Alexei Jawlensky à la Neue Galerie de New-York – une figure emblématique de l’expressionnisme russe chez Ronald S. Lauder.
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Alexei Jawlensky figure emblématique de l’expressionnisme russe chez Ronald S. Lauder.
C’est avec beaucoup d’impatience que j’attendais l’exposition monographique d’Alexei Jawlensky à la Neue Galerie de New-York.

En mars 2012, je découvrais presque par hasard cette figure emblématique du Der Blaue Reiter lors de l’exposition EXPRESSIONISMUS & EXPRESSIONISMI à la Pinacothèque de Paris, aujourd’hui disparue.

Depuis quelques mois je ne cesse de me rendre à la Neue Galerie, ce musée fantastique consacré à l’art allemand et viennois – fondé par Ronald S.Lauder.
Ma passion pour les musées née d’initiatives privées, redouble mon enthousiasme. Il est intéressant de voir comment ces derniers décident d’aborder leurs expositions.
Jusqu’alors seuls étaient visibles les portraits d’Adele Bloch-Bauer par Gustav Klimt : Portrait of Adele Bloch-Bauer I 1907 & Portrait of Adele Bloch-Bauer II 1912. Ces portraits sont captivants de par leur réalisation hors du commun mais aussi par leurs histoires respectives. Receptacles d’une suite d’événements tumultueux et délicats, ces portraits nous envoûtent dans un ailleurs. Cet ailleurs c’est celui d’une femme du début du XXème siècle, une femme de l’âge d’or vue par Klimt – qui plus jamais ne reproduira deux fois la même personne. Le lieu est féerique, cette maison sur la Vème Avenue au plein coeur du museum Miles est un voyage dans un autre temps…

Neue Galerie New York. Acquired through the generosity of Ronald S. Lauder, the heirs of the Estates of Ferdinand and Adele Bloch-Bauer, and the Estée Lauder Fund

L’exposition d’Alexei Jawlensky (1864-1961) est la première retrospective muséale aux Etats-Unis entièrement dédiée à cet artiste de l’expressionnisme russe. Elle tente de donner une vision globale et complète de l’oeuvre de cet artiste de l’avant-garde qui participera aux nombreux développement de l’expressionnisme et de l’abstraction. L’originalité de l’exposition réside dans le choix des oeuvres et de leurs provenances. En effet, c’est avec surprise que nous découvrons que le musée ne dispose d’aucune oeuvre de Jawlensky dans sa collection. Elle contient environ 75 oeuvres des années 1900 à 1937. La plupart des oeuvres sont issus de collections privées ce qui renforce le caractère insolite de cette exposition. La directrice du musée Renée Price raconte également avec amusement que deux des oeuvres exposées ont été rajoutées quelques jours avant l’ouverture de l’exposition. En effet, des collectionneurs ont découvert l’existence de cette future exposition dans un article l’annonçant et ont contacté l’institution afin de proposer de prêter leurs oeuvres – anecdotes amusantes, anecdotes vivantes. D’un point de vue curatorial, toutes les oeuvres n’ont pas pu être acceptées.
Néanmoins en temps que française – légèrement en mal du pays – je me réjouis de voir que l’image officielle de l’exposition est celle de la femme byzantine, l’unique oeuvre en provenance de France. Cette toile a été prêtée par le Centre Pompidou pour l’occasion. Quelle fierté !

L’exposition est à la fois thématique et chronologique. Elle est divisée en 4 salles, la première rassemble des portraits dans la veine de Vincent Van Gogh mais aussi d’Henri Matisse. Je suis fascinée par la beauté et la puissance de la femme au turban “Helene with colored Turban” de 1910. J’admire la posture de cette femme et son turban. Cette toile me rappelle fortement les oeuvres de Matisse, en raison de ces couleurs mais aussi dans le traitement de ce thème. Il s’agit en réalité de la femme d’Alexei Jawlensky. Aussi, je remarque que cette toile a la particularité d’être la seule signée en haut à gauche… Cette oeuvre appartient au Solomon R. Guggenheim Museum de New-York. Il est intéressant de le préciser, car peu de visiteurs ne semblent s’intéresser à la collection permanente de cette institution. Ils sont davantage préoccupés par le cadre de ce musée. En réalité, son architecture est fantastique et les expositions temporaires de grande envergure font souvent défaut à la collection.

De nombreux paysages sont aussi présentés dans cette première salle, c’est un feu d’artifice de couleurs. On aime l’accrochage original d’un tableau peint sur les deux faces, d’un côté on y voit un portrait et de l’autre un paysage déboussolant. J’aime aussi le tableau de cette Jeune fille à la figure verte, qui me rappelle inévitablement Jeune Fille au noeud Rouge de la même année 1910 qui m’avait fortement marqué lors de ma visite à la pinacothèque.
La seconde galerie est l’histoire de multiples voyages comme celui de Bordighera. C’est aussi un voyage dans la solitude. En effet, cette période semble être un moment d’introspection pour l’artiste qui explore la couleur et la matière. C’est une salle très colorée, il semblerait que les variations chromatiques soient au coeur de ses préoccupations.
L’avant dernière galerie est consacrée aux portraits, des portraits propres à Jawlensky. Je suis captivée par ces visages aux formes simples, ces visages géométriques pourtant si expressifs. L’accrochage est sublime – les portraits s’enchainent les uns avec les autres – une réelle communication existe entre ces derniers. Ils se ressemblent tous, tout en se différenciant ; c’est de toute beauté. L’identique semble, en réalité, si proche de son opposé. Les couleurs utilisées sont touchantes et harmonieuses. Une croix orthodoxe se laisse deviner dans ces portraits. Certains y voient un apaisement, Jawlensky s’intéressait à la pratique du Yoga, surprenant à son époque. La couleur des murs est en parfaite harmonie avec ces petits formats aux couleurs multiples. Je ne peux cesser de contempler ces portraits abstraits.
Sur un autre mur, sont accrochés des portraits beaucoup plus réalistes; des femmes de toutes les civilisations y sont représentées. On y voit une femme d’Asie, une femme égyptienne, une femme byzantine, une femme espagnole aux yeux fermées, une femme à la poupée, une femme à l’éventail vert, le portrait de Sacharoff et un jardinier. C’est très amusant, très vivant. Ces portraits sont très expressifs, ils nous parlent, nous interpellent. Une réelle communication s’instaure entre ces derniers et les visiteurs.
La dernière salle est synonyme de beauté – c’est l’apogée. Par cette dernière “rencontre”intime, un vrai dialogue spirituel s’instaure avec l’artiste. Cette dernière galerie invite à la compréhension la plus profonde de son oeuvre mais aussi de sa personne. La contemplation des dessins de très petits formats – tous issus de collections privées pour la plupart – se fait accompagner d’un air que Jawlensky écoutait souvent. Une réelle communion se ressent. Cette salle est aussi troublante par la nature des oeuvres – oeuvres qu’il composa durant ses dernières années alors atteint d’une paralysie – que par sa scénographie. Il s’agit d’une petite salle rectangulaire à la couleur ocre, elle s’apparent à un petit écrin de velours. Les oeuvres sont beaucoup plus troublantes, la touche est très prononcée. Les visages sont uniquement formés de larges lignes verticales et horizontales très appuyées. Le travail sur la matière est également très fort, les lignes sont bien visibles. Ces petits portraits, pour la plupart intitulés Méditation, nous font penser aux masques africains dédiés aux rituels. Ces dernières toiles ont un côté mystique. La palette de couleurs utilisées est beaucoup plus sombre, ce qui renforce la puissance chromatique de ces petits portraits. Quelques natures mortes se confondent dans la masse ; elles aussi sont vivantes et s’apparentent presque à des portraits. La nature est vivante … quasi humaine. Je suis particulièrement touchée par une nature morte aux couleurs légèrement plus gaies, j’aime les annotations faites en cyrillique au crayon à papier.
Cette salle nous rappelle l’importance et l’influence de la religion dans le travail du peintre. Angelica Jawlensky Bianconi rappelle que la peinture est pour lui un besoin qui lui permet de créer du “spirituel”. Son dialogue intérieur avec Dieu se comprend par ses “Méditations”. C’est un moyen de communiquer avec Dieu, le père et le créateur de l’infini avec lequel il décide de “fusionner son âme”. Sa petite fille dit avec fierté qu’aucun artiste de son temps n’est allé aussi loin que lui dans cette spiritualité.

C’est à la fois l’histoire d’une vie mais aussi d’un courant artistique que cette exposition tente de narrater. L’expressionnisme russe est un thème peu souvent abordé; rarement comprit. Cette exposition est splendide de par son thème et son traitement. On adore la frise chronologique qui met en perspective la vie de Jawlensky et le différents événements historiques qui ont marqués cette période – aussi nombreux soient-ils.
Le travail de Jawlensky est peu connu aux Etats-Unis contrairement à l’Europe. Il est néanmoins intéressant de souligner que plus de 200 haies sur toiles de Jawlensky appartiennent à des collections américaines, bien qu’il n’était pas présenté à l’exposition internationale d’Art Moderne (Armory Show) à New-York en 1913. Arthur Jerome Eddy (1859-1920) était un des premiers américain à collectionner son travail avec celui de Paul Klee, Franz Marc, Gabriele Münter et un des premiers à faire l’acquisition d’un Kandinsky (après Alfred Stieglitz). Cette exposition réouvre le débat sur son appartenance artistique. Jawlensky est-il un peintre de l’expressionnisme allemand ou est-il un artiste russe qui a vécu en Suisse et en Allemagne?
On salue le travail admirable de la commissaire invitée Vivian Endicott Barnett – experte de Kandinsky et de Jawlensky – et la participation d’Angelica Jawlensky Bianconi, aileul de l’artiste. Cette exposition a aussi pour vocation de rendre hommage à Serge Sabarsky, co-fondateur de la Neue Galerie, qui le considérait comme un des ces artistes favoris. Le travail de Jawlensky est souvent rapproché de celui de Kandinsky en raison de leurs origines communes certainement mais aussi en raison de leur temps commun passé à Murnau en 1908.
Cette exposition est également l’occasion pour Ronald S. Lauder de renouveler son admiration pour Kandinsky et de rappeler la présence de deux toiles dans sa collection. Les oeuvres de Kandinsky semblent être des pièces maitresses dans les collections de ces collectionneurs privés/publics du XXIème siècle. Ernst Beyeler ne cessait de rappeler l’importance des toiles de Kandinsky dans sa collection, d’ailleurs Improvisation 10 est considérée comme la “pierre angulaire” de sa Collection et comme l’origine même de la constitution de sa collection. Œuvre préférée d’Ernst Beyeler, celle-ci connut un parcours mouvementé. Le marchand en fit l’acquisition en 1955 au prix de 18 000 francs suisses, après plus de deux années de négociations auprès de Ferdinand Möller, un marchand d’art de Berlin alors installé à Cologne. Longuement exposée à la Galerie sans trouver d’acheteur, elle fut finalement vendue en 1953 au prix de 28 000 francs suisses. Quelques années plus tard, Beyeler racheta l’œuvre à l’acheteur qui éprouvait des difficultés financières. Son prix avait de nouveau doublé en raison de la première envolée des prix de l’art moderne. Improvisation 10 fut alors définitivement sortie du fonds de la Galerie pour rejoindre la maison des Beyeler. Le parcours de cette œuvre témoigne de la concomitance entre la figure du collectionneur et celle du marchand. Elle illustre comment les différents visages de Beyeler s’imposent par intermittence et ne deviennent qu’un.
Reinhold Holh peut ainsi écrire : « c’est en effet cette toile qui fit jadis du jeune galeriste un collectionneur, puis du collectionneur convaincu un grand marchand d’art, et finalement du marchand d’art opiniâtre un grand collectionneur»

J’adresse mes remerciements les plus sincères à Rebecca Lewis pour sa formidable visite.
Emilie Julie Renault
Neue Galerie New-York
1048 5th Avenue (at 86th Street)
Du 16 Février au 29 Mai 2017.

