Les heures claires de la Villa Savoye

La Villa Savoye est construite par Le Corbusier en 1928 à la demande de Pierre et Eugénie Savoye qui ne sont ni collectionneurs, ni forcément amateurs d’architecture moderne contrairement aux Noailles (villa Cavrois, Mallet-Stevens). Le Corbusier, d’ailleurs n’écoute que d’une oreille les voeux de ses clients et ne s’en tient qu’à cette pensée de fonctionnalisme.
La Villa est dite “puriste”, elle est la quintessence du modernisme reconnaissable par les 5 points forts décidés par l’architecte : le pilotis, le toit jardin, les fenêtres en bandeau, le plan et les façades libres.

Synonyme de modernité, la structure sur pilotis libère des murs porteurs, la maison s’affranchit du sol, de l’humidité. On peut découper les façades et la création de la fenêtre en bandeau est très innovante, nous sommes au début du XXe siècle. J’imagine que cela doit être très excitant d’avoir cette perspective en continu sur la nature, cela donne un sentiment de liberté.

Nouvel art de vivre

Le Corbusier casse les codes, invente un nouvel art de vivre dans cette maison de week-end en concevant le toit terrasse qui est un lieu de vie à l’extérieur, où l’on déjeune, dîne, travaille. Le mobilier est immeuble par destination, les tableaux sont les ouvertures sur le paysage attenant. A l’intérieur les pièces sont spacieuses, les murs sont en couleurs avec toujours ces ouvertures encadrant les paysages extérieurs.

La salle de bains aux mosaïques turquoises avec sa chaise longue en béton ardoise intégrée est de toute beauté. Les fenêtres sont un bandeau de vitres entourant la façade de la maison et inspirant son nom aux propriétaires “Les heures claires”.
Une organisation nouvelle, facile se profile avec cette maison moderne, pour l’architecte elle devient la machine à habiter .

Une maison inconfortable
Mais cette modernité et ces perspectives enchanteresses ne se révèleront finalement pas très praticables. En effet, toutes ces ouvertures, l’étanchéité des terrasses, le froid et l’humidité ne sont pas maitrisés. Les propriétaires se plaignent à plusieurs reprises dans des lettres à leur architecte. La maison sera occupée par des allemands pendant la 2nde guerre mondiale, puis vendue à la ville de Poissy, pour finalement être sauvée par une pétition d’architectes du monde entier et le ministre de la culture de l’époque : André Malraux. Elle a été classée depuis 2016 par l’Unesco, patrimoine mondial.
Rencontre décisive avec Charlotte Perriand

Au départ Le Corbusier fait appel à la Maison Thonet pour créer un mobilier qui s’intègre selon ses souhaits dans son architecture. Mais la rencontre en 1927 avec Charlotte Perriand sera décisive elle le raconte dans des entretiens de 1984 repris dans l’émission A voix nue en 1999. Lorsqu’elle le retrouve à son atelier rue de Sèvres, Le Corbusier, misogyne lui déclare alors “ici on ne brode pas des coussins!” , mais finalement il la rappelle après avoir découvert le bar sous le toit exposé au Salon d’Automne. Pour la première fois les meubles sont construits à partir de matériaux industriels, tubes métalliques, tôle, chrome. 10 années d’association d’où naitront des icônes baptisées des initiales de Le Corbusier, suivies d’un chiffre de l’ordre de création. la chaise longue iconique LC4 …
Charlotte Perriand, extrait “A voix nue” 1/5 – France Culture, 1/2/ 1999.
Le Corbusier m’a enlevé un mur que j’avais devant les yeux à ce moment-là. Parce que Le Corbusier n’est pas qu’un architecte, c’est un philosophe, un philosophe de la vie. Je me trouvais tout à coup devant des conceptions nouvelles, un milieu nouveau.
Habitée par les Savoye jusqu’à la seconde guerre mondiale, cette maison n’était pas forcément meublée de façon moderne, l’idée de cette exposition était d’imaginer des sièges modernes qui auraient pu garnir le lieu vide de ses meubles. Le CMN a fait appel au Mobilier National qui a eu carte blanche pour cette nouvelle exposition “sièges modernes”.

On ne le sait peut-être pas assez mais le Mobilier National a un atelier de recherche et de création, l’ARC créé en 1964 à la demande d’André Malraux pour promouvoir le style français contemporain. Tous les ans, de nouveaux modèles prototypes sortent des ateliers. Il serait peut-être question d’en faire des éditions. Aujourd’hui dans le cadre de cette exposition, certains d’entre eux comme les LC1, LC2, LC7, LC10 de Le Corbusier, Perriand et Jeanneret, sont exposés à la Villa Savoye parmi d’autre modèles de designers, la chaise longue de Pierre Paulin et d’autres signatures dont Roger Tallon, Richard Peduzzi.. ce sont les sièges modernes qui auraient pu meubler la maison.
Florence Briat Soulié

Informations :
Exposition :
Sièges modernes, le Mobilier National invité à la Villa Savoye
19 MAI 2021 > 26 SEPTEMBRE 2021
82 rue de Villiers à Poissy (78300)
Tel : 01 39 65 01 06
Commissariat général : Virginie Gadenne, administratrice de la Villa Savoye, Centre des Monuments Nationaux
Commissariat scientifique de l’exposition : Lucile Montagne, conservatrice du patrimoine, inspectrice des collections au Mobilier National

Catalogue de l’exposition à la Villa Savoye – Centre des Monuments Nationaux / Mobilier National “Sièges Modernes, le Mobilier National invité à la Villa Savoye”


