Océanie – Musée du Quai Branly
Par Charlotte Le Grix de la Salle
Des masques, des pirogues, des statues effrayantes, des couronnes de plumes, on a tous le souvenir, enfant, de déambulations dans de grandes salles souvent obscures. De notre fascination mêlée de peur face à des objets aussi étranges qu’étrangers.
Que connaît-on de l’Océanie ?
De sa culture ? De son art ?
Longtemps, ces oeuvres sont restées des curiosités exotiques releguées dans l’ombre des ailes les plus reculées des musées et dans celle de notre méconnaissance.
Longtemps, les arts d’Afrique, d’Asie, des Amériques et d’Océanie étaient dits “primitifs” comme l’étaient les peuples qui les avaient produits, sous prétexte qu’ils n’étaient pas européens et que leur culture était fondée sur la tradition orale.
Arts Premiers
Ça, c’était avant 2006 et l’ouverture du Musée du Quai Branly. Et on célèbre désormais les arts “premiers”, nous rappelant ainsi qu’ils sont l’expression des premières cultures de l’humanité.
250 ans après James Cook
Aujourd’hui, 250 ans après la première expédition de James Cook, le musée nous promet un panorama de l’Océanie d’une ampleur inédite : près de 200 pièces, certaines jamais montrées au public, cinq ans d’élaboration en collaboration avec la Royal Academy of Arts de Londres où l’exposition fut montrée à l’automne 2018.
L’occasion unique donc de découvrir ou apprivoiser l’art de ce continent immense.

Plutôt que de se laisser happer par la spectaculaire installation contemporaine qui accueille par surprise les visiteurs, il faut absolument prendre le temps de s’arrêter sur la carte affichée à l’entrée, sur la droite.
Car l’Océanie, c’est d’abord un territoire, gigantesque, le “continent aux 25 000 îles”.
Faisons alors comme James Cook qui n’était pas qu’un explorateur britannique mais aussi un grand cartographe : c’est par la géographie qu’il faut commencer pour percer ce monde.
Comprendre les milliers de kilomètres qui séparent Hawaï des Iles Tonga, la Papouasie-Nouvelle Guinée de Samoa, ou Iles Salomon de la Nouvelle Zélande. Autant de groupes ethniques, de traditions, de styles différents.
Comprendre l’étendue du bleu
Cet océan qui sépare les peuples autant qu’il les relie.
C’est par lui qu’ont migré les populations venues d’Asie. Et après 1300 ap JC, où toutes les îles étaient atteintes, c’est par lui que continuent depuis des siècles les échanges entre ces terres éparses.
On comprend mieux pourquoi la pirogue, instrument premier d’exploration, de survie, de commerce est aussi le véhicule de l’âme.


Il y a donc Moana, cette eau sacrée, à la fois source et, lien, mère et véhicule, et puis la terre où il faut bien s’ancrer. Et nous traversons alors ces grandes salles où surgissent d’inombrables objets et statues, certaines inestimables et toutes magnifiquement éclairées, mais dont on comprend difficilement le sens. Il y a en effet une certaine prétention dans la mise en scène thématique de ces chefs-d’oeuvre qui nuit lourdement à la pédagogie et à l’émerveillement.
Se laisser porter par la beauté des oeuvres
Alors laissez-vous simplement porter par la beauté pure et la puissance de ces oeuvres.

De nombreuses sociétés dans le Pacifique s’articulent autour d’une complémentarité des principes féminin et masculin, à l’origine de la communauté et de sa prospérité. Il s’agit ici d’un couple, représentant peut-être des figures ancestrales, utilisés comme poteaux de soutien d’une maison commune.
Une couleur : le “bleu lessive”
On notera ici l’utilisation du « bleu lessive » ou « Bleu Reckitt ». Cet agent de blanchiment du linge, importé pendant la période coloniale, a été utilisé par certains artistes de Nouvelle-Guinée, des îles Salomon et du Vanuatu à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Il permet d’ajouter le bleu au répertoire des couleurs possibles.]

Les rituels
Ce poteau provient d’une grande maison cérémonielle. Réservées aux hommes, et théâtres d’un certain nombre de rituels, ces maisons abritent les objets sacrés des clans, dont les reliquaires sculptés et les grandes pirogues utilisées pour la pêche à la bonite et, autrefois, la guerre. Ce poteau représente l’étreinte amoureuse d’un homme et d’un esprit malveillant du nom de Matorua, dont on dit qu’il séduisait ses victimes en prenant l’apparence de l’être aimé(e).]

Cette large coiffe ne pouvait être portée que par des hommes, et plus rarement des femmes, haut placés dans la société au cours de cérémonies majeures. Elle consiste en une accumulation de matériaux précieux, dont des plumes et des ornements fait de coquillages et d’écailles de tortue ciselée, appelés koiyu en langue roro. Ces derniers étaient utilisés notamment pour les transactions matrimoniales.]

Tahiti – la puissance des chefs
À Tahiti, de tels plastrons étaient portés uniquement par les chefs (ari’i). Ils réunissent des matériaux issus de différents écosystèmes, y compris des îles Tuamotu voisines. Poils de chiens, plumes de différentes espèces et dents requins sont collectés sur le long terme et assemblés sur une trame en fibres de coco. Les taumi exprimaient la puissance des chefs]
Rencontre avec l’Occident
La surprise de cette exposition, c’est un thème rarement abordé avec autant de force, celui de l’hybridation et de la rencontre. La circulation nécessaire et ininterrompue entre toutes les îles de ce vaste monde d’abord, mais aussi la confrontation brutale avec l’Occident impérialiste. Et si les premiers contacts donnent naissance à des échanges fructueux, où les hommes du Pacifique embrassent le christianisme, la lecture, l’écriture, la mission « civilisatrice » des colons aura apporté avec elle son lot de drames et de violences.

Dans cette œuvre, l’artiste néo-zélandaise Lisa Reihana, se réapproprie l’une des représentations les plus explicites de l’Océanie telle que l’imaginent les Européens au début du 19e siècle : un papier peint panoramique intitulé Les sauvages de la mer Pacifique, créé par le français Jean Gabriel Charvet, présenté au public lors de « L’Exposition des produits de I’industrie française » en 1806. Ces scènes teintées d’un exotisme idéalisé s’inspirent en partie des récits de voyage du Capitaine Cook. Le titre de la vidéo,À la poursuite de Vénus, y fait référence puisque l’Endeavour (1768-1771) avait pour mission de suivre la planète Vénus à travers l’hémisphère sud. C’est le terme « infecté » qui révèle l’intention de l’artiste. Car ce paradis rêvé est dès les premiers « contacts » avec l’Occident, le théâtre de multiples drames. Parmi eux, la propagation rapide de maladies infectieuses. En grand format, l’artiste rappelle la complexité de ces rencontres qui ont irrémédiablement affecté les populations du Pacifique.]

À la Biennale de Venise en 2011, cette œuvre était présentée avec d’autres pianos, silencieux. A travers eux, Michael Parekowhai interroge les discours de l’art contemporain globalisé et leur rapport à une histoire de l’art marquée par la pensée coloniale. Par sa couleur, obtenue grâce à une laque industrielle, ses motifs sculptés et incrustés typiques de l’art Maori des pirogues (waka) et des maisons de réunion (wharenui),et son titre qui rappelle le roman de Jane Mander (1920) et le film La Leçon de piano de Jane Campion (1993), He Korero Purakau mo Te Awanio Te Motu multiplie les références à l’identité culturelle néo-zélandaise historique et contemporaine. Il invite à un chemin contraire par l’appropriation par les Maori de la culture des élites européennes.]
L’Océanie menacée
Aujourd’hui, ce n’est plus la culture océanienne qui est menacée mais l’existence même de l’Océanie : la montée du niveau de la mer entraînera la disparition de plusieurs îles. C’est une mise en perspective vertigineuse qui clôt cette exposition.
Dans de nombreuses langues océaniennes, la grammaire place le passé devant soi et le futur derrière. A travers le travail de mémoire, c’est donc bien du futur qu’il s’agit. Dans cette résonnance réside la richesse de cette exposition, un voyage en Océanie qui veut sans doute en dire trop, dans lequel on doit s’embarquer sans forcément chercher à s’y retrouver.
Océanie,
Musée du Quai Branly
du 12 mars au 7 juillet
Commissariat :
Pr. Nicholas Thomas, Musée d’Archéologie et d’Anthropologie de l’Université de Cambridge, Royaume‑Uni
Dr. Peter Brunt, Université Victoria à Wellington, Nouvelle-Zélande

