EL ANATSUI, TRIUMPHANT SCALE

El Anatsui, Man’s Cloth, 2001, aluminium and copper wire, 293 × 374 cm
British Museum, London,

El Anatsui, ce nom ne cesse de résonner dans mon esprit; résonance semblable au bruit que pourraient produire ces petites pièces de métal en mouvement. J’ai toujours été fascinée par les oeuvres de cet artiste, Lion d’Or de la 56éme Biennale de Venise. Encore étudiante à la Sorbonne, c’est Philippe Dagen, qui avait attiré mon attention sur cet artiste et son oeuvre. Je me souviens avoir été fortement marquée par Sasa, oeuvre dans la collection du centre Pompidou depuis 2005.

El Anatsui (1944 – ) Sasa (Manteau) 2004, Aluminium, cuivre, 700 x 640 x 140 cm
Installation murale constituée de capsules de bouteilles de rhum aplaties assemblées à l’aide de fils de cuivre
Centre Pompidou, Paris, Achat, 2005

Le Kunstmueusem de Berne, nous offre une rétrospective très marquante. Triumphant scale : échelle triomphante, met en avant la monumentalité des oeuvres ainsi que le processus créatif ayant permis la réalisation de ces dernières (mise en avant de tous les supports explorés). Il s’agit de la plus importante exposition de son travail à ce jour.

L’artiste vit et travaille au Nigéria depuis 1975. Avec cette exposition, le Kunstmuseum souhaite rendre hommage à la puissante influence artistique d’El Anatsui sur « les générations d’artistes ouest-africains et à son statut d’artiste contemporain reconnu internationalement ».

L’exposition ne se consacre pas uniquement aux oeuvres de métal monumentales, mais présente également ses sculptures en bois ou ses dessins (éléments fondamentaux dans le processus créatif de ses pièces emblématiques en aluminium). Dans ses travaux sur papier, El Anatsui illustre la manière dont il repense constamment les compositions et structures des grandes oeuvres. La présence de figures humaines dans ses gravures nous rappelle l’art africain traditionnel et contemporain à l’inverse de l’abstraction des oeuvres en métal.

El Anatsui, Chief With History Behind Him, 1987 aquatint on paper, 51.1 × 39.7 cm
Iwalewahaus, Universität Bayreuth

Mon attention est captivée par les immenses créations de l’artiste, véritable voyage visuel.

Les créations sculpturales planes sont uniquement composées de bouchons de bouteilles en aluminium, découpés, aplatis, écrasés, tournés et pliés. La technique consiste ensuite à tordre des fils de cuivre en fines vrilles métalliques afin que les éléments soient liés et entrelacés en un seul ensemble. On peut voir dans ce travail, exécuté à la main, « une métaphore de la construction de la société humaine« . El Anatsui est très attaché au fait que l’essence même de son oeuvre existe grâce à l’utilisation de matériaux usagés, « matériaux beaucoup touchés et utilisés par des gens » et insiste sur le fait que « les artistes sont mieux à même de travailler avec ce que leur environnement leur offre« . En effet, grâce à des éléments de la vie quotidienne, l’artiste et ses seconds parviennent à créer une tapisserie d’or. Ces compositions brillent de tout feu, elle semblent si souples, si mobiles.

L’assemblage de milliers de capsules de bouteilles illustre l’abolition des frontières entre la sculpture, peinture et l’assemblage, ce qui se rapproche des traditions antérieures de l’art africain.

El Anatsui, Red Block, 2010, found aluminium and copper wire, 444.5 × 563.88 cm The Broad Art Foundation
El Anatsui, photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne

Peau de reptile, tapis de fleurs; ces oeuvres éveillent une multitudes d’allégories. En les regardant, je ne peux m’empêcher de penser au fond travaillé et à la robe du  Portrait d’Adèle Bloch-Bauer I de Gustave Klimt. Les compositions articulées d’El Anatsui et l’utilisation de la couleur or participent à ce rapprochement visuel.

Gustave Klimt, 1907, 138 cm × 138 cm (54 in × 54 in), Oil, silver and gold on canvas, Neue  Galerie, New York 
El Anatsui, Gravity and Grace, 2010, bottle caps, aluminium and copper wire, 482 × 1120 cm
Collection of the artist, Nsukka, Nigeria. Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York

Les oeuvres de l’artiste s’apparentent à des tapisseries, drapées au mur, ou encore posées au sol. J’adore cette souplesse, cette flexibilité, qui accentue la puissance des tonalités. Par leur mouvance, elles réfléchissent la lumière qui pénètre en abondance par les grandes fenêtres du Kunstmuseum. Un ensemble scintillant, semblable à la surface de l’eau.

El Anatsui, Tiled Flower Garden, 2012, aluminium and copper wire, size variable, collection of the artist, Nsukka, Nigeria, © El Anatsui. Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York

Monochromes ou ornées de motifs abstraits, ces rideaux de métal nous captivent par leur immensité. Leur composition est difficilement saisissable; ce mystère participe à leur beauté. A la fois mystérieuses et radieuses, les créations d’El Anatsui nous transportent dans un univers à part; univers poétique et onirique. Une poésie pourtant composée à partir de « déchets ».

El Anatsui, photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne
El Anatsui, photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne

Magiques aussi, car ces oeuvres changent, se métamorphosent. Chaque nouvel accrochage donne lieu à une nouvelle affirmation. La manière dont elles sont disposées et la matière sur laquelle elles sont placées, guident le résultat visuel. Idée fortement soutenu par l’artiste; les oeuvres deviennent alors une métaphore « du passage du temps et du caractère inévitable du changement« .

El Anatsui, Strips of Earth’s Skin, 2008, found aluminium and copper wire, 330.2 × 696 × 40.6 cm
The Broad Art Foundation
El Anatsui,photo EmilieRenault@thegazeofaparisienne

El Anatsui est un magicien. Il transforme les « déchets » en merveilles qui racontent l’histoire de sa terre colonisée, l’Afrique, et évoquent les enjeux actuels de notre société- en particulier écologiques- auxquels nous sommes confrontés. Derrière ses somptueux rideaux et tapisseries de métal, il y a toute la sensibilité d’un artiste profondément humaniste .

Emilie Renault

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