Frank Horvat à la Maison Doisneau

PAR MARIE SIMON MALET

Maison Doisneau à Gentilly. Exposition Frak Horvat
Maison Doisneau à Gentilly. Exposition Frank Horvat © The Gaze of a Parisienne

Paris, années 50 

Initialement programmée du 14 Octobre au 10 JANVIER 2021

réouverture le 19 mai 2021 et prolongation jusqu’au 19 septembre 2021.

Voir la dernière exposition d’un artiste est toujours émouvant. Le photographe Frank Horvat (voir article de The Gaze : Frank Horvat (1928-2020), « Only for few ») qui a travaillé sur Frank Horvat, Paris, années 50, à la Maison Doisneau de Gentilly, ne l’aura pas vue installée. Il s’est éteint le 21 octobre dernier à l’âge de 92 ans, une semaine après l’inauguration.

© Frank Horvat
Le Sphinx, Pigalle © Frank Horvat – extrait du livre « J’aime le strip-tease »

L’exposition rassemble une soixantaine de tirages (vintage ou postérieurs) pris à Paris entre 1955 et 1962. Ces photographies retracent les explorations formelles de sa jeunesse, son génie d’inventeur de formes et de techniques. Elle livre les clefs de son parcours; tour à tour, reporter, photographe de rue, photographe de mode novateur, témoin humaniste, Horvat fut aussi un éternel amoureux des femmes et un « outsider » -comme il se définissait lui-même- d’une grande curiosité intellectuelle, un chercheur insatiable à l’affût de la modernité de son époque.

Frank
© Frank Horvat Passants vus de la Tour Eiffel, Paris, 1956 Téléobjectif

Après avoir été inaugurée à Gentilly le 14 octobre 2020, longtemps suspendue, l’exposition a ouvert à nouveau ses portes le 19 mai 2021 et est heureusement prolongée jusqu’à l’automne 2021. 

La Maison Doisneau 

à Gentilly est un espace dédié à la photographie depuis 1996 en hommage à Robert Doisneau, enfant de Gentilly, sans toutefois y abriter son œuvre photographique, ni être sa maison d’enfance. On y voit des expositions de photographes humanistes. L’exposition Paris, années 50, présente deux séries d’images prises au milieu des années cinquante par Frank Horvat : un reportage réalisé en 1956 dans un club de strip-tease parisien de Pigalle, le Sphinx, et une série de vues de la capitale, Porte Saint-Denis, gare saint-Lazare, place Pigalle, rue Saint-Denis, Île Saint-Louis… auxquelles s’ajoutent quelques photographies de personnalités de l’époque, Jean-Barrault sur scène, 1956, « le charmant petit monstre » (dixit Mauriac) Françoise Sagan dans sa loge au théâtre en 1958, Zizi Jeanmaire, Jean Cocteau, au Lido, 1958…

« J’aime le strip-tease » Texte de Patrik Lindermohr, photos de Frank Horvat. Editions Rencontre, Lausanne

J’aime le Strip-Tease

L’enfant de la Mitteleuropa, né à Abbazia (alors en Italie, aujourd’hui en Croatie) n’a pas trente ans lorsqu’il s’installe à Paris. A l’instigation d’Henri Cartier-Bresson, il a travaillé deux ans comme photo-reporter en Asie. A son arrivée à Paris, les commandes ne sont pas légion et il accepte l’offre d’un magazine pour hommes de New-York qui lui propose deux cents dollars pour un reportage sur « la vie parisienne ». La vie parisienne qui émoustille les touristes américains (entre autres) est celle de la nuit. Nonobstant les origines américaines du strip-tease, le strip s’incarne dans « les petites femmes de Paris » en plumes, fanfreluches et brillants de pacotille au cœur de Pigalle, à deux pas du Moulin rouge.

Le Sphinx, 1956 © Frank Horvat

Lorsque l’on est jeune, désargenté, même séduisant comme l’était Frank Horvat, avoir ses entrées dans ces clubs ne coule pas de source. Photographier les coulisses de la vie nocturne ne convainc pas les videurs et le jeune reporter raconte (il a beaucoup écrit et c’est une chance !) qu’après avoir essuyé de nombreux refus, il se décide vers deux heures du matin à « éclairer » le portier du Sphinx avec un billet de 5 000 francs, sésame grâce auquel il se faufile vers la scène. Il mitraille alors la salle, les filles, les clients, les loges.

             Frank Horvat  

« Ces demoiselles me firent plutôt bon accueil, peut-être parce que le public, ce soir-là, était si morne, que le seul fait qu’un paparazzo s’occupât d’elles leur donnait un petit sentiment d’importance. » Jusqu’à ce quinze minutes et cinq bobines de film plus tard, une fille l’apostrophe : « Qu’est-ce que tu payes? » Frank Horvat poursuit avec humour : « l’exigence n’était pas injustifiée mais je ne me trouvais pas en mesure de la satisfaire. Je fis la sourde oreille et, sans attendre que les autres fassent chœur, battis en retraite. »
Le Sphinx, Pigalle © Frank Horvat – extrait du livre « J’aime le strip-tease »

Ce sera un one shot publié avec succès à New-York. Quelques années plus tard, paraît une des photos dans le Vogue et un éditeur suisse lui propose d’en faire un livre, J’aime le Strip-Tease*, qui sort en 1962, aux éditions Rencontre, complété de photos prises au Crazy Horse Saloon, aux Folies bergère et au Moulin Rouge.  

Les images du Sphinx sont puissantes et touchantes. Aucune n’est posée… Des instants volés où la blancheur des corps des danseuses dans l’obscurité de la salle, l’expression des clients, la gestuelle des stip-teaseuses, le cadrage, mettent en scène le regard du spectateur. Horvat adopte l’angle de vue du voyeur mais avec une tendresse d’amoureux. Il sait les filles vulnérables. Elles ne sont pas toutes jolies, mais lumineuses; une passe de profil au premier plan avec un corps marmoréen telle une statue ou une apparition, l’autre de dos, baisse sa culotte sous les feux de la rampe. Cette image est fascinante, composée comme un Degas, elle contient ce petit miracle de l’instant qui ne se reproduira plus… Ce miracle que Frank Horvat a cherché toute sa vie.

Frank a le temps de réaliser un autoportrait dans le miroir de la loge d’Yvette dont il est sous le charme autant, avoue-t-il, pour son prénom qui sonne si français que pour ses formes. Il retrouvera Yvette, au Grazy, sous le nom de Lili Niagara.

De gauche à droite : Paris la nuit, 1956 – Téléobjectif, restaurant Tout est bon, 1956 – Prostituée rue Saint Denis, 1956 © Frank Horvat

J’aime Paris 

L’exposition présente une autre exploration novatrice de Frank Horvat : des vues de Paris prises au téléobjectif.

             « Je me suis servi d’un 400 mm que j’adaptais à un 24×36 réflex, qui pouvait être vissé sur un cul de fusil que j’appuyais à une épaule et qui était équipé d’un déclencheur à la gâchette, à la manière d’une arme. Moins lourd et plus pratique qu’un trépied. Seulement il fallait des temps de pose plus court qu’un centième se seconde (sinon mes photos auraient été bougées). »  Frank Horvat, Chronique de mes appareils photos,  2019.

Le photographe s’intéresse aux perspectives aplaties, animées par les graphismes des murs peints, par la typographie urbaine, les lignes d’arrêtes des toits en zinc, les cheminées… Grâce au téléobjectif, il compose ses images comme des tableaux cubistes où la profondeur de champ disparaît et où la ville est géométrisée. 

Carnaval à Bastille, 1956 © Frank Horvat
Carnaval à Bastille, 1956 © Frank Horvat

              « En photographiant les perspectives de Paris, je m’étais rendu compte d’un effet de facettes (ou de kaléidoscope). Comme si l’exiguïté de l’espace et l’ingéniosité des parisiens les portaient à inventer des exceptions à la régularité des leurs avenues, toutes convergentes vers des grandes places comme l’Etoile. » Frank Horvat.

Il aime aussi les effets bougés; dans le hall de La gare Saint-Lazare –1959- un tourbillon nuageux entoure les parisiens « emportés par la foule qui les traîne, les entraîne »  à la Piaf. Ces vues de Paris sont publiées dans un numéro du magazine photo Caméra; le photographe américain William Klein (New York 1954-1955) est fasciné par son usage du téléobjectif. Klein vient de photographier New-York (New York 1954-1955). Ils confrontent leurs points de vue et leurs approches parfois très similaires ; Klein le présente à l’une de ses amies rédactrice au Jardin des Modes. Jacques Moutin, directeur artistique de cette merveilleuse revue, lui commande une série de photos qui lance sa carrière de photographe de mode. 

Il y bouscule les codes et les conventions en installant les mannequins parmi les passants, les filles en haute couture côtoyant les forts des Halles, des habitués au comptoir, les blousons noirs, bad boys de l’époque.

Horvat veut débarrasser les modèles de leurs chapeaux volumineux, perruques, lipstick et poses convenues… Quitte à les tyranniser et à clouer le bec des rédactrices de mode outrées. En faisant littéralement descendre la mode dans la rue, faute de studio au départ pour Franck et comme le feront également Avedon et Klein, il préfigure la mode plus jeune, plus libre, plus démocratique du prêt-à-porter.

Cette esthétique révolutionnaire qui séduit les grands journaux, Jardin des modes, Vogue, Elle, Harper’s Bazaar… est déjà présente dans sa série sur Paris de la Maison Doisneau : deux clients accoudés au comptoir du restaurant –Tout est bon, 1956-, une prostituée, queue de cheval, petit pull, pantalon fitté sur talons hauts –Prostituée, rue Saint-Denis, 1956-, ou encore des hommes en costume et chapeaux à la Bourse, –Jour de Mode, Bourse de Paris, 1958-  annoncent cette modernité. 

« Cette petite exposition sera pour les nostalgiques », avait-il prévenu.

Des nostalgiques d’un Paris disparu peut-être mais aussi touchés par la grâce du petit miracle que chacune de ses images contient. 

Marie Simon-Malet

*J’aime le strip-tease, Texte de Patrik Lindermohr, Editions Rencontre, Lausanne, Suisse, 1962

Frank Horvat

« Side walk »

Editions Xavier Barral – 2020

INFORMATIONS :

Maison de la Photographie Robert Doisneau

1, rue de la Division du Général Leclerc 94250 Gentilly, France

tél : +33 (0) 1 55 01 04 86

https://maisondoisneau.grandorlyseinebievre.fr/

FRANK HORVAT 

Paris, années 50 

14 Octobre au 10 JANVIER 2021 suspendue, 

réouverture le 19 mai 2021 et prolongation jusqu’à l’été.

A voir aussi dans le cadre du Vincennes Images Festival, l’exposition Frank Horvat dans divers lieux de Vincennes, en extérieur et gratuite, prolongée jusqu’au dimanche 6 juin 

Vincennes Images Festival

Et dans le cadre du Parcours St Germain, le 1er juin jusqu’au 10 juin 2021, au théâtre de l’Odeon, les photos de New-York. 

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