Des chefs-d’oeuvre du MoMA à Paris
PAR MARIE SIMON MALET ET FLORENCE BRIAT SOULIE
Pour qui aime la photographie, il ne faut pas manquer au Jeu de Paume, en ce moment et jusqu’au 13 février 2022, l’exposition des « Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA. La collection Thomas Walther. »

Cette exposition de 230 photographies choisies parmi les quelques 400 de la collection Thomas Walther du MoMA de New-York est un joyau. Ce collectionneur allemand, un temps installé à New-York, rassembla entre 1970 et 1990 des tirages époustouflants. Il sut choisir les plus intéressantes images de photographes aujourd’hui célèbres mais aussi d’anonymes et de photographes peu connus de l’époque de l’entre-deux-guerres. Le médium est alors un terrain de découvertes, d’expérimentations et de créativité intenses…à l’apogée de la modernité !

Orchestrées selon une jolie scénographie mondrianesque, six parties illustrent les courants des avant-gardes européennes et américaines : –“Voici venir le nouveau photographe!”, “Découverte de la photographie”, “La vie d’artiste”, “Réalismes magiques”, “Symphonie de la grande ville” et “Haute fidélité”. C’est un concentré de chefs-d’œuvre avec beaucoup de femmes photographes et de belles découvertes.
Des images qui défilent une à une sur une bande horizontale imaginaire, un accrochage choisi qui pose notre regard à une même hauteur, toute l’exposition. Ce sont à chaque fois d’exceptionnels tirages vintage, dans leur format d’origine qui nous incitent à regarder de près ces chefs-d’oeuvre de la modernité. Notre oeil s’habitue peu à peu à reconnaître les subtilités expérimentées par ces photographes, j’imagine Thomas Walther regardant ces clichés un à un et repérant un détail, une prise de vue.
Section 1 “Voici venir le nouveau photographe!”
Cascades en tous genres
Je l’imagine examinant de près cette série de Willi Ruge qui se prend en photo pendant son saut en parachute, une des images est incroyable celle de ses jambes survolant la ville et pourtant il n’y a aucun trucage.

C’est aussi une commande de l’armée à des photographes artistes pour des prises de vue, celle de la division photographique du corps expéditionnaire de l’US Army Air Service commandée par Edward J.Steichen, sur les bombardements incendiaires au moment de la première guerre mondiale. Ce même Edward Steichen , qui commence sa carrière en tant que peintre et qui en 1955 organise la célèbre exposition au MoMA rassemblant 273 photographes The Family of Man.
L’empreinte de la peinture est très présente, les artistes cherchent à faire ressembler la photo à des tableaux avec un effet d’aplanissement.
Le sport, nouveau sujet d’étude, attise l’oeil des photographes qui se contorsionnent pour attraper au vol un saut, un plongeon. Les photographies sont alors, seules capables de figer le mouvement dans le vide.
Section 2 : “Découverte de la photographie”
Une photographie avant-garde “Ecrire avec la lumière”

On sent un vent de liberté, la photographie a 100 ans, tout est possible, d’autres expériences, d’autres photographes, la modernité est mise en scène, c’est l’image de la Fée Electricité reprise dans cette composition de Hans Finsler en 1928 avec ces représentations d’ampoules à incandescence. Les photographes innovent de nouvelles techniques comme poser un objet sur du papier photo, cela donne naissance au photogramme, ils font des essais sur les temps de pose, les flous..
“Le Monde est beau”
Le théoricien Albert Renger Patzsch, lui, voulait montrer la beauté des choses dans leur simplicité, il a écrit en 1928, en pleine prospérité économique, un livre ” Die Welt ist schön ” (le monde est beau). Thomas Walther a fait le choix d’un portrait de babouin photographié par l’auteur, une des 100 images du livre, et vue dans cette exposition.
Section 3 : “La vie d’artiste”
J’adore ce portrait rond d’étudiantes joyeuses du Bauhaus vus d’en haut, comme enfermées dans une corolle pris par Lotte Beesse en 1928, un portrait qui ornera la couverture du journal de l’école avec cette accroche “Jeunes gens venez au Bauhaus”.

Section 4 : “Réalismes magiques”
Une nouvelle façon de voir
Une autre section nous découvre cette nouvelle façon de voir, grâce à cette maîtrise de l’image, en jouant avec le cadrage, c’est le portrait de sa fille Lotte au chapeau pris par Max Burchartz qui ne laisse apercevoir qu’un oeil. Kertész lui déforme les corps comme ce nu allongé Distorsion en 1933, le corps et le sol ne semblent faire qu’un.

Section 5 : “Symphonie de la grande ville”
L’architecture est un des sujets importants, la ville nouvelle apparait, la beauté des lignes des formes est dans la cible de l’objectif. C’est la présence à New-York, symbole de l’architecture contemporaine, de Bérénice Abbott qui se trouvait à Paris en 1921 comme assistante de Man Ray, c’est elle qui fait la découverte d’Atget et qui sauvera le fonds du grand photographe à sa mort (voir article précédent) , ici elle est à Manhattan et joue avec l’ombre et la lumière, des formes qui ne se voyaient pas deviennent alors lignes de mire.

Section 6 : “Haute fidélité”
La dernière salle se termine par la vérité de ce que notre oeil perçoit, ici le photographe essaie de retranscrire l’exacte réalité en “Haute fidélité”. L’exemple le plus saisissant est celui de Karl Blossfeldt alors enseignant dans une école d’architecture, il apprend à ses élèves que toutes les formes existent dans la nature, il suffit de les observer, comme ces crosses qui ornent ces fougères du Canada. C’est ainsi que le professeur devient à son tour un artiste en photographiant ces belles plantes ou plus précisément cette multitude de détails parfois microscopiques offerts par la nature. Un autre photographe, Edward Weston, reconnu pour ses compositions très épurées, pour ses nus sublimes, est présenté dans cette dernière salle, il s’agit de trois photographies d’un bateau, du portrait de Tina, sa muse et de ce coquillage qui devient sculpture sur le papier.

Apprendre et s’émerveiller

Cette collection est non seulement belle mais nous dévoile les secrets, l’évolution de la photographie, dès le début on ressent son importance et la générosité du collectionneur Thomas Walther qui a su saisir un moment clé de l’histoire de la photographie et nous faire partager cette connaissance.
Incontournable une exposition essentielle à voir pour à la fois apprendre et faire une cure d’émerveillement pour oublier le gris de notre temps covidé.

INFORMATIONS :
JEU DE PAUME
1, place de la Concorde
75001 Paris
01 47 03 12 50
http://www.jeudepaume.org
Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA. La collection Thomas Walther est organisée par The
Museum of Modern Art, New York.
Commissariat
Sarah Meister, ex-conservatrice, département de la photographie, The Museum of Modern Art, New
York,
Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, assistés de Jane Pierce, chargée de recherche
à la Carl Jacobs Foundation, département de la
photographie, The Museum of Modern Art, New York
PUBLICATIONS
Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA. La collection Thomas Walther
Textes de Quentin Bajac, Michel Frizot et Sarah Hermanson Meister
Coédition Jeu de Paume/Les éditions de La Martinière/MoMA
Chefs-d’œuvre photographiques du MoMA. La collection Thomas Walther
Éditeurs : Jeu de Paume/MoMA
Distribution : Les Presses du réel


