Demain est un autre jour, les artistes brésiliens prennent la parole

Grandes Serres de Pantin

Georges Pompidou, disait « L’art doit contester, discuter, protester ». Sandra Hegedus conteste, discute, proteste et entre en rébellion.

LUCAS KROEFF Impeachment, 2020 Installation, technique mixte Dimensions variées

Samedi dernier, je me rendais à nouveau pour un rendez-vous aux Grandes Serres de Pantin, je garde un très bon souvenir de ce lieu où j’avais pu découvrir l’exposition « Jardinons les possibles » d’Isabelle de Maison Rouge et la regrettée Ingrid Pux. Cet endroit, gigantesque, au nom si improbable de « Pouchard Tubes » lié à son histoire industrielle, abrite de nombreux ateliers d’artistes.

Vue d’ensemble

Cette fois-ci c’est l’exposition de Sandra Hegedus qui m’intéresse, Amanha Ha De Ser Outro Dia / Demain Sera Un Autre Jour.

La situation politique est très préoccupante au Brésil depuis l’élection du président Jair Bolsonaro (en octobre 2018). Faisant suite à l’action contestataire de l’artiste Julio Villani, Sandra a voulu donner la parole à une vingtaine d’artistes brésiliens, engagés et militants. L’exposition ne peut se comprendre que par le contexte actuel du Brésil, le pays d’Amérique latine le plus touché par le virus Covid-19, où sévit un Donald Trump dans une version tropicale. Passionnée et militante, Sandra Hegedus Mulliez apporte son énergie en soutien de ces jeunes artistes, interdits de retour dans leur pays en raison de la crise sanitaire.

Questions / Réponses :

Sandra Hegedus, fondatrice de SAM Art Projects

TGP : Qu’est ce qui t’a fait réagir et participer à ce manifeste Impeachment ?

Sandra Hegedus : Depuis l’élection du président Bolsonaro, il y a une chape de plomb qui s’abat sur le Brésil. On ne peut plus s’exprimer, il y a la censure, chaque mouvement est observé, les artistes , les intellectuels, les professeurs dans les universités ne sont plus libres d’agir. La pensée s’éteint. A part cela, il y a la gestion du Covid, comment le gouvernement gère cette crise. D’autre part, il y a l’Amazonie, les feux qui ravagent le pays. Il y a tellement de questions, qu’on sent une angoisse énorme. Moi j’ai de la chance d’être en France et je peux encore mobiliser et parler. Les gens au Brésil ne peuvent pas.

TGP : Que veux-tu provoquer avec cette manifestation de résistance contre le gouvernement Bolsonaro, quelle aide penses-tu apporter aux artistes qui vivent au Brésil ?

SH : Plus on fait du bruit sur ce qui se passe au Brésil, plus les gens voient et écoutent ce que nous avons à dire. Nous avons organisé avec l’exposition, toute une série de rencontres et de tables rondes pour expliquer et plus les gens voient, plus ils prennent conscience de la situation et mieux c’est.

Les Grandes Serres de Pantin

TGP : As-tu eu déjà des retombées sur votre action collective ?

SH : Bien sûr, j’ai été interviewée sur RFI (en langue portugaise) qui est retransmis sur une centaine de radios locales car RFI a un partenariat pour des diffusions dans tout le pays.

TGP : Est-ce que c’est une action qui va perdurer après la fin de l’exposition ?

SH : Je ne sais pas, on a le sentiment que l’expo n’est qu’un début et qu’on est en train de lancer un vrai mouvement. Mais on verra, on a tous envie de crier haut et fort ce que nous pensons. Mais il faut trouver les moyens et comment allons nous faire d’autres actions. Comment aller plus loin.

TGP : Votre action a-t-elle eu des retombées presse, mais pas seulement artistiques ?

SH : Il y a eu beaucoup de presse dans les journaux français, mais ceux liés à l’art, pas de journaux politiques et plus généraux malheureusement. J’aurais aimé que des journaux comme le Monde ou le Figaro se rendent compte de cela, car cette exposition c’est de l’art politique, c’est un vrai manifeste. Dans le texte qui est distribué, la commissaire Sofía Lanusse explique notre action.

Julio Villani

TGP : Quelle est ton implication dans les actions devant l’ambassade avec Julio Villani ?

SH : J’ai participé à ces actions, celle de mai c’est moi qui ai fait les photos, je suis très proche de ce que fait Julio, j’étais là, présente à la manifestation. Pour la deuxième manifestation, cette fois-ci avec Ivan Argote, c’est moi qui ai allumé la fumée. On fait ce qu’on peut dans ces moments difficiles. Bien évidemment, j’ai eu l’idée de faire cette expo pour donner la voix à plus d’artistes. Ils sont tous isolés les uns des autres, l’idée c’est de se dire l’union fait la force, et on agit tous ensemble. Je ne connaissais pas certains artistes présents qui avaient envie de parler.

Visite en images

Julio Villani est très impliqué dans la scène artistique française, mais pas seulement, New-York, Madrid, Londres et Saò Paolo, il est un peu le fil conducteur de ce manifeste et son message est sans équivoque, en français et brésilien.

JULIO VILLANI Desfaçatez/ Desfaça | Dégâts / Dégage,2020 Fils de laine sur drap en lin et chanvre 294 x 92 cm

Culture, écologie et économie, sont les points forts, alarmants pour l’avenir du Brésil, qui réunissent ces artistes.

Un vrai manifeste pour la place de la culture dans leur pays, où Sandra m’apprend qu’il est plus facile d’acheter des armes que de s’exprimer artistiquement. Le Gouvernement Bolsonaro mène une véritable offensive anti-intellectuelle et anti-culturelle : la Cinémathèque du Brésil (Cinemateca brasileira) est menacée de fermeture, alors qu’elle est la dépositaire d’un siècle de mémoire cinématographique du Brésil, en particulier de Glauber Rocha, le père du Cinéma Novo contemporain de la Nouvelle Vague ; le ministère de la culture a été rétrogradée en secrétariat d’Etat, la maison-bibliothèque de Ruy Barbosa, diplomate, homme politique et écrivain brésilien est en péril. Le Musée national de Rio, le plus grand musée d’histoire naturelle et d’anthropologie d’Amérique latine, le plus ancien également (créé en 1818), a été victime d’un incendie : tout un symbole qui résume la situation de crise de la culture au Brésil.

ISADORA SOARES BELLETTI Amanhã não leia as notícias (Demain, ne lisez pas les nouvelles) Vidéo 8 minutes, HD

Ivan Argote, qui a son studio sur place, a reçu tous ces artistes, j’en reconnais certains que j’ai pu voir à Montrouge, au Houloc… tous ont pris la parole et s’expriment par vidéo, peintures, sculptures, dessin, tapisseries (arte povera). Chacun a son mot à dire, le lavage de cerveaux, la censure, la destruction des forêts, l’écosystème qui est détruit à la grande échelle du pays. Isadora Belletti se met en scène dans une vidéo, qui illustre le lavage des cerveaux par la presse pro Bolsonaro. Symboliquement installée dans une laverie bleu électrique, à la Hopper, elle désigne les unes de presse lors de la victoire électorale de Jair Bolsonaro qu’elle passe au lavomatic. La régurgitation est exposée au pied de la vidéo, une sorte de bouilli informe, un résidu indistinct et monstrueux comme un cerveau en liquéfaction : sans doute le sous-produit des fake news, qui circulent maintenant sur les médias et les réseaux sociaux. On marche sur un tapis qui est une vue satellite de Bianca Dacosta, qui représente le damier de la forêt amazonienne dont la végétation brunit sous l’effet des incendies : le sol est mis à nu et détrempé. La richesse de la biodiversité de ce conservatoire végétal est en train de disparaître.

BIANCA DACOSTA Jour du feu (Dia do Fogo), 2020 Images satellites imprimées sur moquette 220 x 200 cm

La sculpture en acier de Liz Parayzo pourrait ressembler à un oiseau mais on découvre un Brésil brisé, divisé, torturé, posé comme un étendard à terre.

LYZ PARAYZO B Bandeira #2 (Drapeau #2), 2020 Aluminium découpé au laser 1,50 x 100 x 100 cm

Randolpho Lamonier, présente une vidéo présentant l’horreur de l’actualité qui a été commandée pour la 15e Biennale de Lyon, l’artiste utilise divers média pour s’exprimer, comme le textile, on peut voir deux bannières en patchwork de débris de vêtements arte povera.

RANDOLPHO LAMONIER Florescer na Pedra (Fleurir sur la Pierre), 2020 Textile 150 x 160 cm

Certaines oeuvres sont sans équivoque, c’est le cas des « coup de poing » de Rodrigo Braga., pastels et vidéo sans son.

RODRIGO BRAGA Coup de poing (diptyque), 2020 Pastel sec et fusain sur papier 70 x 100 cm chaque La gauche la droite le noir le blanc, 2018 Vidéo 1’ 55”, HD, couleur, sans son

Romain Vicari, lui utilise un slogan publicitaire très répandu pendant la dictature Ame-o ou deixe-o (Aime-le ou quitte-le), en détournant la phrase fétiche de l’extrême droite, le mot d’ordre du trumpisme autoritaire et populiste, devenu le porte-drapeau du de Jair Bolsonaro. Sa sculpture , menaçante et monstrueuse, qui brandit un revolver, devient le symbole de la culture du pays qui doit résister.

ROMAIN VICARI Ame-o ou deixe-o (Aime-le ou quitte-le), 2020 Technique mixte 200 x 140 x 40 cm

Les faux portraits sont fascinants, fabriqués de toutes pièces par l’algorithme d’une application, l’artiste Juliano Caldeira, crée une population semblant normale au premier abord , mais lorsque je prends connaissance du procédé, ces figures deviennent alors inquiétantes. Serait-ce les visages d’une humanité déshumanisée, insensible, standardisée et fabriquée par les fake news et les chatbots ? Le mural suggère implicitement que la réalité peut être dévoyée et que nous sommes entrés dans l’univers des faits alternatifs.

JULIANO CALDEIRA Série Ghosts, 2020 Huile sur papier calque 35 x 29 cm chaque

Elian Almeida dénonce les prises de position du président Jair Bolsonaro pendant le confinement et aussi ce gouvernement blanc dans un pays à 50% noir. Il désigne ainsi l’occultation de la question raciale au Brésil, pays qui s’est construit sur le métissage mais aussi l’esclavage. Pourquoi les footballeurs sont-ils noirs et le hommes politiques ou les stars des médias sont-ils blancs ? L’artiste déconstruit ainsi le mythe du Brésil métissé, multiculturel et multiracial, où les victimes des violences policières sont les populations noires des favelas.

L’exposition est aussi un manifeste écrit par Sofia Lanusse : « Afin de répondre collectivement au pouvoir imposé au Brésil représenté par le président Jair Bolsonaro et pour exprimer leur insatisfaction face aux politiques appliquées contre la culture, contre les droits de l’homme et contre la nature, les artistes ont décidé de manifester au travers de leurs pratiques comme la peinture, la sculpture, le dessin, la musique et la performance. »

Florence Briat Soulié

ELIAN ALMEIDA O que é melhor, a gente discutir acordos políticos ou a cor dos políticos ? (Vaut-il mieux discuter les accords politiques ou la couleur des politiciens ?), 2020 Acrylique et pastel sur toile 170 x 130 cm
GABRIEL MORAES AQUINO Parada Crua, (Parade crue), 2020 200 x 200 cm Installation (vidéo et technique mixte)
JOANA ZIMMERMANN Mostra a tua cara (Montre ton visage), 2020 Béton, pigment minéral

Exposition :

Amanhã há de ser outro dia (Demain sera un autre jour)

Du 17 au 30 septembre 2020

Studio Iván Argote, Les Grandes-Serres
15, rue du Cheval Blanc, 93500 Pantin


Invitation de Sandra Hegedüs, fondatrice de SAM Art Projects, avec la complicité de Iván Argote qui accueille l’exposition dans son atelier.
Commissariat d’exposition : Sofía Lanusse

Les artistes :

WAGNER SCHWARTZ ; RANDOLPHO LAMONIER; IVÁN ARGOTE; .JULIO VILLANI ; RODRIGO BRAGA ; JOANA ZIMMERMANN ; DANIEL NICOLAEVSKY MARIA ; .ISADORA SOARES BELLETTI ; .DANIEL ZARVOS ; .LILIANE MUTTI ; .JULIANO CALDEIRA ; GABRIEL MORAES AQUINO ;.LYZ PARAYZO ; .ROMAIN VICARI ; .ELIAN ALMEIDA ; LUCAS KROEFF ; BIANCA DACOSTA ;

RESERVEZ VOTRE VISITE GRATUITE EXPOSITION DU 17 AU 30 SEPTEMBRE 2020

Studio d’Ivan Argote

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