SUPER TERRAM à l’espace Voltaire
PAR OWEN SMITH
(🇬🇧English version at the end of the article)

Que reste t-il de notre connexion à la terre, ici, dans cette ville ?
Germain Ipin
Je me suis posé la question de ces zones de contacts, de ces connexions physiques qu’il existe, entre
un humain à Paris et l’élément terre. Il y a ces pastilles, poinçonnements réguliers le long des caniveaux, fichés d’un arbre au centre : gros platane centenaire ou frêne maigrichon nouvellement replanté. J’ai voulu m’intéresser de plus près à ces 100.000 arbres d’alignements* ainsi disposés dans les rues de Paris. J’ai donc pris mon polaroid. Et quand la résidence m’offrait l’instant d’une promenade, ai laissé le doigt presser le déclencheur, chaque fois qu’un de ces arbres d’alignement me semblait (paradoxalement) sortir du lot. En résulte une petite série péniblement insolée sous la lumière avare de l’hiver parisien ;où il me semble que chaque tronc devient un peu plus unique, un individu porteur d’une histoire singulière.
SUPER TERRAM, ou “above ground” en anglais, brouille les pistes du terrifiant et du méditatif. L’exposition présente le travail de onze artistes de la scène internationale. Toutes les œuvres ont été créées in-situ à L’Espace Voltaire qui était autrefois une petite usine, l’atmosphère industrielle demeure, mais l’espace est complètement transformé par des monticules de terre déposés sur le sol et un éclairage tamisé. Ressemblant à la fois à une maison hantée et à une biosphère c’est une juxtaposition entre le sublime et l’organique qui s’empare de toute l’exposition. L’artiste-commissaire de Super Terram, Gaël Lefeuvre, présente clairement l’objectif de cet espace dans le texte de l’exposition :
« SUPER TERRAM… qui se présente comme une allégorie de nos vies contemporaines artificielles en perte de référence avec la Nature et les éléments qui constituent l’existence. .”
Gaël Lefeuvre, commissaire de l’exposition.

C’est certainement une idée difficile à saisir mais les artistes embrassent pleinement les bizarreries de notre existence artificielle.

Organisée par la Fondation Desperados* pour l’Art Urbain, l’exposition présente des œuvres représentatives du paysage urbain. Gaël Lefeuvre a précédemment organisé des expositions dans des lieux atypiques et est lui-même artiste. Lorsque vous entrez pour la première fois dans le bâtiment, vous êtes immédiatement confronté à une scénographie non traditionnelle. Le sol est recouvert de terre, pas de sol en béton. Et ce n’est pas une galerie aux murs blancs, mais cela ressemble plutôt à une tanière ou à une caverne bien sombre. Des télévisions plantées dans la terre nous assaillent d’images étranges. Ce sont les 10 règles du dodo pour l’extinction d’une espèce de Matteo Berardone (2023). Les images de l’oiseau dodo de la Renaissance se mêlent à des figures futuristes en partie humaines, ce qui peut relier l’évolution de l’humanité à l’extinction du l’espèce. Ailleurs au premier étage, on trouve des combinaisons tout aussi déconcertantes : marbre et terre (The Song of the Void d’Amir Roti), ou le GIF et la machinerie industrielle (Lumen d’A.L. Crego).

La matérialité de l’œuvre oscille entre organique et technologie. Chaque pièce multimédia trouve de nouvelles façons de subvertir ou de transformer ses matériaux. Germain Ipin agrandit le QR code aux proportions divines dans Semantic Shift #3 (2023). Et Joaquín Jara réinvente l’antiquité à travers la matière organique dans Ἐρυσίχθων (2023). L’œuvre est aux prises avec des allégories contemporaines, qui semblent impossibles à représenter dans un médium singulier, et laissent le passé s’infiltrer à travers elle. Diverses œuvres contiennent des motifs mythologiques ou religieux. L’Ἐρυσίχθων de Jara est à la fois historique et mythologique car il s’inspire des histoires d’Érysichthon et du roi Henri II. Il y a aussi les sculptures lumineuses de Gonzalo Borondo. Cristo gif (2021) la lumière clignote à travers des panneaux de plexiglass laissant apparaître des images d’une crucifixion.

Sa plus grande pièce Èter (2021) est une des vedettes de l’exposition. Des figures de l’antiquité sont gravées dans du verre éclairé par des LED verts. L’ambiance est futuriste mais les figures du passé demeurent. Cette atmosphère inquiétante, voir dérangeante est accentuée par les illusions d’optique. Borondo semble prophétiser une histoire cyborg, ou quelque chose de tout aussi dystopique.
Cet effondrement du temps s’étend sur les trois étages de l’exposition. Les artistes regardent en avant et en arrière pour créer le récit du présent, mais ils s’attardent aussi sur notre présent. Axel Void pousse notre existence numérique à l’extrême dans Social Room (2023) ; les spectateurs ne peuvent communiquer avec l’occupant de la salle qu’à travers le cyberespace. Elle semble questionner sur les liens entre les personnes dans un monde de plus en plus technologique.

La dichotomie entre échanges humains et technologie se manifeste parfaitement dans le travail de CELA, un collectif d’artistes français. Leur œuvre éphémère, presque méditative, commence et se termine dans SUPER TERRAM. L’artificiel se mêle à l’inconnu dans leur première partie Recollection Factory (2023). Les souvenirs individuels sont brouillés par des projecteurs éclairant des vaisseaux d’eau. Ces images forment des vagues au plafond : la mémoire semble plus collective avec la représentation de notre existence artificielle. Et l’exposition se termine avec leur pièce sonore Siren Song (2023). Construite à partir de matériaux métallique et de matériel d’enregistrement, la pièce est tout aussi technologique que le reste de l’exposition. L’eau s’égoutte sur des plaques de métal, le son est enregistré et l’eau filtrée grâce à ce dispositif. L’espace vibre de beaux sons fluides. Pour une exposition qui souligne cette incertitude contemporaine, Siren Song sonne comme une suspension du temps, un répit de la tech-dystopia. Sa voix organique chante à travers une série de filtres. Alors peut-être que la sirène ne fait que nous rapprocher de cet avenir artificiel ?

“Nous avons envie de reconnecter le public à des choses simples, via l’utilisation de matériaux bruts – du bois, de la terre, etc. Mais le numérique est un aspect incontournable de nos vies, on ne peut pas passer à côté. Pour moi, les intelligences artificielles sont les nouveaux êtres vivants. Elles sont organiques au sens où on ne les contrôle pas. À ce titre, le numérique est très présent dans l’exposition, ne serait-ce que comme un nouvel outil. Une partie des éclai- rages conçus par Travis Pupkin, notre concepteur lumière, sont pilotés par des IA. A.L. Crego utilise Internet comme un être vivant, même s’il est un hacker. Germain Ipin, lui, va questionner le sens du mot biométrie, qui désigne au départ la mesure de la vie, alors qu’il évoque aujourd’hui la data, la surveillance de masse. On veut détourner les codes actuels pour en faire autre chose.”
Entretien avec Gaël Lefeuvre, commissaire de l’exposition.
*La Fondation Desperados pour l’Art Urbain articule son action autour de deux missions: la promotion et la diffusion de l’art urbain dans l’ensemble de la société, et le soutien à la création artistique et l’accompagnement d’artistes émergents. Ancrée dans son histoire et tournée vers le futur, elle s’adresse à la fois aux artistes, aux acteurs de la scène artistique et au grand public avec liberté et sincérité. fondationdesperados.com

SUPER TERRAM
Jusqu’au 19 mars 2023
Commissariat : l’artiste-curateur Gaël Lefeuvre
Les artistes: Michael Beitz; Matteo Berardone; Gonzalo Borondo; CELA; A.L. Crego; Germain Ipin, Joaquín Jara; Amir Roti; Seth; Axel Void; Addam Yekutieli (aka Know Hope)
Espace Voltaire, 81 Boulevard Voltaire – 75011 Paris
Du 10 février au 19 mars 2023
(du mercredi au dimanche)
de 11h à 19h (dernières entrées 18h15)
Entrée libre et gratuite
🇬🇧 SUPER TERRAM, or “above ground” in English, blurs the lines of the terrifying and the meditative. The exhibition presents the work of eleven artists from a global stage. All the work was created in-situ at L’Espace Voltaire. Formerly a factory, the industrial atmosphere remains, but the space is transformed by mounds of dirt and dim lighting. It appears to be both a haunted house and biosphere, a juxtaposition between the sublime and the organic that carries throughout the entire exhibit. The artist-curator of the exhibit, Gaël Lefeuvre, presents the goal of this space clearly in the exhibit statement: “SUPER TERRAM…is presented as an allegory of our artificial contemporary lives in the loss of reference with Nature and the elements that constitute existence.” It’s certainty a difficult idea to capture, but the artists fully embrace the oddities of our artificial existence.
Organized by the Foundation Desperados pour l’Art Urbain, the exhibit displays work representative of the urban landscape. Lefeuvre previously curated exhibits within this niche and himself creates urban art, so there is a feeling of experience throughout the exhibit. When first entering the building, you are immediately confronted by the untraditional curation. The ground is soil, not the typical concrete floor. And it’s not a white-walled gallery but rather a dimly den. A montage of bizarre images confronts you on televisions nestled in dirt. They are Matteo Berardone’s 10 Rules of the Dodo for the Extinction of a Species (2023). Images of the dodo bird mix with futuristic partly human figures, which may relate mankind’s evolution to the dodo bird’s path of self-destructive isolation. Elsewhere on the first floor, there are similarly odd combinations: marble and soil (The Song of the Void by Amir Roti), or GIF and industrial machinery (Lumen by A.L. Crego).
The materiality of the artwork varies between organic and technologic. Each multi-media piece finds new ways to subvert or transform its materials. Germain Ipin enlarges the QR code to divine proportions in Semantic Shift #3 (2023). And Joaquín Jara reinvents antiquity through organic material in Ἐρυσίχθων (2023). The work grapples with contemporary allegories, which seem impossible to represent in a singular medium, and the past leaks into these allegories. Various works contain mythologic or religious motifs. Jara’s Ἐρυσίχθων is both historic and mythologic as it intwines the stories of Érysichthon and King Henry II. There’s also Gonzalo Borondo’s light sculptures. Cristo gif (2021) flashes light through plexiglass panels to create images of a skeleton crucifixion.
His larger piece Èter (2021) is a standout in the exhibition. Figures of antiquity are etched into glass lit by green LED. The atmosphere is futuristic, but the figures of the past remain. It’s eerie, even unsettling. Borondo seems to prophesize a cyborg history, or something equally dystopian. This collapse of time spans all three floors of the exhibition. The artists look forward and backward to create the narrative of the present, but they also dwell on our present. Axel Void takes our digital existence to an extreme in Social Room (2023); spectators can communicate with the occupant of the room only through cyberspace. It appears to question human exchange in an increasingly technologic world.
The dichotomy of human exchange and technology manifests itself best in the work of Cela, an artist collective from France. Their ephemeral, almost meditative work, begins and ends SUPER TERRAM. The artificial mixes with the unknown in their first piece Recollection Factory (2023). Individual memories are blurred by projectors illuminating vessels of water. These images form waves on the ceiling: memory seems more collective with the rise of our artificial existence. And the exhibit ends with their sound piece Siren Song (2023). Constructed from metal and recording equipment, the piece is equally technologic compared to the rest of the exhibit. Water drips on metal plates, which is recorded and filtered through equipment. The space vibrates with beautiful, flowing sounds. For an exhibit underlined by a contemporary uncertainty, Siren Song sounds like a respite from the tech-dystopia. Its organic voice sings out to us through a series of artificial filters. So perhaps the siren only beacons us closer to this artificial future.

