Asia Now 2020
PAR STEPHANIE DULOUT & FLORENCE BRIAT SOULIE

Asia Now, 2020, une édition attendue et remarquée ! Paris sans Fiac laisse libre champ à l’Asie artistique avec une première ouverture sur l’Inde.

Alexandra Fain et son équipe ont réussi l’exploit de maintenir ce rendez-vous et nous offrir une sélection d’oeuvres très pointues en parallèle d’un programme passionnant avec le musée Guimet très tourné vers la création contemporaine. Cette année l’Inde et le Japon étaient à l’honneur et hier soir avait lieu le vernissage de l’Asie maintenant.
Remen Chopra (née en 1980), artiste indienne, dans la bibliothèque et Reena Saini Kallat dans l’Hôtel d’Heidelbach (un des trois lieux du Musée Guimet) sont les deux artistes indiens invités.


Au deuxième étage du musée, sont présentées 11 oeuvres d’artistes japonais, travaillant la vannerie à partir du bambou. Le musée accueille pour sa première édition le Mingei Bamboo Prize qui sera donné le 24 novembre prochain et le public pourra également voter. Devant des sculptures d’un raffinement extrême, je suis tombée en arrêt devant les 3 Hito (femmes) de Nagakura Kenichi (1952-2018) qui appartiennent à une collection privée.

La visite The Gaze par Stéphanie Dulout
ASIANOW 2020 Grand cru !

Stand A 100
BaoVuong

Ceci n’est pas un monochrome. Loin d’être figées dans la masse noire des empâtements de peinture, les vagues brillent à la lueur de la lumière au gré de ses variations et de nos déplacements. Cette toile n’est pas non plus une abstraction, elle raconte une histoire. Sous la masse sombre pailletée par ces reflets changeants et mouvants, gît, ou s’agite, un morceau d’océan, comme un lambeau de souvenir ; celui de la longue et périlleuse traversée accomplie par les parents de l’artiste, avec lui, alors qu’il n’avait qu’un an, et d’autres boat-people, pour fuir le Vietnam. Ayant trouvé sa terre d’accueil en France, Bao Vuong a voulu refaire le voyage pour extirper le souvenir de l’oubli, ou plutôt, l’imaginer et le recréer. Voici la trace de sa quête. Fascinant.
Stand A 207
SoloShowZarina


Un magnifique hommage est rendu par la galerie Jeanne Bucher Jaeger, nouvelle venue à Asia Now, à l’artiste indienne Zarina Hasmi disparue cet été. Né en 1937, dans la région de l’Uttar Pradesh, elle fut l’une des quatre artistes à représenter le Pavillon indien lors de son entrée à la 54ème biennale de Venise en 2011, et est représentée dans les plus grandes institutions internationales, du Guggenheim de New-York, qui lui consacra une rétrospective en 2011, au Victoria and Albert Museum de Londres, en passant par le Centre Pompidou ou le LaM de Villeneuve d’Asq.
Ses œuvres, d’une grande beauté, baignées de nostalgie et d’érudition, sont principalement réalisées en papier – matériau des poètes et des lettrés, qu’elle considérait comme une seconde peau. Tour à tour gravé, tissé, percé, moulé, sculpté, il fut pour elle son compagnon de voyage, et porte magnifiquement les stigmates de son parcours initiatique chaotique. Des gravures sur bois donnant aux tracés cartographiques la beauté du signe aux sculptures en pulpe de papier couleur de pierre, on y décèle une réflexion sur le nomadisme, l’exil, le déracinement, les ravages de la guerre…, mais aussi, une quête mystique, notamment dans ses derniers collages à la feuille d’or (The Universe is Full of Paths and Orbits).
Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois
Stand A 203
SoloShowPeyback

Fantastique duo iranien chez Georges-Philippe et Nathalie Vallois.
Peyman Barabadi & Babak Alebrahim Dehkordi, alias Peybak, tous deux nés en 1984 et diplômés de la Tajasomi Pesaran Art School de Téhéran, composent à quatre mains des tableaux minuscules ou immenses où fourmillent des petits monstres, mi-homme, mi-embryon, évoquant le peuple des djinns ou des gobelins. Grouillant, culbutant, tournoyant, ils pullulent, sous de vastes horizons vides, sur des terres désertiques, qui parfois les aspire dans un grand maelstrom tourbillonnant vers le fond du tableau, comme avalés par un abîme, une trouée au centre de la toile… « Abrakan » est le nom donné par les deux artistes à ce royaume du chaos. Renversant.
Stand A 210
LiChevalier
SoloShow
Tout remue, tout palpite, tout respire dans les paysages noirs et blancs de Li Chevalier : un ciel aqueux, des rochers écorchés et râpeux, une mer écumeuse, des brumes flottantes… Seuls quelques éléments d’architecture plantés ça et là dans le décor, semblent contredire cette palpitation des éléments.
Le secret de l’artiste ? : « l’encre expérimentale » par laquelle elle a révolutionné une pratique millénaire. Appliquant l’encre, non pas sur du papier, selon la tradition orientale, mais sur la toile, elle y mêle de la peinture acrylique, des pigments, du sable, des fragments de quartz et des collages de papier de riz… De là l’incroyable densité des matières, presque imperceptible à l’œil nu, qui donne vie à ces paysages lunaires et crépusculaires semblant surgis de la nuit des temps. Fantastique !

BIO
Li Chevalier est née à Pékin en 1961 et vit entre Paris et l’Asie. Installée en France depuis 1984, elle est diplômée de philosophie politique (DEA à la Sorbonne en 1990) et du Central Saint Martins College of Art and Design de Londres. Exposé au ” Summer Exhibition ” de la Royal Académie des Arts de Londres en 2007, son œuvre a fait l’objet de plusieurs expositions monographiques – au musée d’Art contemporain de Rome en 2017, au musée national des Beaux-Arts de Chine en 2010, au musée des Beaux-Arts de Shangaï en 2011, au Centre d’Art contemporain La Base sous-marine de Bordeaux en 2014… Deux de ses tableaux majeurs sont exposés dans le salon de l’ambassade de France à Pékin au côté des œuvres de deux artistes franco-chinois : Zao Wou-Ki et Chu Teh-Chun…

Stand A 109
Min Jung-Yeon
Autre artiste virtuose de la peinture à l’encre et du dessin, Min Jung-Yeon (née en 1979 dans la campagne sud-coréenne, formée aux arts graphiques à l’université de Séoul avant de quitter son pays natal pour gagner la France et intégrer les Beaux-Arts de Paris dont elle sort diplômée en 2006) peint aussi des paysages imaginaires, des paysages intérieurs, à la lisière de l’abstraction et de la figuration, de la fantasmagorie et du cauchemar. Des mondes en fusion, en perpétuel métamorphose, où les formes – volcaniques, embryonnaires, osseuses ou rocheuses, utérines ou caverneuses… – tour à tour explosent, s’écoulent, fusionnent, se propagent ou se délitent… Mêlant à la fluidité de l’encre la minutie du trait, au chaos des taches et des éruptions calligraphiques la douceur et la délicatesse des tons pastels, ces paysages organiques fascinent tant par la puissance de leur vision que par la virtuosité de la technique graphique.


Galleria Continua & Marella Rossi
Shilpa Gupta
Attention: master-piece !

There is No Explosive in This – Objects confiscated at the Pierre Elliot Trudeau International Airport, Montreal, 2011, confiscated Objects at the Pierre Elliot Trudeau International Airport, Montreal, 110 x 462 x 78 cm,
Sur un grande table recouverte d’un drap de lin, pouvant évoquer l’univers carcéral ou l’hôpital, la table de dissection et les étalages archéologiques, sont alignés des objets recouverts d’une gangue de lin cousue, dont le titre de l’œuvre nous apprend qu’ils ont été confisqués à l’aéroport de Montréal. A cette troublante exposition d’objets cachés répondent des photographies des dits objets confisqués non camouflés, mais aussi d’autres œuvres de l’artiste évoquant l’enfermement, les pratiques clandestines, les flux migratoires, la porosité des frontières…
Entre visibilité et invisibilité, fiction et allégorie, le dispositif de l’artiste indienne (née à Mumbai en 1976) conduit très habilement, par le jeu du paradoxe et du détournement poétique, à un questionnement éthique et politique qui ne peut nous laisser indifférent.

La Galerie Continua fait ici une entrée magistrale à Asia Now…
Kim Tschang-Yeul
Attention : curiosités !
Autre grosse pointure à faire son apparition à Asia Now, Almine Rech honore le maître de la goutte d’eau, Kim Tschang-Yeul avec deux curiosités : de séditieuses mais très esthétiques Waterdrops bleues tracées à l’huile, en guise de point d’exclamation, sur une page du journal Le Monde datée du 3 juillet 1986 (signalons une erreur sur le cartel biffé, au passage…), ainsi qu’une très belle Nuit composée en deux temps à 36 ans d’intervalle ! Le fond monochrome entièrement recouvert au graphite en 1983 aura attendu 2019 pour se voir paré de ravissantes petites gouttes faisant ressortir dans leur fausse transparence la richesse de sa teinte de plomb. On en redemande !…

La suite en image :
Asia Now
6ème édition du 21 au 24 octobre 2020
9 Avenue Hoche, Paris 8e.
Musée Guimet
Jusqu’au 25 janvier 2021
Et aussi : Carte blanche à Daniel Ashram, Moonraker , dans la rotonde, son jardin zen en blanc et “bleu Guimet”, oui je viens de l’apprendre, Emile Guimet avait son bleu fétiche.

Jusqu’au 21 janvier 2021

