Mircea Cantor, le feu sacré

Pour L’artiste Roumain Mircea Cantor (Prix Marcel Duchamp 2011), peu importe le lieu d’où l’on vient, “vivre sur la terre, c’est cela qui compte“; et je le crois volontiers tant ses références sont universelles. Ses créations se nourrissent de réflexions spirituelles, culturelles, sociologiques, de traditions historiques autant que d’actualités… tout l’intéresse! En regardant les oeuvres présentées, l’ambivalence est frappante: derrière une esthétique gracieuse et poétique, Mircea Cantor exprime avec force ses questionnements sur l’essence de l’Humain et le monde qu’il fabrique autour de lui. Son oeuvre polymorphe foisonne de créativité, ses représentations très visuelles et imagées sont des métaphores qui interpellent par leur forme, séduisent par leur beauté et prennent tout leur sens lorsque l’on en saisit le message.

C’est Helene Nguyen-Ban, fondatrice de la VNH Gallery* à paris, qui reçoit, ce soir, le groupe de collectionneurs Londonien Spirit now!* pour une rencontre privée avec Mircea Cantor. Avec passion, l’Artiste nous emmène au coeur de ses oeuvres. Son travail parle de frontières, d’immigration, d’identité, du feu créateur, de la condition humaine.

Créer un lien émotionnel avec le spectateur est le début de l’histoire..
“En tant qu’Artiste mon intention est,tout d’abord, de susciter une émotion forte chez le visiteur qui entre dans l’exposition “. Mircea Cantor
C’est exactement ce que j’ai ressenti devant une video étonnante,”Deeparture“(2006). Elle met en scène un étrange face à face entre un loup et un daim dans un salle blanche fermée. Le prédateur et la proie, jeu d’approches et d’esquives… la tension monte. L’artiste commente :” Le danger ne vient pas de celui que l’on croit. Le loup est un animal qui chasse en meute, seul, il est désorienté, alors que le daim est conditionné pour se défendre, lorsqu’il a peur“. Cantor ne cherche pas à faire un documentaire sur la réalité, par ces images, il veut exprimer l’idée de la Tension. Comme ces animaux sauvages, les hommes se rencontrent, s’observent, se jaugent, s’évaluent en permanence.. Ils vivent cette tension de découvrir quelles sont les intentions des autres, de prévoir l’imprévisible. Ils créent ainsi une frontière invisible pour se protéger les uns des autres.

J’ai été captivée par la beauté de l’image, à la fois abstraite, dans ce lieu nu et silencieux , mais aussi tellement vivante, avec des plan serrés sur les regards, les sensations vivaces de peur et de doute.
Le rêve d’un monde sans frontières…
Il nous raconte qu’en 1999, se rendant pour la première fois aux USA pour une exposition collective, on lui refuse l’entrée dans le territoire américain par peur des immigrés. C’est sa première expérience concrète d’une frontière, et de son identification par empreintes digitales. Il devient obsédé par ce motif. Cantor crée des barbelés à l’encre, fait uniquement avec ses propres empreintes digitales, pour illustrer les “barrières” à l’entrée des pays et l’invasion des nouvelles technologies dans l’identité de chacun. Il compose ainsi Chaplet, en 2007 en noir et blanc, ou encore Rainbow en 2011… après la pluie le beau temps, une utopie où l’arc en ciel joyeux forme un pont d’alliance qui s’oppose aux frontières de barbelés. Conçue pour son exposition en Israel, Rainbow prend un sens tout particulier, dans cette zone séparée par le mur de la honte.
“The world belongs to those who set it on fire”
C’est le nom de la série de cartes & mappemondes faites à la fumée de bougie, mais également un thème récurrent chez l’Artiste. Pour lui, le feu n’est pas signe de destruction, il est au contrainte un symbole de la création. Qu’il soit mèches de dynamite venant embraser “La Porte de l’Enfer“ de Rodin , le dessin d’un cerveau –Zera ou la Tour Eiffel- hommage aux morts des attentats parisiens de 2015; qu’il soit fumée de bougie se déposant sur le papier pour dessiner les territoires du monde, qu’il soit étincelle vibrante passant de main en main , le feu est cette source d’énergie vivante qui éveille et révèle.

Le feu est au coeur d’une video époustouflante de beauté, “Sic Transit Gloria Mundi” (2012). Le nom provient d’un rituel religieux catholique durant lequel, chaque nouveau pape, reçevait une mèche enflammée avec ces paroles “Ainsi passe la Gloire du Monde”.
Dans son film, M.Cantor créé à son tour un rituel, où le feu sacré est allumé par une superbe vestale asiatique. Il passe de main en main, d’un mendiant à l’autre, suivant la longue mèche de dynamite . Lorsque le tour des mendiants formant un cercle est achevé, ce feu revient à la belle prêtresse qui l’éteint. Un video onirique, mystique, hypnotique qui s’empare de nous. Impossible pour moi de détacher les yeux de cette flamme mystérieuse. Mais pourquoi des mendiants? “La condition du mendiant nous définit tous“, explique l’Artiste. ” Depuis sa naissance, l’homme est en position de quémandeur: dès qu’il y a l’expression d’un désir, dès qu’il demande quelque chose, dans chacune de ses prières,… il est un mendiant“.

Tellement d’autres choses à découvrir dans son travail multiforme : sculptures d’épingles à nourrice en or, en forme d’ADN , montant jusqu’au ciel (“Epic Fountains”), armes à feu transformées en tableaux, construction architecturale construite en bois sans un clou (Basilique de Saint Pierre de Rome) etc.. En particulier, j’ai beaucoup aimé la vivacité de son trait de dessinateur. Mircea Cantor a reçu, au départ, une formation classique de dessin. Pour lui, c’est une seconde nature. Il pratique le dessin quotidiennement, comme un entrainement. En résultent, une série de croquis sur les articles qui l’intéressent dans The Economist, des esquisses infiniment poétiques sur la maternité (livre Bellum & Maternitas), les plantes etc..

Je suis attirée par une photo “Unpredicteble Future”. “Je l’ai offerte à ma femme pour notre mariage!” confie -t-il. Le Futur est imprévisible, heureusement, c’est ce qui fait le sel de la vie. Imprévisible, est l’Art aussi…c’est toute la beauté de la chose!

Le travail de Mircea Cantor mérite que l’on s’y arrête pour découvrir, derrière l’aspect esthétique très poétique, le sens de ses créations. On y trouve alors une réflexion profonde et passionnante, un regard pointu, éclairé, qui questionne les grands enjeux humains d’aujourd’hui et poursuit sa quête d’universel.
Caroline d’Esneval
Plus d’info * :
*Spirit now! London: Marie-Laure de Clermont-Tonnerre Anne-Pierre d’Albis-Ganem ont fondé Spirit now! à Londres pour offrir, à un groupe d’amis et collectionneurs passionnés d’Art, un programme haut de gamme de conférences et visites privées. Y interviennent des personnalités renommées de la scène artistique internationale . http://www.spiritnowlondon.com/
*VNH Gallery à Paris: Créée par Helene Nguyen-Ban et Victoire de Pourtalès, la galerie parisienne expose une très belle sélection d’artistes contemporains Internationaux, dans leur magnifique espace. Au 108 rue Vieille du Temple – 75003 Paris /+33185094321. http://www.vnhgallery.com/fr/

