Les flammes

au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

PAR CHARLOTTE LE GRIX DE LA SALLE

Raoul Dufy
La salle Dufy “La fée électricité” et le début de l’exposition “Les Flammes” – Installation de l’artiste Johan Creten “Point d’observation “, grès vernis. Photographie de ©DavidCoburn

Musée d'Art Moderne
De quand, d’après vous date ce pot ?

Années 30, 50, 70 ?

Dynastie Qing. Estimé entre la fin du XVIIIème et XIXème Siècle. Un pot à pinceaux, anonyme. De la porcelaine. 

Au départ, il n’y a que la terre. L’argile. 

Celle que des mains pétrirent et cuisinèrent il y a 10 000 ans. 

Musée d'art Moderne
Fac similé de la plus vieille brique du monde. Jéricho (actuelle Palestine, entre 8300 et 7600 avant notre ère. Ashmolean Museum d’Oxford (Grande Bretagne). Photographie de ©DavidCoburn

Par Jacques Kaufmann

« La brique conquiert le monde, par sa simplicité et sa modestie ».

Et ce qui fit de cette terre des objets n’est autre que le feu. La cuisson. Les flammes, nom de cette exposition qui entend remettre la céramique (du grec, keramos, « fait d’argile ») au centre de la création. 

Dès lors que cette terre devient technique, utilité, et usage, est-elle art ? C’est tout ce que nous propose, nous impose  Les flammes , à travers ce voyage transhistorique, transculturel, et finalement subversif. 

Car c’est une question politique qui nous est posée au fait, la question de cette terre originelle qui nous ramène au réel, au plaisir, au tactile, au concret, au vivant. 

Et qu’en faisons-nous ?

Si la céramique a longtemps dérangé l’art, l’art « noble », c’est justement parce qu’elle renvoyait chacun à l’idée déformée du progrès. Nous nous éloignions, croyions-nous, pour s’élever, de l’instinct primitif, de l’utilitaire, du basique.

A Vallauris, dans les ateliers de Picasso ou de Dali, il sont tous, un jour ou l’autre, revenus à cette matière, première.

Salvador Dali
Salvador Dali (1904-1989). Cup and saucer, 1938-1939, Figueras, Porcelaine, Manufacture Royal Crown Derby – Derby, Royaume-Uni (fondée en 1750) Photographie de ©DavidCoburn

Comment repenser les frontières établies, dépasser les hiérarchies ? Ici, à travers les siècles et les géographies s’impose la matière, et grâce à elle, le dialogue entre toutes les expressions. Quelle est la frontière entre des assiettes, un schiotte, et l’art ? Comment fait-on œuvre ? Et si l’objet était vu dans une perspective collective ? 

Marcel Duchamp
Marcel Duchamp et Ulf Linde « Fountain », 1963 (réplique de l’oeuvre de 1917) Marcel Duchamp (1917-1963)- Porcelaine et sol en briques. H. 31,5 cm x L. 51 cm x l. 62,5 cm© Collection Moderna Museet, Stockholm, Suède Donation des
Amis du Moderna Museet, 1965 © Association Marcel Duchamp / ADAGP, Paris 2021

L’œuvre Fountain marque le passage de l’art moderne à l’art contemporain. L’urinoir se différencie des autres « ready made », de Duchamp, car le sanitaire en porcelaine blanche était à l’époque une marque du luxe.

La porcelaine, la céramique peuvent être moulage dentaire, tirelire, gamelle pour chien ou encore Mug. 

Quand s’arrête l’utile, le banal, le populaire ? Quand commence la création, l’art, la proposition ? Cette femme de 4000 ans avant J-C, était-ce un cadeau d’amoureux ? Un objet cultuel ? Un objet funéraire ? Il y eut création.

Musée d'Art Moderne de Paris
Statuette féminine – Néolithique moyen (4500-3500 avant notre ère) Terre cuite

L’art dans la vie, c’est une résistance, une résilience. 

Il arrive que cette terre se casse . Puisqu’elle est de tous les jours, elle est là, tout le temps, friable, vulnérable au temps et aux colères. Jouissance de voir ce tas de vaisselle cassée dès l’entrée, comme à la fois un hommage et un doigt d’honneur à ces cadeaux de mariage, ces héritages, ces belles tables dressées. Tout passe, tout casse, tout recommence.

Vaisselle casseeVaisselle cassee (détail)
Vaisselle cassée Photographie de ©DavidCoburn

Les Japonais ont inventé le Kintsugi, l’art de réparer les fissures à la laque dorée, tout en les révélant, disant ainsi, longtemps avant nous, la sublimation des fissures et les vertus de la réutilisation. 

Encore au Japon, le Wabi-Sabi, la beauté de l’imperfection, celle qui peut naître de l’art si délicat de la cuisson, fait feu dans les années 80 avec Takuro Kuwata. Le voici qui réinvente le bol a thé cérémoniel. Il déforme, crée l’asymétrie, joue avec températures puis les couleurs. Le mélange, aussi maîtrisé qu’hasardeux, est là.

Bol Kuwata
Bowl, Takuro Kuwata, 2014, Japon. Porcelaine, email. H. 13 cm x L. 13,5 cm x l. 14,5 cm

De cette matière brute, l’on fait d’abord ce que l’on peut. L’exposition nous emmène, avant « les usages » et « les messages », à la découverte des « techniques » : terre crue, cuite, décors, émaux, jaspé, émaillé, qui peut imaginer les mille et un essais, ratages, pour finalement produire, faire reproduire… des assiettes….

Espagne
Plat creux, Valence, Espagne, première moitié du XVIIIè. Technique de la « glaçure » qui donne cet aspect doré.

Techniques travaillées jusqu’au baroque, jusqu’à l’obscène, pour finalement retourner à l’épure. Car de la terre au pot, finalement, il n’y a que la main. Qui fait ce qu’elle peut, qui fait ce qu’elle veut.

Vue d'ensemble
De la terre au pot ©DavidCoburn
Edmund De Waal.
« Once is as good as never” / “Once is as good as never”/2
Edmund De Waal. 1964. Revient du Japon avec un goût pour la matière dépouillée. De retour en Angleterre, il y développe ces séries, où il aime la répétition, l’ensemble, le brut. Il est aussi écrivain.

Avec la céramique, on peut tout dire,  par exemple du monde dont on ne veut plus. Ou différemment.

La commissaire de l’exposition nous avait prévenus : après avoir vu cette exposition, vous n’aurez que deux envies : collectionner les céramiques ou les faire !

Et il est vrai que cette terre, si touchante, nous avons alors envie de la toucher, par tous les moyens. 

Les Flammes

L’âge de la céramique 

15 octobre 2021-6 février 2022

Musée d’Art Moderne de Paris

Commissariat : Anne Dressen

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