Edmund de Waal: Lettres de Londres, Espace Muraille
Des installations de porcelaine délicates et poétiques, à la pureté japonisante, c’est ce que je découvre en entrant à l’Espace Muraille. Je suis fascinée par cette blancheur aux mille nuances contrastant avec des noirs profonds: me voici immergée, pour la première fois, dans le monde si particulier du céramiste britannique Edmund de Waal.

Son art de céramiste commence tôt, dans sa plus tendre enfance, où il se passionne déjà pour la poterie. Plus qu’une passion d’ailleurs , c’est un besoin pour lui de s’exprimer “au delà des mots” par ses créations manuelles. Pour nous parler de ses inspirations, il nous conte de belles histoires. Celles de biens étranges objets Japonais du XVIII ème siècle- les “Netsuke”. De très petites tailles (ils tiennent dans le creux de la main), ces mystérieux Netsuke, admirablement sculptés, paraient les ceintures de toutes sortes de sujets: animaux étranges, végétaux, caricatures de personnages ou encore scènes érotiques. Ce sont les “héros” du célèbre livre Le lièvre aux yeux d’Ambre (“the Hare with Amber Eyes”), où Edmund de Waal relate la mythique saga des Ephrussi, sa famille, tout en révélant également son talent d’écrivain.

C’est en rendant visite à son oncle à Tokyo, qu’il découvre 264 pièces de ces Netsuke . Cette étonnante collection, seul vestige de l’immense fortune des Ephrussi détruite par les Nazis, fut sauvée par une fidèle femme de chambre qui les cacha dans du linge. Un vrai signe du destin puisqu’ Edmund de Waal en deviendra l’héritier. Ce qui le fascine, dans cet art ancien Japonais, ce sont le travail minutieux de la matière et le toucher très sensoriel lorsqu’on les prend dans la main. A sa manière, il les insuffle dans ses propres oeuvres, avec son langage minimaliste et épuré. L’artiste évoque son rapport sensuel avec la porcelaine, la texture soyeuse de la pâte qu’il travaille de ses doigts, l’étirant jusqu’à la translucidité de la matière.

“Lettres de Londres” est la première exposition d’ Edmund de Waal en Suisse. Le titre rend hommage à l’essai, de ce même nom, écrit par Voltaire, qui vécut quelques années près de Genève . Les oeuvres de l’artiste investissent l’Espace Muraille ainsi que, pour quelques jours seulement, le magnifique appartement XVIII ème des Freymond au 1er étage.

Edmund de Waal compose de délicats poèmes avec ses pots de céramique, qu’il assemble et organise de façon très précise sur des étagères ou dans des vitrines. De ces installations subtiles, nuancées, au tempo étrange, nait une magie mystérieuse qui envoûte le visiteur et l’invite à une rêverie méditative.

L’ influence de la Musique, qui accompagne Edmund de Waal dans chaque instant de sa vie, se ressent fortement au travers de cette exposition. Je suis saisie par la sensation de rythme qui se dégage de sa création Eisenach– du nom de la ville où naquit JS Bach. Composée d’une douzaine de vitrines noires, abritant chacune 2 grandes porcelaines blanches, elle s’organise comme une partition musicale. Plus loin, une oeuvre de grand format, in C, renvoie aux créations répétitives et minimalistes de Terry Riley, tandis que trois pièces de la série, Dix milles choses, rendent hommage aux compositions emplies de Silence de John Cage .


Quelle belle exposition, nous offrent Caroline et Eric Freymond dans cet espace d’exposition, dont la programmation de grande qualité ne cesse de nous surprendre. Orchestrée de main de maître par Laurence Dreyfus et réalisée en collaboration avec la Galerie Gagosian, elle nous fait découvrir cet artiste qui inscrit dans ses compositions de porcelaine un dialogue inspiré entre musique, architecture et littérature.
Caroline d’Esneval
A voir absolument, jusqu’au 15 Avril 2017!
Edmund de Waal
Lettres de Londres
Espace Muraille – 5 place des Casemates- Genève
Jusqu’au 15 Avril 2017

