Marc Desgrandchamps au Palais ducal de Dijon

Visite à deux voix de l’exposition « Silhouettes » au musée des Beaux-arts de Dijon par l’artiste Marc Desgrandchamps et la commissaire et directrice du musée Frederique Goerig Hergott. Ce musée est situé dans ce très beau palais ducal de la ville, c’est la première exposition organisée dans les nouvelles salles réaménagées pour ce style d’évènement.
Marc Desgrandchamps a fait ses études aux Beaux-Arts de Paris, il vit à Lyon depuis 1984. Il n’a que 25 ans lorsqu’il est invité à participer à une exposition collective à la Maison de la culture et de la communication (MCC) à Saint-Étienne Vincent CorpetMarc Desgrandchamps, Pierre Moignard.

Marc Desgrandchamps. Le Centaure incertain, 2022, huile sur toile, diptyque : 200 x 300 cm © Courtesy Galerie EIGEN + ART Leipzig/Berlin

La peinture avant tout

Tout l’inspire de l’Antiquité au cinéma, le souvenir d’un détail, d’une promenade, des émotions et est prétexte d’une peinture, les oeuvres exposées pour la plupart ont été créées après 2011. Cependant le premier diptyque qui ouvre cette exposition appartient au collections du Centre Pompidou et s’appelle Les Effigies, nous sommes en 1995, Marc Desgrandchamps est très sensibilisé par cette guerre en Europe dans les Balkans, une situation qui paraissait impensable après la chute du mur de Berlin, après un si long moment de paix. Ce tableau rappelle aussi l’actualité présente en Ukraine et montre la fragilité, l’incompréhension de la façon dont une situation peut basculer, des voisins qui s’entendent et du jour au lendemain oublient toute moralité, et se font la guerre froidement.

Marc Desgrandchamps avait alors lu ce livre de William Golding Sa Majesté des mouches, l’histoire d’un avion transportant des collégiens qui s’écrase sur une île, les adultes meurent tous, le vernis de l’éducation de ses enfants se dégrade très vite, et, commencent les guerres, sur cette ile il y a des cochons qu’ils tuent pour se nourrir tout en gardant leurs têtes devenant ainsi figures de proue de leurs totems.

“Ce tableau est une manière pour moi de manifester une forme de désarroi par rapport à ce qui se déroulait alors sans qu’il ne soit non plus dénonciateur, ce n’est pas une représentation des guerres qui ont lieu en ce temps là, c’est plutôt un écho, des impressions ressenties, il n’y a pas de volonté dans le sens de représentation manifeste, c’est plutôt un état des choses qui se reflète à la surface de la toile, c’est souvent comme cela que je travaille “

Marc Desgrandchamps

Dans sa peinture, il y a cette permanence du choix d’un seul tableau en plusieurs panneaux, qui accentue le fait de nous raconter une histoire avec toujours cette lumière méditerranéenne , le ciel bleu uniforme, juste quelques nuages très légers qui contrastent avec la nature, avec souvent des montagnes à l’horizon, les personnages sont en transparence. L’artiste retranscrit des images ancrées dans sa mémoire qu’il réinterprète à sa façon.

Visite de l’exposition avec l’artiste et Frédérique Goerig Hergott – Marc Desgrandchamps A gauche : Les Lettres, huile sur toile, 200 x 150 cm © Courtesy Galerie EIGEN + ART Leipzig/Berlin et à droite : Sans titre, 2020, huile sur toile,
diptyque : 200 x 300 cm. Musée des Beaux-Arts de Dijon

Dans sa peinture, rien n’est certain, parfois une idée précise est le point de départ mais pas toujours Le Centaure incertain, avec ce personnage central comme une sculpture et des éléments qui resurgissent en référence à l’histoire de l’art et cet élément insolite comme ici le sac jaune “smiley”, un corps qui se baisse, des pattes de cheval incongrues.

Un matin du temps de paix L’artiste écoute beaucoup la radio, le tableau représente une image paisible qui montre tout ce qui a été perdu, une femme avec son smartphone tout en transparence avec une certaine ambiguïté sur ce qu’elle fait, seule une barque avec à l’intérieur deux personnages est très nette, Marc Desgrandchamps s’est inspiré de ce film de Chris Marker La jetée composé uniquement à partir de photographies et une voix off qui raconte la dystopie d’un Paris détruit par la guerre nucléaire. Présence et absence, cohérence et incohérence c’est tout à la fois qui apparait sur cette toile qui déstabilise le regardeur.

Les personnages sont souvent cernés d’une aura blanche qui accentue les effets de perspective.

Une histoire de la peinture

Un film d’Antonioni, Blow-up , le déjeuner sur l’herbe de Manet, Piero della Francesca, les Mod’s, les souvenirs, la correspondance émouvante du fiancé de sa mère mort à la guerre, l’actualité, l’absurdité d’une guerre , autant d’éléments qu’il retranscrit avec la matière : la peinture. A la fois une peinture affirmée et toujours cette incertitude de la situation . 

Sensibilité abstraite

« Mon attention à la forme passe par cette sensibilité abstraite »

Marc Desgrandchamps

Acquisitions du musée

La reconstitution de l’espace peint par Piero della Francesca dans la célèbre Flagellation du Christ (vers 1460) est une nouvelle oeuvre de l’artiste pour le musée avec cette référence évidente à la renaissance italienne, la perspective mais aussi une référence contemporaine au confinement avec cette petite silhouette qu’on aperçoit à la fenêtre. Autre époque, 1962, autre allure celle des Mod’s (modernistes), ces jeunes anglais de milieux modestes veulent la modernité dans la mode, comme dans la musique, les Who en sont issus directement. Leur sigle est la cocarde de la RAF, comme une cible. Marc Desgrandchamp a représenté ce jeune Mod’s avec son visage masqué par un ovale noir, autre marque du peintre, ce masque on le retrouve dans le dernier tableau mais différemment. On retrouve l’expression de ce mouvement culturel dans Blowup d’Antonioni , ce photographe de mode qui photographie un couple dans un parc, sans s’apercevoir sur le moment qu’il photographie un meurtre . Ce tableau est un don de l’artiste au musée, il représente un monde perdu même si il reste les photos, disques… il évoque cette histoire qui a fasciné l’artiste et est aussi un hommage au pop art.

Le mythe de l’histoire de la peinture

Toutes ces peintures de Marc Desgrandchamps sont souvent sans titre, troublantes, tout est fait pour que rien ne soit une évidence. Il faut se laisser bercer dans cette contemplation et laisser l’histoire, les références se manifester à nos yeux et nos émotions. Les Lettres, sont pour moi une parfaite synthèse de tous ces sentiments, l’histoire de la mère du peintre qui a perdu son fiancé à la guerre et qui a conservé toutes ses lettres est très émouvante. Marc Desgrandchamps ne l’a découverte que très tard, elle fait référence à l’histoire de la peinture, la silhouette de la fiancée, seul souvenir gardé par le soldat parti à la guerre est l’histoire racontée dans le récit de Pline l’Ancien et considéré comme le mythe fondateur de la peinture. Pour info ce tableau est très convoité par la directrice des lieux !

Le choix des peintures a été fait par les deux commissaires Frédérique Goerig Hergott et Pauline Nobécourt commissaire associée aux deux expositions toutes deux différentes consacrées à l’artiste à Dijon et au musée d’art contemporain de Marseille, cette dernière a fait une thèse sur Marc Desgrandchamps et l’influence du cinéma et de la littérature sur son oeuvre,

La suite à côté, Hôtel Lantin, musée Magnin

Vue de l’exposition Dia-logues du musée Magnin

Juste à côté se trouve le musée Magnin, dans cet hôtel Lantin du 17e siècle, où se trouve la collection du frère et de la sœur, Maurice et Jeanne Magnin, le résultat d’acquisitions de toute une vie, chinée principalement dans les ventes aux enchères. Des estampes de Marc Desgrandschamps réalisées dans les ateliers de Michael Woolworth sont installées dans cet univers si particulier.  

Marc Desgranchamps – Silhouettes

Exposition jusqu’au 28 août, entrée libre et gratuite. 

Commissariat de l’exposition Musée des Beaux-Arts de Dijon :

Pauline Nobécourt, historienne de l’art.

Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef et directrice des musées de Dijon.

Catalogue de l’exposition

Edition Skira – bilingue en français et en anglais

Dia-logues Musée Magnin 

Jusqu’au 28 août 2023

Commissariat : Sophie Harent, conservateur en chef, directeur du musée Magnin

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