Une visite à Ecouen, musée de la Renaissance
Exposition : Emailler le verre à la Renaissance

A quelques kilomètres de Paris (à peine 20 kms plus précisément) se trouve un joyau de la Renaissance qui appartenait au Connétable Anne de Montmorency, compagnon d’enfance de François Ier (1494-1515-1547) et favori de son fils Henri II (1519-1547-1559). Anne de Montmorency fut un grand esthète et mécène de la Renaissance. Il fut le bâtisseur du château d’Ecouen mais également celui du Petit Château de Chantilly intégré au château de Chantilly. Victime d’une longue disgrâce de la part du roi François Ier, Anne de Montmorency profite de ses loisirs forcés pour faire construire le château d’Ecouen.

Tout ce que la Renaissance compte d’artistes se succèdent sur le chantier et la décoration intérieure du château : Jean Bullant, Bernard Palissy, Masséot Abaquesne, Jean Goujon, peut-être Nicolo dell’Abbate, le Rosso pour les peintures. Anne de Montmorency crée une demeure de villégiature mais aussi un cabinet de curiosités dans le goût encyclopédique de l’époque, artificialia et naturalia. C’est donc tout naturellement que le château d’Ecouen, après avoir été maison d’éducation de la Légion d’honneur, devient le musée national de la Renaissance, ouvert en 1977 après la décision d’André Malraux d’y installer les collections Renaissance du musée de Cluny, en 1962. Un lieu auquel on ne pense pas forcément, et pourtant quelle merveilleux endroit, hors du temps à découvrir lors d’une escapade.

La magnificence des décors, les cheminées peintes de scènes de l’Ancien Testament , les tapisseries aux couleurs et décors extraordinaires qui habillent les murs, les collections des arts décoratifs de cette époque exceptionnels conservés dans ce château, la star des lieux : Daphné, sculptée en argent, corail et pierres dures vers 1570 à Nuremberg, provenant des collections Salomon de Rothschild, les majoliques, les émaux de Limoges dont ce service à décor des signes du Zodiaque de 80 pièces avant 1553. Un voyage dans cette Renaissance fastueuse à travers les salons qui s’enchaînent et nous réchauffent le coeur de tant de beauté.

En ce moment a lieu jusqu’en février une exposition qui m’attirait beaucoup et si vous souhaitez en savoir un peu plus, n’hésitez pas à faire comme moi pour découvrir cet art fabuleux du verre émaillé de la Renaissance, une technique unique vénitienne qui a conquis les cours européennes et a donné naissance à de multiples ateliers à travers l’Europe. Des verriers qui travaillaient le verre à la “façon de Venise”, expression revendiquée dès la Renaissance. Ces verriers des autres cours d’Europe, imitaient déjà les formes et décors des vénitiens. J’ai pu faire cette visite avec la commissaire de cette exposition exceptionnelle : Aurélie Gerbier, conservatrice du patrimoine au musée national de la Renaissance, qui depuis une dizaine d’années étudie les mystères du verre émaillé. L’exposition présente le résultat du travail scientifique de dix ans dans le cadre du projet européen de recherche sur les verres émaillés et dorés vénitiens de la Renaissance, projet CRISTALO. Ce projet interdisciplinaire a réuni, outre Ecouen, le musée du Louvre, le C2RMF, le musée des Arts Décoratifs (MAD), le Petit-Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, le musée Jacquemart-André, le musée national de la Céramique (Sèvres), le musée Condé (Chantilly) et le musée des Beaux-Arts de Lyon.
Revenir aux sources de cette production vénitienne
L’enjeu de cette exposition était de découvrir la véritable provenance de ces 90 verres présentés, savoir si ils avaient été réalisés à Venise ou ailleurs et leur époque ancienne ou plus récente. Un long travail de recherche, d’expertise et d’examens minutieux qui a duré une dizaine d’années secondé par Aglaé, mystérieuse machine du C2RMF qui analyse précisément l’origine des matériaux utilisés, une aide très précieuse qui permet de vérifier si les recettes des verriers vénitiens ont bien été appliquées, ce qui a provoqué certaines désillusions sur certaines pièces historiques.
Aglaé analyse ainsi la composition des matériaux utilisés dans le verre support et la peinture émaillée, sans faire appel à une quelconque technique invasive, traumatisante pour l’objet. Cet accélérateur de particules, unique au monde, permet ainsi une analyse chimique, scientifique, sans aucun prélèvement.
Histoire des collections
Les amateurs se sont intéressés au verre émaillé à partir de 1820, date où de grandes collections se sont constituées, comme toutes les modes, ce désir pour ces pièces rares et fragiles a provoqué également la production de faux ou de copies réalisés au XIXe ou également certains objets trafiqués qui peuvent se trouver dans tous les musées.

En décembre 2000 a lieu la vente Batsheva de Rothschild chez Christie’s qui malheureusement a démontré que tous les verres de cette collection étaient du XIXe siècle, ce qui a provoqué un sentiment de doute chez les collectionneurs et une chute du marché.
Une sacrée machine AGLAE
Objets de référence historiques
Aglaé est cette machine, la seule au monde entièrement dévolue aux oeuvres d’art et non intrusive qui possède un accélérateur de particules et permet la comparaison de pièces avec les objets témoins historiques. Quatre gobelets au même décor de l’Annonciation furent découverts au cours de fouilles dans la glacière d’un monastère de jeunes filles Santa Chiara à Padoue qui était devenue un dépotoir (très intéressant en archéologie) où se sont entassées plusieurs couches au fil de temps et pour la première fois leur couleur bleue (très souvent mise en doute) était authentifiée (milieu du XVe siècle). Ces objets sont ainsi devenus des “objets de références” au sens archéologique du terme puisque totalement authentiques et constituant ainsi l’étalon indispensable pour authentifier les productions de verres émaillés par analyse comparative. Il y a aussi ce très bel autre objet témoin découvert dans les années 60 qui contenait une relique de Sainte Barbe, un gobelet sur pied orné d’une “fuite en Égypte” et d’une “adoration des Rois Mages” qui est un des objets les plus anciens, sa dorure est ici exceptionnellement appliquée au pinceau, et qui a été longtemps décrit comme un calice paléochrétien.
Lorsque l’on regarde ces décors peints, on se demande qui étaient ces peintres si talentueux, mais pourtant aucune signature n’apparait sur ces verres, ces peintres-décorateurs étaient sous les ordres des maîtres-verriers et n’ont jamais eu de corporation propre. Ils disparaissent ainsi dans l’anonymat de leur production et survivent à travers les siècles, par la finesse et la délicatesse de leurs peintures. Etrange destin à l’inverse de celui des enlumineurs, dont les signatures sont connues.

La science malheureusement ne permet pas de déterminer à 100% la date d’exécution de ces verres, c’est pourquoi les dates ne sont jamais mentionnées dans l’exposition.
On dit souvent que les verriers n’avaient pas d’autorisation de quitter Venise mais les mois d’été certains ouvriers quittaient leur région et allaient dans toute l’Europe où ils s’installaient provisoirement et créaient des pièces à la façon de Venise.
Vitrum blanchum et cristallo
Deux recettes vénitiennes sont connues : le vitrum blanchum et le cristallo.
Mais certaines pièces fabriquées à la façon de Venise, l’étaient avec des matériaux propres au verrier sur place , avec aussi des différences sur la façon d’appliquer le décor.

Certaines analyses ont démontré que les recettes suivies étaient bien celles de Venise mais des libertés ont été prises, une couleur plus tendre comme celle de cet ensemble de Catalogne, un des pots possède du plomb, la recette est alors incompatible avec celle de Venise.
Parfois il s’agit de certaines différences dans l’application du décor, selon la recette vénitienne, la feuille d’or était collée, puis grattée avec une pointe fine puis là-dessus étaient rajoutés dans un second temps les couleurs avec l’émail qui est du verre coloré et est appliqué au pinceau. A cette époque, il existe aussi des certitudes comme l’existence du bleu à la Renaissance fabriqué à partir du cobalt.
Une dizaine de livres de recettes a été conservée datant de la Renaissance ainsi qu’une base de données constituée de fragments de verres jetés dans la lagune par les verriers de Murano.
Dans cette exposition on a la chance de voir et d’admirer ces formes, ces décors délicats tous réunis dans ces vitrines. Une promenade qui nécessite quelques explications sur ces traditions et techniques utilisées, un vrai voyage à Venise.
Venise, façon Venise ou copie

On y voit les Armoiries vénitiennes très rares des Tiepolo retrouvées sur cette lampe , d’autres commandes très importantes comme ce service aux armes de la Reine Anne de Bretagne, il reste 5 pièces de ce service qui était vraisemblablement un cadeau diplomatique.

Les gourdes de pèlerin sont des pièces d’apparat emblématiques de la production vénitienne du XVème siècle. En regardant attentivement les vitrines, deux gourdes au décor semblable, l’une classée objet de référence par sa provenance du trésor de la chapelle Sainte-Anne (transformée en reliquaire du voile de sainte Anne, la soeur de la Vierge) de l’ex-cathédrale d’Apt et l’autre provenant de la célèbre collection de Alexandre-Charles Sauvageot, ne donnent aucun doute sur leurs caractéristiques communes qui les assimilent aux gobelets émaillés et dorés dits “vénitiens”. Pourtant, la gourde de la collection Sauvageot, après passage dans la machine Aglaé contient du plomb, et cela est impossible dans la recette vénitienne de la Renaissance. S’agit-il d’une copie XIXe, avant 1840, date à laquelle Sauvageot réunit sa collection ? Les chercheurs n’en savent rien. Aglaé ne date pas. Aucun moyen n’existe en dehors des documents d’époque indiquant l’existence d’un objet d’être sûr de l’époque.

A la fin de ce parcours, une surprise nous y attend ou plutôt une grande déconvenue cependant passionnante, digne d’une enquête policière, mais je vous laisse la découvrir vous même. Je vous livre un indice : il s’agit de verres appartenant à la collection de Catherine de Médicis et rentrées dans les collections nationales au début du XXème siècle.

J’aurais aimé m’attarder plus longuement devant ces tapisseries, en particulier l’immense tenture des Pays-Bas du début du XVIème siècle, qui se déploie comme une bande dessinée, avec ses phylactères, faisant le récit de David et Bethsabée, avec leurs personnages si réalistes de l’époque, le souci du détail pittoresque (comme la paye des soldats), le récit biblique qui est transmis, l’histoire qu’elles nous transmettent, mais il faut que je revienne.
Florence Briat Soulié
INFORMATIONS :
EXPOSITION
ÉMAILLER LE VERRE À LA RENAISSANCE
SUR LES TRACES DES ARTISTES VERRIERS ENTRE VENISE ET FRANCE
DU 13 OCTOBRE 2021 AU 14 FÉVRIER 2022
Commissariat :
Aurélie Gerbier, conservatrice du patrimoine au musée national de la Renaissance
Françoise Barbe, conservatrice en chef du patrimoine au musée du Louvre
Isabelle Biron, ingénieure de recherche au c2rmf
Horaires du musée :
Tous les jours sauf le mardi
9h30 à 12h45 et 14h à 17h15


Un commentaire
SdG
Exposition très intéressante et le musée aussi. Belle découverte. Merci