La Haine des Clans au musée de l’Armée
PAR BRUNO SOULIE
Dans la veine des 9’43 pour découvrir au galop une exposition, The Gaze of a Parisienne vous propose de visiter « La Haine des clans » au musée de l’Armée, sur les guerres de Religion. Il ne s’agit pas de s’inscrire dans la veine du Fast Fashion, en coup de vent, mais de présenter une exposition emblématique qui nous plonge dans les troubles des guerres de Religion.

Commençons par la Haine des Clans, un titre qui sent bon Game of Thrones. Par lui-même, on pourrait penser s’égarer dans un jeu vidéo. Il s’agit en fait de l’exposition qui s’inscrit dans le triptyque, Ecouen–Chantilly–Musée de l’Armée. Un thème fédérateur réunit ces expositions autour de la figure du connétable Anne de Montmorency, personnage-clé de cette période, ami d’enfance du roi François Ier et conseiller de trois rois François Ier, Henri II et Charles IX. Ses lieux emblématiques sont connus, Chantilly et Ecouen, ses résidences favorites en Ile-de-France. Les guerres de Religion sont sans doute un épisode oublié, complexe et incompréhensible pour nos contemporains vivant aujourd’hui dans une Europe sécularisée.

Pour la France de la Renaissance, c’est le demi-siècle du bruit et de la fureur, le théâtre des fêtes et de la cruauté. Le « massacre des Triumvirs » (celui d’Octave, de Marc Antoine et de Lépide en 43 avant J-C) rencontre un écho important dans les milieux intellectuels et artistiques. Dans un siècle féru d’humanisme, le texte de l’historien grec Appien (IIe siècle après J.-C.), Guerre des romains, traduit en 1544, décrit les proscriptions ordonnées à Rome en 43 avant J.-C. par le triumvirat d’Octave, Lépide et Antoine. Ce texte fut une source d’inspiration et de réflexion politique, philosophique et esthétique dans la seconde moitié du XVIème siècle, en résonance avec les troubles de l’époque. Le tableau « les Massacres du Triumvirat » (celui d’Octave, de Marc Antoine et de Lépide) de Hans Vredeman de Vries (1527-1604) et de Gillis Mostaert (1528-1598) (Tarbes, musée Massey) est l’illustration de ce thème en vogue. Période chargée de symboles, d’emblématique et d’héraldique, où naissent les premiers cabinets de curiosités, ancêtre de nos musées, et où le théâtre de la cruauté voisine avec celui des fêtes pour reprendre l’expression du critique Jean Herman, qui a consacré un ouvrage à Antoine Caron, le grand illustrateur de la période. Antoine Caron, qui fait l’objet de l’exposition à Ecouen, est au Musée de l’Armée, bien représenté, avec son dessin de la tenture de la reine Arthémise, où Catherine de Médicis apparaît en médaillon, reine pacificatrice qui tente de tenir les rênes d’un royaume en proie aux guerres de Religion.

L’exposition alterne les armures damasquinées, d’apparat ou de combat, de la noblesse, avec celle, ventrue et adaptée à son embonpoint, du « gros » Mayenne, le dernier Guise survivant. Mais il y a également les effets des grandes découvertes et la rencontre entre la civilisation européenne et les Amériques, avec la massue Tupinamba, « casse-tête » rapporté par l’explorateur André Thévet (1516-1592) qui a donné une description des Tupinamba dans sa relation de voyage.

A côté la très belle cosmographie universelle de Guillaume Le Testu (1556). Leur présence dans l’exposition s’explique par le parrainage de l’amiral Gaspard de Coligny, le chef protestant à l’origine de la colonie française de Rio-de-Janeiro et de la création de la France antarctique. Face au célèbre chef protestant, assassiné lors du prélude du massacre de la Saint-Barthélemy, vous pouvez visiter sa statue du Temple de l’Oratoire. Le monument en l’honneur de Coligny a été élevé en 1889 dans le contexte de la « guerre des statues » et du centenaire de la Révolution française. L’architecte Scellier de Gisors et le sculpteur Gustave Grauck sont les auteurs de cette œuvre monumentale (10 mètres de hauteur) en marbre blanc de Carrare.


(1519 1563), 1557 -Musée du Louvre
En contrepoint vous pouvez admirer les portraits des Guise, le cardinal de Lorraine (1524-1574), dans un portrait en pied attribué au Greco, qui s’inscrit dans la lignée des portraits de papes, celui de Léon X par Raphaël, celui de Paul III par le Titien ou celui d’Innocent X par Vélasquez. A côté le très beau portrait en émail de François de Guise, le chef des catholiques intransigeants, assassiné par le gentilhomme protestant Poltrot de Méré devant Orléans en 1563.
Les guerres de Religion sont la période phare des tentures et de la tapisserie, dont il reste quelques rares exemplaires complets. Précipitez-vous au musée d’Ecouen pour la Tenture des Valois, exposée au complet pour la première fois. Par un jeu de miroirs, les tentures du château d’Ecouen sont exposées au musée de l’Armée : la bataille de Saint-Denis (1567) et la bataille de Jarnac (1569) prêtées exceptionnellement par le musée national de la Renaissance pour l’exposition. De la tenture des noces du duc de Joyeuse, il ne reste qu’un relevé fait par Jean-Baptiste-Louis Carré en 1795, « les Tournois », illustrant la Tenture des noces du duc de Joyeuse, l’un des favoris du roi Henri III, dit « l’archi-mignon », avec Marguerite de Lorraine-Vaudémont, la demi-sœur de la reine de France, Louise de Lorraine en 1581. Peut-être une évocation du mariage apparaît-elle dans les tentures des Valois, avec le combat à la barrière et l’assaut d’un bastion en forme d’éléphant. L’exposition reconstitue d’ailleurs le dispositif du combat à la barrière, qui fait partie des spectacles incontournables des fêtes de cour. Avec les tournois, la prise de bastions, ces jeux militaires sont un élément de la fête et de la société de cour où la noblesse, catholique comme protestante, se réunit autour de valeurs communes. C’est également l’occasion de créer une scénographie qui célèbre le Souverain, avec de grands décors éphémères, des arcs de triomphe, des îles enchantées, des ballets et des textes de circonstance de ces tournois, conçus par des poètes et des artistes.

Pour conclure l’exposition, il est impossible de manquer le tableau de la Ligue, « la procession armée de la Ligue » (musée national du château de Pau). La Ligue parisienne, ligue populaire et non aristocratique, est constitutive d’un mouvement qui annonce, par certains traits, la Fronde ou la Révolution française. C’est ce qu’ont déjà pressenti Arlette Farge, avec sa « Révolution des curés (1588-1594) » et Elie Barnavi, avec son étude des chefs ligueurs parisiens. Car la Ligue a fort mauvaise réputation dans l’historiographie, toujours écrite par les vainqueurs. Or, ce sont eux qui ont inventé les « barricades », lors des journées de mai 1588 qui ont obligé Henri III à fuir sa capitale. Le tableau représente la procession de la Ligue à l’ouverture des Etats généraux censés élire un souverain catholique légitime. Dans ce climat d’exaltation politique et mystique, le clergé parisien défile le 4 février 1593, en armes dans les rues de la capitale.
Le thème de la procession de la Ligue est habilement exploité par la propagande hostile à la Ligue parisienne. Popularisé par les poètes de la « Satyre Ménippée » (1593), ce thème nourrit aussi toute une famille de peintures dont plusieurs éléments se retrouvent dans différents musées. Vous trouverez au musée Carnavalet un tableau similaire, la Procession de la Ligue sur l’île de la Cité, au sortir de Notre-Dame, tableau anonyme qui tourne en ridicule les chefs de la Ligue

L’autre tableau est celui de l’abjuration d’Henri IV dans la basilique Saint-Denis le 25 juillet 1593. Un anonyme du XVIème siècle recherche délibérément dans sa représentation la confusion avec le sacre, pour mieux asseoir la légitimité du nouveau roi. Cette conversion montre que la monarchie française reste fondée sur la catholicité. L’œuvre est une commande de la famille de Guise : étonnant renversement lorsque l’on sait que cette famille fut à la tête du mouvement ultra-catholique mais qui souligne le ralliement sincère à la nouvelle légitimité puisque le roi de France reste catholique.

La haine des clans
Jusqu’au 30 juillet 2023
Hôtel national des Invalides
129, rue de Grenelle – 75007 Paris 01 44 42 38 77
musee-armee.fr contact@musee-armee.fr
Commissariat musée de l’Armée-Invalides
Laëtitia Desserrières, chargée de la collection de dessins, département beaux-arts et patrimoine Christine Duvauchelle, chargée des collections d’archéologie et du Moyen- Orient, département Ancien Régime Olivier Renaudeau, conservateur en chef du patrimoine, chef du département Ancien Régime Morgane Varin, assistante, département Ancien Régime
Photo : Charles de Lorraine, duc de Mayenne
(1554-1611). Armure, vers 1580. Travail français. Paris, musée de l’Armée.


Un commentaire
christinenovalarue
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