Napoléon à la Villette, le style et l’Empire
“Napoléon part à la conquête du XXIe siècle. Chateaubriand l’avait prédit : ” Vivant, il a manqué le monde, mort il le possède.”
Extrait de la préface du catalogue de l’exposition par Jean Tulard

« Napoléon» starifié à nouveau, son nom en toutes lettres inscrit sur la façade de la Grande Halle pour la méga-exposition de La Villette.
Un lieu étrange pour l’empereur, pourrait-on penser ? Et pourtant en y réfléchissant quoi de mieux qu’un lieu si contemporain pour celui qui a su si bien utiliser l’image et la propagande avec les moyens de son époque ! C’est aussi un lieu qui doit être à la démesure du personnage. De ce point de vue, le mythe, au-delà de l’histoire, fonctionne à plein.
Plusieurs institutions se sont réunies autour de cette exposition commémorative du bicentenaire de la mort de Napoléon : Le Louvre , Versailles, la Malmaison, Fontainebleau, le Musée de la Légion d’Honneur avec le concours de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage.

Six commissaires ont travaillé sur le sujet. L’exposition ne vise pas à célébrer mais à commémorer, à présenter l’homme mais aussi sa trace dans l’histoire de France, celle de l’Europe et du Monde puisque l’Amérique latine lui doit son émancipation et que la ruée vers l’Ouest de la jeune république américaine doit tout à la vente de la Louisiane en 1803. L’influence du Consulat et de l’Empire sur la société, le nouveau style décoratif introduit par l’Empire, mais aussi les ombres et les lumières sont représentés dans le parcours muséographique (le rétablissement de l’esclavage ou le rôle de la femme dans la société impériale). Les Français d’aujourd’hui l’ignorent (la période impériale s’étant malheureusement petit à petit effacée dans les manuels scolaires) mais nous vivons dans les habits de l’Empire. Cette exposition est donc bienvenue pour nous rappeler notre héritage et la modernité de Napoléon.

Un enfant des Lumières
J’apprends que le jeune Bonaparte se pensait plus champenois que corse , car élevé depuis l’âge de 9 ans à Brienne.
il s’intéresse très jeune non seulement à la vie politique, aux campagnes militaires mais aussi à la philosophie, les sciences naturelles. C’est un enfant studieux et curieux d’apprendre. C’est aussi un enfant du siècle, du 18ème siècle, éduqué par les Lumières, et un déraciné. Né en Corse qui vient d’être annexée par la France par traité avec la République de Gênes, le jeune Bonaparte, à l’instar de ces fils de chefs de tribus conquises par Rome, franchit la Méditerranée, quitte sa famille et sa patrie, pour découvrir le collège militaire de Brienne. Né en Corse, il vit cet exil comme un déracinement, se sent étranger en France et la légende noire n’aura de cesse de le présenter comme « l’Ogre corse ».
Abel Gance
L’exposition commence par l’iconique film d’Abel Gance, un film de toute une vie consacré à Bonaparte (1927) et qui se conclut sur le début de sa campagne victorieuse en Italie (1796). La scène d’ouverture est précisément celle de la bataille de boules de neige à Brienne, où le jeune Bonaparte découvre la neige et la stratégie.
Jean Tulard, membre de l’Institut, et grand historien spécialiste du Consulat et de l’Empire, sous le patronage duquel est placé l’exposition, a toujours eu le goût de décloisonner les spécialités. En particulier, sa cinéphilie, qui l’a conduit jusqu’au conseil d’administration de la Cinémathèque, est à l’origine de sa rencontre avec Abel Gance, une pure amitié, en 1967. Cette amitié explique également l’attention avec laquelle il suit la restauration du film, sous la direction de Georges Mourier et de la Cinémathèque française, prévue pour fin 2021 , avec le mécénat de Netflix. Jean Tulard a aussi présenté le Napoléon d’Abel Gance projeté à l’Opéra Bastille par tiers sur trois grands écrans, selon la technologie de la « polyvision » inventée par le cinéaste. Abel Gance, lui-même révolutionnaire dans les techniques du cinéma, qui lui dédicace son « Napoléon Bonaparte vu par Abel Gance ».
Abel Gance
« À Jean Tulard. Je ne conserve pas beaucoup d’amis mais je suis certain de conserver celui-là, affectueusement »
Portraits par Gros, David, Ingres
Les portraits de Bonaparte puis de Napoléon vont se suivre : Napoléon Bonaparte a compris très vite l’importance de l’image, de la représentation et les plus grands peintres de l’époque ont réalisé ses portraits , le mettant en scène dans ses différentes attitudes, conquérant, législateur, jurisconsulte et même thaumaturge avec les Pestiférés de Jaffa, de Gros, magnifique manifeste de religion laïque, célébrant le général révolutionnaire guérisseur de la peste et tableau de contre-propagande contre la légende noire (l’accusant d’avoir empoisonné les soldats pestiférés).
Il est le héros , tel qu’on l’imagine ce portrait de Antoine-Jean Gros en 1796, splendide et éclatant de lumière et de charisme. Le visage du jeune général à Arcole est très séduisant et quelle allure ! Cheveux au vent, étendard déployé, sabre à la main et sorti de son fourreau, à la tête de ses hommes, conduisant la charge sur le pont d’Arcole. Bonaparte a déjà un avant-goût de héros romantique. A la vision de ce tableau, on pense aux mots d’Alfred de Vigny, dans Grandeur et Servitudes militaires, « J’appartiens à cette génération née avec le siècle, qui, nourrie de bulletins par l’Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue et vint la reprendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons. »
L’étendard vole dans le vent, les étoffes sont luxueuses, le noeud de la ceinture est savamment mis en valeur, quand on voit la taille de la ceinture on a du mal à imaginer la tenue du vêtement. Dans cette composition tout laisse croire à un avenir extraordinaire.

Une dynastie d’ébénistes : les Jacob

Les arts décoratifs se déchaînent, une ouverture pour la nouvelle génération d’artistes se profile.
Un nouveau style retour d’Egypte apparaît avec les Jacob-Desmalter, le père avait déjà œuvré sous Louis XVI. Trois générations d’ébénistes se succèderont jusqu’au Second Empire, le dernier Georges Alphonse Jacob-Desmalter cédera l’affaire à la Maison Jeanselme. Sa fille, dont la mère était la fille de l’architecte Ballu, se mariera avec le mécène des impressionnistes, Henri Rouart, et sera la belle-mère de la fille de Berthe Morisot, Julie Manet. On pourrait continuer ainsi jusqu’à l’académicien Jean-Marie Rouart dont le père Augustin Rouart, peintre lui aussi, est exposé en ce moment au Petit Palais.

Le style Empire
Bonaparte fait appel aux architectes Percier et Fontaine, les inspirateurs du style Empire, à qui il confie les grands projets d’architecture et les décorations intérieures des palais de Malmaison, Saint-Cloud, Compiègne et Fontainebleau. Ils sont à l’origine du “style Empire” qui reprend les codes néoclassiques en s’inspirant de l’Antiquité. C’est le règle des bois lourds, de l’acajou, massif ou en placage, avec des fantaisies de bois clairs pour éviter les meubles trop sombres. Les décors sont inspirés de l’Egypte ancienne, des Etrusques ou du gréco-romain. La mythologie voisine avec les motifs guerriers (flèches, casques, glaives, boucliers, carquois). Les socles sont à base de pieds à griffes de lion. Les montants des meubles sont décorés par des têtes de sphinges ou des cariatides. Le bronzier et l’orfèvre sont rois : leur art des décisif dans la réalisation du chef d’oeuvre que constitue le berceau du roi de Rome, oeuvre dessinée par le peintre Prud’hon, exécuté par l’orfèvre Odiot, assisté par le bronzier Thomire. Ils réalisent une réplique de ce berceau du Roi de Rome en bois précieux et bronze doré, exposé à la Villette, le berceau original, en argent doré et or, se trouvant à la Schatzkammer de Vienne.

Martin-Guillaume Biennais est l’autre grand orfèvre du règne : il crée la décoration des insignes du sacre de Napoléon et le collier de la Légion d’honneur. A Malmaison, Joséphine impose un style féminin plus léger.

La pierre de Rosette
La campagne d’Egypte a lancé la mode de l’égyptomanie dans les arts décoratifs, elle est aussi une expédition scientifique et a permis la redécouverte de l’Egypte antique, avec la publication de la Description de l’Egypte par l’Institut. L’expédition a permis la redécouverte de la pierre de Rosette qui permettra à Champolllion de déchiffrer les mystérieux hiéroglyphes.

Créer une dynastie
1802 est la date de la signature de la paix d’Amiens qui met fin à la guerre avec l’Angleterre mais aussi celle de la peinture emblématique de David, Bonaparte, premier consul , franchissant le Grand Saint Bernard, le 20 mai 1800 sur un cheval blanc qui est un mythe car apparemment il était sur un mulet ! Grandiose oeuvre de propagande qui fait de Bonaparte l’égal des grands capitaines, Hannibal et Charlemagne. Il s’agit pourtant d’une oeuvre de commande, non de Bonaparte, mais du roi d’Espagne, Charles IV. Ce portrait équestre existe en plusieurs versions , deux à Versailles, l’autre à Malmaison, mais également une à Berlin (château de Charlottenburg emmenée dans les bagages de Blücher) et la dernière à Vienne. La couleur rouge de la cape qui suit le mouvement, le fond nuageux en camaïeu de beige fait ressortir encore plus la grandeur du Premier Consul. Le tableau est extraordinaire et comme celui du sacre, il est gravé dans la mémoire collective, on peut dire que le contrat de communication de David est largement rempli.

Ce qui est incroyable en contraste avec les familles royales existantes depuis des siècles, il a fallu que Napoléon qui n’était rien, petite famille corse désargentée, construise une histoire de toutes pièces, familiale, amoureuse, l’architecture, les arts décoratifs, la peinture…
Les femmes de sa vie

Une femme comptera plus que tout dans sa vie c’est Joséphine qui représente tout ce qu’il n’est pas, il lui écrira des lettres d’amour magnifiques.

Le luxe sous l’empire
Le faste des arts de la table, des services exceptionnels en porcelaine de Sèvres, chaque pièce est une oeuvre d’art, les scènes sont peintes avec une grande finesse, on suit l’actualité de l’Empereur sur les décors, l’arrivée à Venise, les monuments…

Assiette du service particulier de l’Empereur “l’L’entrée de Napoléon à Venise”. Manufacture de Sèvres, Nicolas-Antoine Lebel. 1808- Porcelaine dure. Fondation Napoléon Assiette du service particulier de l’Empereur “l’Orangerie du Jardin des Plantes” (2e version) Manufacture de Sèvres, Nicolas-Antoine Lebel. 1811 – Porcelaine dure. Fondation Napoléon
A son accession au pouvoir, Bonaparte souhaite développer le savoir-faire de l’industrie du luxe. Une politique de commande publique se met en place, avec pour objectifs, d’abord de redresser l’économie, après plusieurs années de marasme liées à la guerre et à l’instabilité politique, et ensuite d’être au service d’une politique de prestige, en faisant des palais impériaux la vitrine de l’excellence de l’industrie du luxe pour les cours étrangères. Les anciennes manufactures royales (Gobelins, Savonnerie, Beauvais, Sèvres) sont remises en activité et sont débordées de commandes somptuaires. L’orfèvrerie rayonne, les plats sont en vermeil, avec une vaisselle d’un luxe inouï. Le préfet de la Seine Frochot fait offrir par la ville au souverain en 1804 « Le grand vermeil », une orfèvrerie d’apparat de l’orfèvre Henry Auguste.

En regardant ce bivouac, on découvre à quel point la décoratrice Madeleine Castaing s’en est inspiré pour ses moquettes léopard, ses tentes aux tissus rayés, avec sa célèbre boutique angle rue Bonaparte / rue Jacob , deux noms de rues très influents et prédestinés.
Mythologie napoléonienne
Bien sûr, aucune des zones d’ombres du Consulat et de l’Empire ne sont oubliées : le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe et à Saint-Domingue, le bilan humain des guerres napoléoniennes et la difficile condition du soldat, la relégation de la femme dans une vision du partage sexué du monde. C’est le grand mérite de l’exposition que de présenter cette vision grand large, stéréoscopique et vivante de l’histoire et du mythe de Napoléon. Cette histoire est encore vivante car elle se mesure aux débats et aux polémiques suscités par la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat d’abord sous la coupole de l’Institut puis aux Invalides, devant son tombeau. En cela, Napoléon Bonaparte est d’actualité car le personnage historique et l’homme conservent leur part de mystère et d’insaisissabilité. Chez Napoléon, le mythe, l’épopée ont souvent très vite dévoré l’histoire et l’individu et cette emprise de la mythologie napoléonienne s’explique par sa genèse, due à Bonaparte lui-même. Il crée son mythe par la propagande, les bulletins de l’armée d’Italie d’abord, puis par les colporteurs, et enfin par la peinture, les arts, la reproduction de Napoléon Bonaparte sur tous les supports, estampes, vaisselle, cartes postales, tabatières, pièces de monnaie, une présence constante dans la vie quotidienne des Français. Là aussi, Napoléon est un précurseur et il reste étonnant moderne, contemporain.
Napoléon
28 mai – 19 décembre 2021
Grande Halle de La Villette
211 Avenue Jean Jaurès – 75019 Paris

Catalogue de l’exposition.
Préface de Jean Tulard, membre de l’Institut
Editeur : Flammarion
commissariat :
Bernard Chevallier, conservateur général honoraire du Patrimoine ;
Arthur Chevallier, écrivain et éditeur ;
Frédéric Lacaille, conservateur général en charge des peintures du XIXe siècle des châteaux de Versailles et de Trianon ;
Grégory Spourdos, adjoint au chef du département des expositions et de la muséographie et chef du pôle muséographie du musée de l’Armée ;
Hélène Cavalié, conservateur en chef du Patrimoine et directrice adjointe des collections du Mobilier national ; Jean-Baptiste Clais, conservateur au département des Objets d’art du musée du Louvre ;
Christophe Beyeler, conservateur général du Patrimoine chargé du musée Napoléon Ier et du cabinet napoléonien des arts graphiques du château de Fontainebleau.
scénographie : groupement concepteur Scénografia – VNT architectes – Hilighting Design – Lundi 8 – Graphica.



Un commentaire
Matatoune
Une exposition didactique et réussie qui je l’avoue m’a bcp plu !