « Donjons et Dragons ». L’héraldique est une langue dont le vocabulaire et la grammaire se sont perdues, avec la rupture révolutionnaire et la perte du Sacré. Nous sommes pourtant entourés de symboles ou de logos dont la perpétuation sont la trace disparue de la science des armoiries. Serions-nous devenus, comme les fellahs de l’Egypte de Bonaparte, comme étrangers à notre langue des symboles, eux qui avaient oublié jusqu’au sens des hiéroglyphes ?
Blason des temps nouveaux

Il peut sembler paradoxal d’intituler l’exposition du Musée national de la Renaissance du titre « Blason des temps nouveaux ». La Renaissance ne fut pas en effet une rupture révolutionnaire avec le Moyen Âge dont elle s’inscrit souvent en continuité. L’exposition s’attache à mettre en valeur la permanence et le renouvellement de l’art du blason entre le Moyen Âge et la Renaissance. La Renaissance a perfectionné et enrichi l’art des armoiries en y intégrant les sujets nouveaux liés à la redécouverte de l’Antiquité, de la mythologie et de l’apport gréco-latin. Non que le Moyen Âge ait ignoré cet héritage mais la Renaissance se l’approprie par sa pratique des devises, marquées par le sens de l’allégorie et de la poésie signifiante, avec la redécouverte des sujets profanes de la mythologie.


France (Paris ?), entre 1547 et 1559 Cuivre gravé et doré, fer damasquiné.. Écouen, musée national de la Renaissance,.
Les collections exceptionnelles du musée de la Renaissance
Tout l’intérêt de l’exposition est de s’appuyer sur les riches collections du Musée, avec des prêts d’autres institutions, et d’exposer au visiteur des supports inattendus. L’objectif est de montrer que le langage héraldique est largement diffusé au sein de la société, qu’il correspond à un véritable usage social et qu’il n’est pas cantonné à la représentation de l’élite. Ainsi, l’Église en fait-elle un large emploi et les armes d’un seigneur laïc se transposent sans difficulté dans son univers sacré lorsqu’il devient prince de l’Église. Comme le souligne Thierry Crépin-Leblond, directeur du musée national de la Renaissance et co-commissaire de l’exposition Le blason des temps nouveaux (du 19 octobre 2022 au 6 février 2023),

« l’usage de l’héraldique est une pratique générale et habituelle dans la vie sociale et artistique à la Renaissance. »
Thierry Crépin-Leblond, directeur du musée national de la Renaissance et co-commissaire de l’exposition Le blason des temps nouveaux (du 19 octobre 2022 au 6 février 2023),

L’héraldique de la Renaissance, un vocabulaire graphique très contemporain
Les matériaux utilisés par l’héraldique de la Renaissance entrent étrangement en résonance avec la création contemporaine qui redécouvrent ces mediums, comme l’émail, la céramique, le travail du cuir, et mêle l’artisanat et l’art. L’héraldique est un sujet graphique très riche, aussi bien de part la composition visuelle que par son champ lexical. De la partition de l’écu à l’introduction des figures en passant par le choix des émaux, le blason est un objet graphique à façonner selon ses affinités. Lion, « alérion » ou croissant, tout le vocabulaire de la nature est réinterprété. L’héraldique invite à combiner et concevoir les éléments graphiques dans sa création tout en faisant appel à des techniques de reproduction en série très contemporaines faisant penser aux procédés actuels de la sérigraphique.

Ecouen, le château du connétable Anne de Montmorency, grand personnage de la Renaissance
Le château du connétable Anne de Montmorency, grand personnage de la Renaissance qui a servi François Ier et son fils Henri II, sert d’écrin à l’exposition dans un parcours où ses décors et ses collections forment l’axe principal de la scénographie. Le parcours de l’exposition débute dans la chapelle du musée soigneusement reconstituée car vidée de son décor à la Révolution. L’exposition se déploie ensuite au rez-de-chaussée du musée, dans la grande salle et la chambre de Catherine de Médicis. Enfin, le visiteur est invité à poursuivre le parcours dans les pièces du Château où se trouvent exposées les collections permanentes du Musée national de la Renaissance. Le château d’Ecouen, musée national de la Renaissance, est le lieu idéal, autant pour son décor sculpté extérieur et intérieur que ses cheminées peintes, ses lambris peints à l’or, ses carrelages de faïence armoriés comme ses vitraux, où tout le programme architectural et artistique exprime la double signification, symbolique et décorative, propre aux emblèmes héraldiques.
Dans La Chapelle, une des toutes premières copies de la Cène de Léonard de Vinci
La Chapelle des Montmorency constitue la première étape, avec la découverte de la magnifique voûte ogivale qui témoigne de la persistance des solutions gothiques dans l’architecture religieuse de la Renaissance. Le décor peint de la voûte est totalement profane, élément curieux pour une chapelle, et consacré à l’emblématique du Connétable. A droite la copie de la Cène réalisée par Marco d’Oggiono, l’une des toutes premières copies de la Cène de Léonard de Vinci, et commandée par Gabriel Gouffier (doyen du chapitre de la cathédrale de Sens) dont elle porte les armoiries. Cette identification a été rendue possible en 2005 grâce au blason retrouvé. Cette authentification conserve encore sa part de mystère car elle n’explique pas les conditions de son acquisition par Anne de Montmorency.

Le visiteur est incité à traverser les salles du 1er étage et à admirer, dans la galerie de Psyché, l’armure d’apparat de François de Montmorency (1530-1579, propriété du musée des Beaux-arts de Draguignan), splendidement damasquinée à son chiffre, avant de traverser la salle du Roi où se trouve le pavement en faïence armoriée commandé en 1542 à Masséot Abaquesne. Répondant à cette demi-armure, l’exposition bénéficie du prêt exceptionnel de l’armure du Dauphin, Henri, futur Henri II, chef d’oeuvre de l’art militaire, avec son fer noirci damasquiné, au riche décor héraldique avec les chiffres de Henri, Catherine de Médicis et Diane de Poitiers.

La grande tapisserie de la bataille de Saint-Denis
Rien n’illustre mieux la diffusion de l’héraldique que son utilisation pendant les guerres de Religion. Une histoire de cette période de guerre civile pourrait être faite exclusivement sous l’angle des emblèmes, des signes ou des blasons, que s’approprient les camps rivaux et qui atteint son paroxysme pendant la Ligue. La grande tapisserie de la bataille de Saint-Denis nous rappelle les conflits religieux et la fonction militaire du connétable Anne de Montmorency, mortellement blessé lors de cette bataille. Tout l’intérêt de cette tapisserie est de montrer qu’il s’agit aussi d’une guerre des emblèmes, au service la propagande de l’un des deux camps. Les croix blanches de l’armée royale commandée par Anne de Montmorency s’opposent ainsi aux casaques blanches de l’armée protestante. L’étude des armoiries de la tenture permet de maintenir son attribution et contribue ainsi aux progrès de l’attribution et de la généalogie des œuvres, l’exemple le plus connu est celui de la tapisserie de La Dame à la Licorne du Musée de Cluny. Le musée d’Ecouen expose la très belle tapisserie flamande, David et Bethsabée, une des oeuvres majeures du musée. Exécutée par des ateliers bruxellois dans les années 1525, la tenture est reconnue comme l’un des chefs-d’oeuvre de l’art de la tapisserie au XVIe siècle. Elle égale les autres témoignages de tapisserie encore conservées, comme L’Apocalypse d’Angers (XIVe siècle), La Dame à la Licorne (XVe siècle), Les Chasses de Maximilien (XVIe siècle) ou la Tapisserie des Valois (vers 1580). Avec ses dix pièces rassemblant près de six cents personnages sur soixante-quinze mètres de long, David et Bethsabée illustre le récit biblique du Second Livre de Samuel. Pourtant, cette oeuvre ne porte aucune armoirie permettant d’identifier son commanditaire. bien que le nom le plus fréquemment suggéré soit celui de Marguerite d’Autriche, tante de Charles Quint.


Les salles du rez-de-chaussée consacrées à l’exposition déploient la grande variété des objets d’art, d’une finesse et d’une précision confondantes, et rappellent l’importance de l’usage social de l’héraldique dans la civilisation de la Renaissance, qui se diffuse dans tout le corps social, les familles royales, les lignages aristocratiques, les corporations, les villes, l’Église ou l’art funéraire, sans oublier la littérature avec le Gargantua de Rabelais.


Limoges, Pierre Reymond, 1568 – Émail peint sur cuivre – Limoges, musée des Beaux-Arts – Palais de l’Évêché,
Les salamandres, emblèmes de François Ier
Parmi les objets de précision sont exposés les étriers d’apparat de François Ier (en bronze et dorure), ornés des emblèmes du souverain, salamandres, qui sont associées à sa devise « Nutrisco Estingo » ainsi que les cordelières. Ðélicate de virtuosité la boîte à roues mobiles en forme de livre du roi Henri II, ornée d’un décor à ses armes, vraisemblablement utilisée pour chiffrer ses messages. Les arts de la table sont illustrés par une série d’assiettes en émail peint sur cuivre de Pierre Reymond, illustrant la Toison d’Or. L’inspiration est celle des stucs de Rosso Fiorentino pour la galerie de François Ier à Fontainebleau et ces assiettes d’apparat, destinées au dressoir, portent les armes d’une célèbre famille de magistrats parisiens.

La place de la femme
La thématique très contemporaine de « la femme, le couple » montre que le système héraldique définit pleinement la place de la femme puisqu’elle y dispose de son propre écu, et le couple peut s’identifier par deux écus juxtaposés. L’exemple le plus éclairant est celui de Anne de Montmorency et de sa femme Madeleine de Savoie. Les blasons féminins et masculins célèbrent les alliances matrimoniales comme le coffre de mariage armorié provenant du musée des Beaux-Arts de Lyon, décoré de riches indications héraldiques indiquant une alliance entre deux familles lyonnaises. L’art funéraire illustre également cette place féminine avec le bas-relief très réaliste de François II de La Rochefoucauld et d’Anne de Polignac.

À travers une centaine d’œuvres et bénéficiant de prêts prestigieux, l’exposition « Le blason des temps nouveaux » montre combien l’héraldique – blasons, armoiries, emblèmes, signes, couleurs – croise les techniques (sculpture, peinture, tapisserie, enluminure, vitrail, orfèvrerie, émail etc.) et les thématiques sociales (les rois, les femmes, nobles, bourgeois, religieux et laïcs, corporations). L’exposition fait revivre cette ambiance créatrice et innovante qui marque la France de la Renaissance et prolonge ses traces inconscientes au XXIème siècle.

LE BLASON DES TEMPS NOUVEAUX
Signes, emblèmes et couleurs dans la France de la Renaissance
Jusqu’au 6 février 2023
au Musée national de la Renaissance, Château d’Écouen (Val-d’Oise)
Commissariat scientifique :
Thierry Crépin-Leblond, directeur du musée national de la Renaissance Laurent Hablot, directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes Anne Ritz-Guilbert, Chercheur au Centre de Recherche de l’Ecole du Louvre
Musée ouvert tous les jours sauf le mardi De 9h30 à 12h45 et de 14h00 à 17h15 Tél : 01 34 38 38 50
Photo : Catalogue d’exposition : Le Blason des temps nouveaux. Signes, emblèmes et couleurs dans la France de la Renaissance – Auteur :
Thierry CRÉPIN-LEBLOND ; PERROT – Coédition Musée national de la Renaissance – château d’Écouen / In Fine éditions d’art
Toutes les photographies de l’article sont de ©FlorenceBriatSoulié

